Trotskisme ou marxisme-léninisme

Sommaire :

I. Note d'introduction

II. Lénine jugeant la physionomie politique de Trotski

III. Citations commentées de Trotski (1935-1940)

IV. Le "testament" de Lénine

V. Trotski : petit bréviaire et prophéties

VI. Staline sur le trotskisme

La théorie de la révolution permanente

Le bilan de la discussion

Sur la militarisation des syndicats

Sur la lettre de Trotski

« L'obligeant Trotski est plus dangereux qu'un ennemi ! Nulle part, si ce n'est dans des « entretiens privés » (c'est-à-dire tout simplement dans les commérages, dont se nourrit toujours Trotski), il n'a pu trouver de preuves lui permettant de ranger les « marxistes polonais » en général parmi les partisans de chaque article de Rosa Luxembourg. Trotski a présenté les « marxistes polonais » comme des gens sans honneur ni scrupule, ne sachant même pas respecter leurs propres convictions et le programme de leur Parti. L'obligeant Trotski ! (…) Jamais encore Trotski n'a eu d'opinion bien arrêtée sur aucune question sérieuse du marxisme ; il s'est toujours « insinué » à la faveur de tel ou tel désaccord et passait d'un camp à l'autre. A l'heure actuelle, il se trouve en compagnie des bundistes et des liquidateurs. Or, ces messieurs-là en prennent à leur aise avec le Parti. » (Lénine, Du droit des nations à disposer d'elles-mêmes (1914), Œuvres choisies, Tome I, Moscou, 1948, Édition numérique, p. 322.)

Livres et documents complémentaires :

Ludo Martens : Un autre regard sur Staline Trotski et le trotskisme : textes et documents Staline (ouvrage collectif) M. Sayers et A. E. Kahn : La grande conspiration contre la Russie Harpal Brar : Trotskisme ou léninisme Notre dossier sur les mensonges sur l'URSS du temps de Staline

 

Note d'introduction

Les médias et l'enseignement bourgeois ont pour habitude de nous présenter leur vision de classe de l'histoire. Mais cette vision qui fait de Trotski un révolutionnaire 'honnête' et de Staline un 'tyran' est-elle conforme à la réalité historique ? En apparence, elle ne manque pas de cohérence. Pourtant, si l'on creuse un peu, cette apparence de cohérence vole rapidement en éclat. Disons-le tout de suite, cette page et ce site internet ne sont pas le fait d'un 'vieux stalinien nostalgique', mais d'un jeune communiste anciennement influencé par la vision trotskiste-bourgeoise de l'histoire, qui a seulement fait l'effort de confronter des sources de première main, et qui est tombé de haut quand il a découvert la vérité... Mais être communiste, c'est avant tout être capable de faire preuve d'esprit critique et d'auto-critique, afin de s'approcher au plus près de la connaissance de la vérité.

Le but de cette page n'est pas de s'appesantir sur la dénonciation des trotskistes d'aujourd'hui, qui ont fusionné (dans la tactique comme dans la stratégie) avec les partis social-démocrates et réformistes qu'ils prétendent pourtant combattre (P'S', P'C'F). En effet, tous ont en commun, soit la croyance mystique dans les vertus de la 'démocratie' (bourgeoise !), soit une haine gauchiste-petite-bourgeoise aveugle contre le 'stalinisme'... dans lequel ils incluent la pratique des révisionnistes de diverses tendances (khrouchtchéviens, brejnéviens, thoréziens, maoïstes, castristes, etc.), pourtant très éloignés de celle du marxisme-léninisme !

Notre but est de démontrer ici le rôle contre-révolutionnaire joué par Trotski dans l'histoire, et notamment l'histoire de l'URSS.

Il n'est d'abord pas superflu de rappeler que Trotski fut pendant longtemps un adversaire du bolchévisme. Ce qui illustre le parcours politique de Trotski dans la période 1903-1916, c'est en effet son fond menchévik et son opposition intermittente, mais récurrente, à Lénine et aux bolchéviks, au contraire de Staline qui rallia indéfectiblement Lénine et les bolchéviks dès 1903. Ce n'est qu'après la révolution russe de février 1917, que les contradictions insolubles du pouvoir bourgeois de Kerenski auquel participaient les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks, pousseront Trotski à rallier le Parti bolchévik en août 1917, soit à peine deux mois avant la révolution socialiste d'Octobre. Comme le souligna Staline, si Trotski ne s'opposa alors pas ouvertement à l'insurrection d'Octobre proposée par Lénine (comme le firent Kaménev et Zinoviev), il n'en fit alors pas moins des réserves qui le rapprochaient de l'attitude capitulatrice de ces derniers, et qui fournirent la base idéologique de leur fraction unifiée avec Trotski en 1927, contre la possibilité d'édifier le socialisme dans un seul pays.

