J. Staline en 1905


J. V. Staline

Tome I

Préface de l'auteur au tome I


Source: Œuvres, Tome I, septembre 1901-avril 1907
Editeur: Editions sociales, Paris, 1953.
Numérisation: Ysengrin, 2014.


 

Les écrits qui composent le tome premier remontent au début de l'activité de l'auteur (1901-1907), époque où l'idéologie et la politique du léninisme n'étaient pas encore tout à fait au point. Cette remarque s'applique aussi en partie au tome II.

     

Pour comprendre et apprécier correctement ces écrits, il ne faut pas oublier qu'il s'agit des oeuvres d'un jeune marxiste qui n'était pas encore devenu un marxiste-léniniste accompli. Aussi conçoit-on qu'il y subsiste des traces de certaines thèses des anciens marxistes, vieillies dans la suite et rejetées par notre parti. Je veux parler de deux questions : celle du programme agraire et celle qui a trait aux conditions de la victoire d'une révolution socialiste.

     

Comme il ressort du tome premier (voir les articles sur la question agraire), l'auteur soutenait alors le point de vue du partage des grandes propriétés foncières et de leur remise en propriété aux paysans. Au congrès d'unification du parti, où l'on discuta de la question agraire, la majorité de ceux des délégués bolchéviks qui étaient des praticiens, tenaient pour le partage, la majorité des menchéviks pour la municipalisation. Quant à Lénine et aux autres délégués bolchéviks, ils se prononçaient pour la nationalisation du sol ; mais au cours de la lutte qui se livra à propos des trois projets, lorsqu'il devint clair que le congrès n'adopterait pas le leur, Lénine et les autres partisans de la nationalisation joignirent leurs voix à celles des partisans du partage.

     

Contre la nationalisation, les partisans du partage mettaient en avant trois considérations :

      a) les paysans n'accepteraient pas la nationalisation des grandes propriétés foncières, parce qu'ils voulaient les posséder en propre ;

      b) les paysans s'opposeraient à la nationalisation parce qu'ils y verraient une mesure abolissant la propriété privée des terres qui leur appartenaient déjà en propre ;

      c) même si l'on parvenait à triompher des objections élevées contre la nationalisation, nous n'aurions pas, nous marxistes, à plaider en faveur de la nationalisation, car après la victoire de la révolution démocratique bourgeoise, l'Etat en Russie ne serait pas socialiste, mais bourgeois, et l'existence d'un important fonds de terres nationalisé aux mains de l'Etat bourgeois renforcerait démesurément la bourgeoisie au détriment des intérêts du prolétariat.

     

Les partisans du partage partaient de cette prémisse admise par les marxistes russes, y compris les bolchéviks, qu'après la victoire de la révolution démocratique bourgeoise s'ouvrirait une période d'intervalle entre la révolution bourgeoise victorieuse et la future révolution socialiste, au cours de laquelle le capitalisme pourrait se développer avec plus de liberté et de vigueur en s'étendant également à l'agriculture ; la lutte des classes s'approfondirait et prendrait toute son ampleur ; la classe des prolétaires grandirait en nombre, la conscience et l'esprit d'organisation du prolétariat s'élèveraient au niveau voulu, et c'est seulement après cela que s'ouvrirait la période de la révolution socialiste.

     

Il faut noter que cette prémisse : l'existence d'un long intervalle entre les deux révolutions, ne rencontra, au congrès, d'objection d'aucun côté : les partisans de la nationalisation et du partage, comme ceux de la municipalisation, estimaient que le programme agraire de la social-démocratie russe devait contribuer à un développement ultérieur, encore plus vigoureux, du capitalisme en Russie.

     

Savions nous, nous les bolchéviks praticiens, que Lénine professait à l'époque le point de vue de la transformation de la révolution bourgeoise en Russie en une révolution socialiste, celui de la révolution ininterrompue ? Oui, nous le savions. Nous le savions par sa brochure : Deux tactiques (1905) et aussi par son célèbre article "L'attitude de la social-démocratie à l'égard du mouvement paysan" (1905), où il déclarait : "nous sommes pour la révolution ininterrompue", "nous ne nous arrêterons pas à mi-chemin". Mais, nous les praticiens, n'approfondissions pas le problème, nous n'en saisissions pas toute la portée par suite de l'insuffisance de notre préparation théorique, et par suite aussi de l'insouciance, propre aux praticiens, en matière de théorie. On sait que Lénine ne développa point alors et n'utilisa pas au congrès, à l'appui de la thèse de la nationalisation, des arguments tirés de la théorie de la transformation de la révolution bourgeoise en une révolution socialiste. Sans doute estimait-il que la question n'était pas encore mûre et que la majorité des bolchéviks praticiens du congrès n'étaient pas préparée à comprendre et à s'assimiler la théorie de la transformation de la révolution bourgeoise en une révolution socialiste ?

     

Ce n'est qu'un peu plus tard, quand la théorie léniniste de la transformation de la révolution bourgeoise en Russie en une révolution socialiste fut devenue la ligne directrice du Parti bolchéviks, que les divergences sur la question agraire disparurent dans le parti, car il était devenu évident que, dans un pays comme la Russie où les conditions particulières de développement créaient un terrain propice à la transformation de la révolution bourgeoise en une révolution socialiste, un parti marxiste ne pouvait avoir d'autre programme agraire que celui de la nationalisation de la terre.

     

La deuxième question concerne le problème de la victoire de la révolution socialiste. Comme il ressort de ce tome premier (voir les articles : "Anarchisme ou socialisme?"), l'auteur s'en tenait alors à la thèse, bien connue des marxistes d'après laquelle une des conditions essentielles de la victoire de la révolution socialiste est que le prolétariat constitue la majorité de la population, en sorte que, dans les pays où le prolétariat ne constitue pas encore la majorité de la population, par suite de l'insuffisance du développement capitaliste, la victoire du socialisme est impossible.

     

Cette thèse était alors généralement admise par les marxistes russes, y compris les bolchéviks, aussi bien que dans les partis social-démocrates des autres pays. Pourtant le développement ultérieur du capitalisme en Europe et en Amérique, le passage du capitalisme pré-impérialiste au capitalisme impérialiste, enfin la loi, découverte par Lénine, du développement économique et politique inégal des différents pays ont montré que cette thèse ne correspondait plus aux nouvelles conditions du développement ; que la victoire du socialisme était parfaitement possible dans des pays où le capitalisme n'avait pas encore atteint le point culminant de son développement et où le prolétariat ne constituait pas la majorité de la population, mais où le front du capitalisme était assez faible pour être rompu par le prolétariat. C'est ainsi que naquit en 1915-1916, la théorie léniniste de la révolution socialiste.

     

Comme on le sait, elle part de ce point de vue que la révolution socialiste ne triomphera pas nécessairement dans les pays où le capitalisme est le plus développé, mais avant tout là où son front est faible, où il est plus facile au prolétariat de le rompre et où le développement du capitalisme a atteint au moins un niveau moyen.

     

Là se bornent les remarques de l'auteur sur les écrits rassemblés dans le tome premier.

 

J. Staline.

Janvier 1946.


Index des oeuvres complètes | Page d'accueil