Si Lénine a pu utiliser certaines qualités intellectuelles de Trotski au cours de la guerre d'intervention en 1918-1921, quant la pénurie de cadres faisait cruellement défaut au Parti, le fond menchévik de Trotski a rapidement refait surface une fois terminée la guerre civile. En effet, après celle-ci et l'échec de la révolution des spartakistes en Allemagne, un menchévik comme Trotski qui avait toujours estimé impossible la construction du socialisme dans un seul pays, au demeurant industriellement et culturellement arriéré, devait nécessairement entrer en conflit avec la majorité du Parti, bien décidée, elle, à poursuivre l'œuvre de la révolution contre les exploiteurs de l'intérieur et de la bourgeoisie internationale.

Le début des années 1920, parallèlement au relèvement d'une économie arriérée, ravagée par des années de guerre impérialiste et de guerre civile, fut donc synonyme d'un âpre conflit entre la majorité du Parti et la fraction trotskiste au moment où l'état de santé de Lénine, souffrant des séquelles d'un attentat manqué en 1918, se détériore : en mai 1922, Lénine est victime de sa première attaque. Trotski en profita alors pour ressortir de ses tiroirs ses théories menchéviks. Hélas pour lui, si Lénine était certes absent, un de ses fidèles lieutenant veillait et allait entreprendre une lutte énergique contre ce nouveau courant liquidateur qui prônait le défaitisme et le 'désespoir permanent' sous le mot d'ordre de la 'révolution permanente'.

Les prétentions de Trotski acquièrent une autre dimension dès que l'on met ces accusations en parallèle avec celles qu'il lançait contre Lénine en 1904 : alors aux côtés des menchéviks, Trotski accusait Lénine d'être un 'bureaucrate' menaçant de faire 'dégénérer le Parti'. Trotski refera le coup, mais cette fois en parlant de Staline, en 1923. A cette occasion, Staline ne s'emportera pas dans des attaques personnelles, mais démontera une par une les théories trotskistes avant de mettre à nu les activités fractionnistes du groupe de Trotski contre l'immense majorité du Parti bolchévik, étroitement uni autour de son nouveau chef, et déterminé à réaliser les perspectives révolutionnaires annoncées. Il n'est alors pas inutile de rappeler la peinture que Lénine dressait de la physionomie politique de Trotski quand il se trouvait aux côtés des liquidateurs du Parti quelques années auparavant (voir l'article de Lénine : La violation de l'unité aux cris de vive l'unité'.) En effet, on y voit ressurgir un parallèle frappant : celui d'un Trotski niant ce fait que l'immense majorité du Parti communiste bolchévik, tout comme elle avait hier soutenu Lénine, soutenait aujourd'hui Staline. Pour Trotski, apte à spéculer sur les raisons de ce fait irréfutable, cela ne pouvait donc résulter que du caractère 'dictatorial' et 'bonapartiste' de la direction politique exercée par Staline...

S'il est bien une constante dans le trotskisme, c'est son caractère 'voltigeur'. Trotski, habile funambule, a toujours eu pour but de vouloir concilier les points de vue inconciliables. Ce caractère provient de l'idéologie idéaliste et intellectuelle-petite-bourgeoise de Trotski, de son incompréhension des fondements mêmes du marxisme-léninisme, ce que perçut Lénine quant il disait de lui 'qu'il n'avait jamais eu d'opinion bien arrêtée sur aucune question sérieuse du marxisme'.  C'est ce fond de petit-bourgeois idéaliste qui rend les théories trotskistes si sympathiques aux yeux des petits bourgeois critiques, dégoûtés par le capitalisme mais davantage encore effrayés par le socialisme !

Quant aux 'vieux bolchéviks' dont Trotski, aigri par son expulsion du Parti puis son exil, pleura la perte dans les années 1930 — sous couvert de défendre 'la vieille garde bolchévik' soi-disant éliminée par Staline pour asseoir sa 'dictature personnelle' sur le Parti bolchévik et sur le pays —, c'étaient des éléments instables qui avaient déjà maintes fois baissé les bras devant les ennemis de classe par le passé (tel Boukharine face aux koulaks) et dont l'activité menaçait désormais les destinées de la révolution socialiste elle-même : les fractionnistes défaits (tels Kaménev, Zinoviev, Radek, Rykov et Tomski) n'ayant plus aucun soutien social, ils envisagèrent de recourir à des formes de lutte propres aux conspirateurs, comme le prouvèrent les procès publics de Moscou où les observateurs bourgeois honnêtes furent convaincus de la culpabilité des accusés (cf. "Stalinisme" : quelques observations concernant les procès de Moscou.)

Cette explication de Trotski, faisant de l'URSS un Etat ouvrier dégénéré, fut évidemment très bien reçue dans les milieux anti-communistes, mais n'est en fait qu'une spéculation petite-bourgeoise intellectuelle, qu'une mystification idéaliste attribuant à la volonté individuelle une toute-puissance. En effet, il est évident pour tout marxiste que la superstructure juridique et politique n'est pas indépendante de la base matérielle économique. Ainsi, l'Etat est toujours un instrument de répression aux mains de la classe détenant le pouvoir économique. Sous le capitalisme, l'Etat, même le plus 'démocratique', n'est toujours qu'un instrument entre les mains de la bourgeoisie. Seules des circonstances économiques favorables permettent à la bourgeoisie d'accorder aux esclaves salariés quelques droits politiques formels, droit qu'elle peut leur reprendre à tout moment dès qu'elle l'estime nécessaire. Ainsi, la bourgeoisie et ses représentants politiques s'adressent tantôt aux esclaves salariés sur le ton 'démocratique' du 'cause toujours !', tantôt sur le ton fasciste du 'ferme ta gueule !'

Sous le socialisme, société de transition où l'exploitation salariée est abolie, l'Etat existe toujours. Cette fois aux mains des travailleurs, il leur sert sur le plan intérieur à mater la résistance des débris des anciennes classes exploiteuses, et sur le plan extérieur à être capable de faire face aux interventions armées de la bourgeoisie internationale.

Dans tous les cas, l'Etat a un caractère de classe, déterminé par la classe détenant le pouvoir économique. JAMAIS, ni dans l'antiquité, ni sous le capitalisme, l'Etat n'a été sous la coupe d'une seule personne : de même que les rois ne gouvernaient que parce qu'ils défendaient les intérêts des féodaux contre les serfs et les royaumes voisins, de même les politiciens bourgeois ne 'gouvernent' que parce que la bourgeoisie le veut bien ! En fait de gouverner, ces marionnettes politiques ont pour fonction essentielle de servir d'intermédiaires, en apparence élus 'démocratiquement', évitant ainsi à la bourgeoisie (qui détient le monopole du pouvoir économique) d'exposer son monopole sur le pouvoir politique de manière trop évidente...

De même, prétendre comme Trotski que le 'stalinisme' était une 'dégénérescence thermidorienne' ne remettant pourtant pas en cause les fondements économiques socialistes de l'URSS est absolument anti-marxiste.

La conception de 'l'Etat ouvrier dégénéré' n'a aucun fondement scientifique et n'est une invention idéaliste (une fable destinée à effrayer les enfants...), servant à justifier l'opposition de Trotski au PCUS sans pour autant se mettre à dos le peuple soviétique. Hélas pour Trotski, plus les années passaient, plus se restreignait le cercle de ses partisans en URSS (en revanche, à l'étranger, la liste de ses soutiens s'allongeait parmi les anti-communistes...), car pour l'immense majorité du peuple soviétique, constitué par les ouvriers et les paysans travailleurs, chaque nouveau succès remporté dans le domaine économique et social ne faisait que renforcer son attachement à ses chefs, et en premier lieu à Staline. Ceci constitue la base matérielle ayant engendré 'le culte de la personnalité' soi disant mis en place par Staline.

Mais revenons-en au concept d' 'Etat ouvrier dégénéré', et raisonnons en marxistes : soit Staline et les 'bureaucrates sous ses ordres' formaient une classe à part entière, constituée en classe exploiteuse et donc en une nouvelle bourgeoisie, faisant de l'URSS un pays bourgeois, soit Staline et ses partisans défendaient réellement les intérêts des travailleurs, faisant de l'URSS un pays socialiste.

Les témoignages de rapporteurs honnêtes et désintéressés de l'époque illustrent sans aucun doute possible que pour l'immense majorité des travailleurs de la ville et de la campagne, Staline et le PCUS (b) étaient perçus comme 'leur gouvernement'.

L'histoire a également tranché de manière irréfutable cette question : les bureaucrates et les carriéristes n'ont pris le pouvoir en URSS et ne se sont constitués en une nouvelle classe exploiteuse affranchie du contrôle populaire qu'en 1953, comme certains historiens bourgeois le reconnaissent d'ailleurs (voir le paragraphe 3 de notre Aperçu sur le marxisme). Dès lors, le capitalisme fut intégralement restauré en URSS, et non en 1991 comme le clament encore certains trotskistes à rebours maquillés en 'staliniens' mais ne comprenant rien aux question économiques, nationales et coloniales. (Khrouchtchev a défendu les intérêts d'une nouvelle bourgeoisie monopoliste d'Etat, Brejnev a tenté de consolider la sphère d'influence de l'URSS social-impérialiste et Gorbatchev l'a démantelé au profit d'autres puissances impérialistes).

Quant au jugement des lois économiques, il est irréfutable : l'URSS fut en effet le seul pays à ne pas subir de plein fouet les crises économiques mondiales d'avant guerre (1929-1933 et 1937-1938). Son économie, qui avait alors pour but non pas l'extorsion de profit, mais le souci d'assurer le bien être matériel et culturel croissant des travailleurs n'avait en effet pas besoin d'écouler de production excédentaire sur les marchés extérieurs, comme les social-impérialistes soviétiques y furent contraint dès les années 1950, quand ils restaurèrent l'exploitation salariée et le capitalisme.

Il est donc évident que les gesticulations politiques de Trotski et des trotskistes n'ont profité qu'à la bourgeoisie internationale, en lui donnant des armes idéologiques pour tromper les travailleurs sur le caractère prolétarien de l'URSS de Staline et leur 'prouver' que le remède (le socialisme) était en fait pire que le mal (le capitalisme).

V.G., 03/08/2008.

 

 

 

Lénine jugeant la physionomie politique de Trotski

(Lénine, La violation de l'unité aux cris de : 'vive l'unité', publié en mai 1914 dans le n° 5 de la revue Prosvéchtchénié, Œuvres choisies, Tome I, Moscou, 1948, édition numérique.)

« La Revue ouvrière de Trotski est une revue de Trotski pour les ouvriers ; car il n'y a trace, dans cette revue, ni d'initiative ouvrière, ni de liaison avec les organisations ouvrières. (...) Et ce fait montre que nous avions raison en qualifiant Trotski de représentant des « pires vestiges du fractionnisme ». Non fractionniste en paroles, Trotski est pertinemment, pour tous ceux qui connaissent un peu le mouvement ouvrier de Russie, le représentant de la « fraction Trotski » ; il y a là du fractionnisme, puisque ses deux indices essentiels sont réunis : 1° reconnaissance nominale de l'unité et 2° séparatisme de groupe, en fait. Il y a là un reste de fractionnisme, car il est impossible d'y découvrir rien de sérieux dans le sens d'une liaison avec le mouvement ouvrier de masse en Russie. Enfin, c'est la pire espèce de fractionnisme, car il n'y a là aucune précision idéologique, ni politique. (...) Résultat : 1° Trotski n'explique ni ne comprend la portée historique des divergences idéologiques entre les courants et fractions du marxisme, bien que ces divergences remplissent vingt années d'histoire de la social-démocratie et concernent les principaux problèmes d'actualité (comme nous le montrerons encore) ; 2° Trotski n'a pas compris les particularités essentielles du fractionnisme, comme reconnaissance nominale de l'unité et division réelle ; 3° Sous la bannière du « non-fractionnisme », Trotski défend une des fractions à l'étranger, particulièrement dépourvues d'idées et privées de toute base dans le mouvement ouvrier de Russie. Tout ce qui brille n'est pas or. Il y a beaucoup de clinquant et de tapage dans les phrases de Trotski ; mais de contenu, point. » (pp. 268-270.)

« Trotski aime beaucoup à donner, « avec l'air savant d'un connaisseur » et en usant de phrases pompeuses et sonores, une explication flatteuse pour lui, Trotski, des phénomènes historiques. Si de « nombreux ouvriers avancés » deviennent des « agents actifs » d'une ligne politique, de la ligne du Parti, qui ne concorde pas avec la ligne de Trotski, ce dernier résout la question sans se gêner, d'emblée et sans détour : ces ouvriers avancés se trouvent « dans un état de désarroi politique complet », alors que lui, Trotski, est sans doute « dans un état » de fermeté politique, de lucidité et de justesse de ligne !... Et c'est ce même Trotski qui, se frappant la poitrine, fulmine contre le fractionnisme, contre l'esprit de cercle, contre cette façon — propre à un intellectuel — d'imposer sa volonté aux ouvriers !... (…) En notre qualité de publiciste, nous ne nous lasserons pas de répéter, en réponse aux cris répétés sur la scission, des données précises, irréfutées et irréfutables. A la IIe Douma, la curie ouvrière a donné 47 % de députés bolcheviks ; à la IIIe, 50 % ; à la IVe, 67 %. Voilà où est la majorité des « ouvriers avancés », voilà où est le Parti, voilà où est l'unité d'idées et d'actions de la majorité des ouvriers conscients. (...) Quiconque n'entend pas s'abuser soi-même et abuser les autres, doit reconnaître ce fait objectif de la victoire de l'unité ouvrière contre les liquidateurs. (...) Où donc est ici l'unité d'action et de volonté de la majorité des « ouvriers avancés », et où est la violation de la volonté de la majorité ? Le « non-fractionnisme » de Trotski, c'est justement le scissionnisme, dans le sens de la violation la plus impudente de la volonté de la majorité des ouvriers. » (pp. 271-273.)

« Ne sont « sympathiques » aux liquidateurs et à Trotski que les modèles européens d'opportunisme, et non point les modèles de l'esprit de parti européen. (...) Trotski reprend les calomnies des liquidateurs contre le Parti et se garde de toucher à l'histoire de la lutte des tendances à l'intérieur du Parti, lutte qui se poursuit depuis vingt ans. (...) Si l'on touche à l'histoire, il faut expliquer les problèmes concrets et les racines sociales des diverses tendances ; quiconque désirera étudier en marxiste la lutte de classes et la lutte de tendances autour de la participation à la Douma Boulyguine, y verra les racines de la politique ouvrière libérale. Mais Trotski « touche » à l'histoire afin d'esquiver les problèmes concrets et d'inventer une justification ou un semblant de justification pour les opportunistes actuels ! (...) Si Trotski évite les faits et les indications concrètes, c'est parce que ceux-ci réfutent implacablement toutes ses exclamations virulentes et ses phrases pompeuses. Evidemment, il est très facile de prendre une pose et de dire : « C'est une grossière caricature sectaire». Il n'est pas difficile non plus d'ajouter quelques mots encore plus forts, encore plus pompeux sur l'« affranchissement de l'influence du fractionnisme conservateur ». Seulement, n'est-ce pas user d'un moyen trop facile ? Cette arme n'a-t-elle pas été tirée de l'arsenal de l'époque où Trotski brillait devant les collégiens ? (pp. 275-277.)

« Les vieux participants au mouvement marxiste en Russie connaissent bien la figure de Trotski, et pour eux il ne vaudrait pas la peine d'en parler. Mais la jeune génération ouvrière ne la connaît pas. Et il faut bien en parler, car c'est une figure typique pour tous les cinq petits groupes de l'étranger qui, de fait, balancent également entre les liquidateurs et le Parti. Au temps de la vieille Iskra (1901-1903), ces hésitants et transfuges du camp des « économistes » dans celui des « iskristes », et vice versa, avaient reçu un surnom : les « transfuges de Touchino » (c'est ainsi qu'à l'Epoque trouble, dans la vieille Russie, on appelait les guerriers qui passaient d'un camp à l'autre). Lorsque nous parlons de liquidation, nous désignons un certain courant idéologique, formé pendant des années, et que ses racines rattachent — au cours des vingt années de l'histoire du marxisme — au « menchévisme » et à l'« économisme », à la politique et à l'idéologie d'une classe déterminée, la bourgeoisie libérale. Les « transfuges de Touchino » se déclarent au-dessus des fractions pour la seule raison qu'ils « empruntent » les idées, aujourd'hui à une fraction, demain à une autre. Trotski était un « iskriste » farouche en 1901-1903, et Riazanov a dit de lui qu'il avait joué au congrès de 1903 le rôle de « matraque de Lénine ». A la fin de 1903, Trotski est un farouche menchévik, c'est-à-dire qu'il avait passé des iskristes aux « économistes » ; il proclame : « entre la vieille Iskra et la nouvelle, il y a un abîme ». En 1904-1905 il quitte les menchéviks et occupe une position indécise : tantôt il collabore avec Martynov (un « économiste »), tantôt il proclame l'absurde théorie gauchiste de la « révolution permanente ». En 1906-1907, il se rapproche des bolcheviks, et au printemps de 1907 il se déclare solidaire de Rosa Luxembourg. A l'époque de désagrégation, après de longs flottements « non fractionnistes » il oblique de nouveau à droite et, en août 1912, il fait bloc avec les liquidateurs. Maintenant il s'en écarte à nouveau, mais au fond il reprend leurs petites idées. De tels types sont caractéristiques comme débris des formations historiques d'hier, lorsque le mouvement ouvrier de masse, en Russie, sommeillait encore et que le premier petit groupe venu avait « toute latitude » de figurer un courant, un groupe, une fraction, en un mot une « puissance » parlant de s'unir avec les autres. Il faut que la jeune génération ouvrière sache bien à qui elle a affaire, lorsqu'elle entend formuler des prétentions inouïes à des gens qui ne veulent absolument compter ni avec les décisions du Parti, lesquelles ont fixé et établi dès 1908 l'attitude à observer envers le courant de liquidation, ni avec l'expérience du mouvement ouvrier actuel de Russie, qui a créé en fait l'unité de la majorité en partant de la reconnaissance absolue des décisions indiquées. » (p. 278.)

 

 

 

 

Citations commentées de Trotski (1935-1940)

Tous les extraits ci-dessous proviennent du site trotskiste www.marxists.org — Nous donnons à chaque fois un petit commentaire entre crochets — V.G., 03/08/2008.

« De notre analyse découle une série de conclusions que nous exposons ici sous une forme concise : 1. Le Thermidor de la Grande Révolution Russe n'est pas devant nous, mais déjà loin en arrière. Les Thermidoriens peuvent célébrer, par exemple, le dixième anniversaire de leur victoire. 2. Le régime politique actuel de l'U.R.S.S. est un régime de bonapartisme "soviétique" (ou antisoviétique), plus proche par son type de l'Empire que du Consulat. 3. Par ses bases sociales et ses tendances économiques, l'U.R.S.S. continue à rester un Etat ouvrier. 4. La contradiction entre le régime politique du bonapartisme et les exigences du développement socialiste constitue la source la plus importante de crises intérieures et le danger le plus immédiat pour l'existence même de l'U.R.S.S. en tant qu'Etat ouvrier. (...) Cependant, dans certain cas, en parlant de bonapartisme, nous avons en vue un rapprochement historique plus concret. Ainsi, le régime de Staline, qui représente la traduction du bonapartisme dans le langage de l'Etat soviétique, révèle en même temps un certain nombre de traits supplémentaires de ressemblance avec le régime du consulat (ou de l'empire, mais sans couronne encore), et ce n'est pas par hasard: ces deux régimes sont venus à la suite de grandes révolutions et en ont été les usurpateurs. » (Trotski, L'Etat ouvrier, Thermidor et bonapartisme, 1935.)

[Trotski nous donne ici un aperçu parfait de ses conceptions anti-marxistes en autonomisant le pouvoir politique ('bonapartiste') de la base économique (socialiste). Trotski oppose ici (artificiellement) les masses travailleuses soviétiques à la direction bolchévik qui aurait usurpé le pouvoir...]

« Peut-on espérer que l'U.R.S.S. sortira de la prochaine guerre sans défaite? Répondons nettement à une question posée en toute netteté: si la guerre n'était qu'une guerre, la défaite de l'U.R.S.S. serait inévitable. Sous les rapports de la technique de l'économie et de l'art militaire, l'impérialisme est infiniment plus puissant que l'U.R.S.S. S'il n'est pas paralysé par la révolution en Occident, il détruira le régime né de la révolution d'Octobre. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[Trotski reformule ici sa théorie de la 'désespérance permanente' après l'accession des nazis au pouvoir : selon lui, sous tous les rapports, la défaite de l'URSS est inévitable dans une guerre. Pour lui, le seul salut de l'URSS se trouve du côté de la révolution socialiste en Occident. Les prédictions de notre Nostradamus ont été démenties par l'histoire : les travailleurs des pays impérialistes agresseurs n'ont pas réussi à faire la révolution, en revanche l'URSS, grâce au potentiel industriel édifié dans les années 1930 ainsi qu'à la cohésion de l'Etat multinational cimentée par le socialisme, a été capable de résister puis d'anéantir seule le gros des armées de l'impérialisme allemand. On imagine sans mal que ces prévisions de Trotski ont encouragé les pays impérialistes à déclarer la guerre à l'URSS.: ]

« La bureaucratie soviétique, rendons-lui cette justice, a acquis une vaste expérience dans le maniement des masses humaines, qu'il s'agisse de les endormir, de les diviser, de les affaiblir ou tout bonnement de les tromper afin d'exercer sur elles un pouvoir absolu. Mais, précisément pour cette raison, elle a perdu toute possibilité de leur donner une éducation révolutionnaire. Ayant étouffé la spontanéité de l'initiative des masses populaires dans son propre pays, elle ne peut pas susciter dans le monde la pensée critique et l'audace révolutionnaire. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[Selon Trotski les masses travailleuses soviétiques, opprimées par la 'bureaucratie' stalinienne, seraient ainsi plongées dans une sorte de léthargie... Tout est décidément perdu pour la 'caste bureaucratique' en cas d'agression de l'URSS...]

« La simple opposition des cultivateurs individuels aux kolkhozes et des artisans à l'industrie étatisée ne donne pas la moindre idée de la puissance explosive de ces appétits qui pénètrent toute l'économie du pays et s'expriment, pour parler sommairement, dans la tendance de tous et de chacun à donner le moins possible à la société et à en tirer le plus possible. (...) L'appui de l'Etat au paysan cossu (1923-1928) constituait un danger mortel pour l'avenir du socialisme. Mais la bureaucratie, aidée de la petite bourgeoisie, réussit à ligoter l'avant-garde prolétarienne et à écraser l'opposition bolchevique. Ce qui était "erreur" du point de vue socialiste était bénéfice net du point de vue des intérêts de la bureaucratie. Cependant, quand le koulak commença à la menacer elle-même, elle se retourna contre lui. L'extermination panique des paysans aisés, étendue aux paysans moyens, ne coûta pas moins cher au pays qu'une invasion étrangère. La bureaucratie maintint ses positions. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[On a ici une illustration concrète d'un procédé fréquemment employé par Trotski : la falsification historique des faits élémentaires (reprise en choeur par l'historiographie bourgeoise) : jamais les bolchéviks n'ont appuyé les koulaks. Ils ont adopté des mesures économiques limitatives dans un premier temps, avant de passer à leur refoulement économique (la collectivisation socialiste basée sur la mécanisation de l'agriculture) dès que les conditions matérielles furent réunies. C'est alors seulement que les koulaks entreprirent la lutte ouverte contre le pouvoir soviétique. La paysannerie travailleuse (pauvre et moyenne), n'exploitant pas le travail salarié fut non pas hostile mais enthousiaste face à ce mouvement qui lui permit de sortir d'une arriération séculaire et de s'affranchir du pouvoir des koulaks. Contrairement à ce qu'affirme Trotski (et la bourgeoisie internationale à sa suite, soucieuse de grossir le nombre des 'victimes' du socialisme), les paysans moyens ne furent pas exterminés. Il y eut certes des erreurs commises localement, d'ailleurs reconnues par Staline lui-même, mais elles ne touchèrent pas la grande masse des paysans moyens.]

« La bureaucratie est-elle une classe dirigeante ? Les classes sont définies par leur place dans l'économie sociale et avant tout par rapport aux moyens de production. Dans les sociétés civilisées, la loi fixe les rapports de propriété. La nationalisation du sol, des moyens de production, des transports et des échanges, et aussi le monopole du commerce extérieur forment les bases de la société soviétique. Et cet acquis de la révolution prolétarienne définit à nos yeux l'U.R.S.S. comme un Etat prolétarien.  Par sa fonction de régulatrice et d'intermédiaire, par le souci qu'elle a de maintenir la hiérarchie sociale, par l'exploitation à ses propres fins de l'appareil de l'Etat, la bureaucratie soviétique ressemble à toute autre bureaucratie et surtout à celle du fascisme. Mais elle s'en distingue aussi par des traits d'une extrême importance. Sous aucun autre régime, la bureaucratie n'atteint à une pareille indépendance. Dans la société bourgeoise, la bureaucratie représente les intérêts de la classe possédante et instruite qui dispose d'un grand nombre de moyens de contrôle sur ses administrations. La bureaucratie soviétique s'est élevée au-dessus d'une classe qui sortait à peine de la misère et des ténèbres et n'avait pas de traditions de commandement et de domination. Tandis que les fascistes, une fois arrivés à la mangeoire, s'unissent à la bourgeoisie par les intérêts communs, l'amitié, les mariages, etc., la bureaucratie de l'U.R.S.S. s'assimile les moeurs bourgeoises sans avoir à côté d'elle une bourgeoisie nationale. En ce sens on ne peut nier qu'elle soit quelque chose de plus qu'une simple bureaucratie. Elle est la seule couche sociale privilégiée et dominante, au sens plein des termes, dans la société soviétique.  Une autre particularité n'est pas moins importante. La bureaucratie soviétique a politiquement exproprié le prolétariat pour défendre par ses propres méthodes les conquêtes sociales du prolétariat. Mais le fait même qu'elle se soit approprié le pouvoir dans un pays où les moyens de production les plus importants appartiennent à l'Etat, crée entre elle et les richesses de la nation des rapports entièrement nouveaux. Les moyens de production appartiennent à l'Etat. L'Etat "appartient " en quelque sorte à la bureaucratie. Si ces rapports, encore tout à fait récents, se stabilisaient, se légalisaient, devenaient normaux sans résistance ou contre la résistance des travailleurs, ils finiraient par la liquidation complète des conquêtes de la révolution prolétarienne. Mais cette hypothèse est encore prématurée. Le prolétariat n'a pas encore dit son dernier mot. La bureaucratie n'a pas créé de base sociale à sa domination, sous la forme de conditions particulières de propriété. Elle est obligée de défendre la propriété de l'Etat, source de son pouvoir et de ses revenus. Par cet aspect de son activité, elle demeure l'instrument de la dictature du prolétariat. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[Trotski s'emmêle ici encore une fois dans ses spéculations sur 'l'Etat ouvrier dégénéré' : selon lui, la bureaucratie qui a politiquement exproprié le prolétariat pour s'assurer des privilèges demeure pourtant l'instrument de la dictature du prolétariat !... Pour nous, au contraire, si la bureaucratie avait alors réellement exproprié le prolétariat et s'était affranchie de son contrôle, alors elle serait constituée en une nouvelle bourgeoisie monopoliste d'Etat, aboutissant ainsi à restaurer les mécanismes économiques capitalistes dans toute l'économie.]

« L'U.R.S.S. est une société intermédiaire entre le capitalisme et le socialisme, dans laquelle : a) les forces productives sont encore trop insuffisantes pour donner à la propriété d'Etat un caractère socialiste ; b) le penchant à l'accumulation primitive, né du besoin, se manifeste à travers tous les pores de l'économie planifiée ; c) les normes de répartition, de nature bourgeoise, sont à la base de la différenciation sociale ; d) le développement économique, tout en améliorant lentement la condition des travailleurs, contribue à former rapidement une couche de privilégiés ; e) la bureaucratie, exploitant les antagonismes sociaux, est devenue une caste incontrôlée, étrangère au socialisme ; f) la révolution sociale, trahie par le parti gouvernant, vit encore dans les rapports de propriété et dans la conscience des travailleurs ; g) l'évolution des contradictions accumulées peut aboutir au socialisme ou rejeter la société vers le capitalisme ; h) la contre-révolution en marche vers le capitalisme devra briser la résistance des ouvriers ; i) les ouvriers marchant vers le socialisme devront renverser la bureaucratie. La question sera tranchée en définitive par la lutte de deux forces vives sur les terrains national et international. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[Ici, Trotski fait dépendre le caractère socialiste de la propriété d'Etat du développement des forces productives, une conception hérités des opportunistes de la IIème internationale et du menchévisme, et qui sera reprise par tous les opportunistes pour justifier une étape intermédiaire pour aller au socialisme. Trotski refait une charge contre la caste bureaucratique 'étrangère au socialisme'. On se demande pourquoi le développement 'incontrôlé" de cette caste n'a pas encore rétabli les rapports de production bourgeois !]

« Le bonapartisme soviétique est dû, en dernier lieu, au retard de la révolution mondiale. La même cause a engendré le fascisme dans les pays capitalistes. Nous arrivons à une conclusion à première vue inattendue, mais en réalité irréprochable, et c'est que l'étouffement de la démocratie soviétique par la bureaucratie toute-puissante et les défaites infligées à la démocratie en d'autres pays sont dus à la lenteur dont le prolétariat mondial fait preuve dans l'accomplissement de la tâche que lui assigne l'histoire. En dépit de la profonde différence de leurs bases sociales, le stalinisme et le fascisme sont des phénomènes symétriques. Par bien des traits ils se ressemblent d'une façon accablante. Un mouvement révolutionnaire victorieux en Europe ébranlerait aussitôt le fascisme et aussi le bonapartisme soviétique. La bureaucratie stalinienne a raison, quant à elle, de tourner le dos à la révolution internationale ; elle obéit, ce faisant, à l'instinct de conservation. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[Ici Trotski met en parallèle fascisme et 'stalinisme' (comparaison grossière reprise par de nombreux idéologues bourgeois), ce qui se comprend à la vue de sa conception petite-bourgeoise de la démocratie. Le 'stalinisme' comme le fascisme ont effectivement un point commun : celui de proclamer hautement leur caractère de dictature d'une classe sociale ! Le fascisme, c'est la dictature ouverte du Capital et le stalinisme, celle des travailleurs !]

« Dans les premiers temps du régime soviétique, le parti servit de contrepoids à la bureaucratie. Elle administrait l'Etat, le parti la contrôlait. Veillant avec zèle à ce que l'inégalité ne passât point les limites du nécessaire, le parti était toujours en lutte ouverte ou voilée avec la bureaucratie. Le rôle historique de la fraction stalinienne fut de faire cesser cette dualité en subordonnant le parti à ses propres bureaux et en faisant fusionner les bureaux du parti et ceux de l'Etat. Ainsi s'est créé le régime totalitaire actuel. La victoire de Staline s'est trouvée assurée du fait du service définitif qu'il rendait à la bureaucratie. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[On a ici encore une illustration de l'un des leitmotiv de Trotski : son acharnement à lutter contre le danger de 'bureaucratisation' du Parti dès lors qu'il se trouve mis en minorité ('tant que moi, Trotski, était là, il y avait dualité de pouvoir, du jour où j'ai été évincé par la 'fraction' stalinienne ('fraction' qui groupait l'immense majorité du Parti comme le reconnaîtra lui-même Trotski), les bureaucrates triomphèrent et fut crée le 'totalitarisme' stalinien !]

« Les thermidoriens mettent à proscrire les révolutionnaires toute la haine que leur inspirent des hommes qui leur rappellent le passé et leur font craindre l'avenir. Les bolcheviks les plus fermes et les plus fidèles, la fleur du parti, sont dans les prisons, les coins perdus de la Sibérie et de l'Asie centrale, les nombreux camps de concentration.  (...) Combien de bolcheviks ont été exclus, arrêtés, déportés, exterminés à partir de 1923, l'année où s'ouvre l'ère du bonapartisme, nous ne le saurons que le jour où s'ouvriront les archives de la police politique de Staline. Combien demeurent dans l'illégalité, nous ne le saurons que le jour où commencera l'effondrement du régime bureaucratique. Quelle importance peuvent avoir vingt ou trente mille opposants dans un parti de deux millions de membres? Sur ce point, la simple confrontation des chiffres n'est pas parlante. Il suffit d'une dizaine de révolutionnaires dans un régiment pour le faire passer, dans une atmosphère surchauffée, du côté du peuple. Ce n'est pas sans raison que les états-majors ont une peur bleue des petits groupes clandestins et même des militants isolés. Cette peur-là, qui fait trembler la bureaucratie stalinienne, explique la cruauté de ses proscriptions et la bassesse de ses calomnies. » (Trotski, La révolution trahie, 1936.)

[Trotski prend donc sous son aile la 'fine fleur' du Parti bolchévik constituée par les deux ou trois dizaines de milliers de fractionnistes, d'opposants et de saboteurs de toute espèce contre... les deux millions de membres ayant décidé de soutenir la 'fraction' stalinienne... Et notre romancier Trotski d'affirmer que 'la simple confrontation des chiffres' ne signifie rien... Cela n'est pas sans rappeler ces pratiques de charlatan de Trotski que Lénine dénonçait déjà en 1914...]

« Si cette guerre provoque, comme nous le croyons fermement, la révolution prolétarienne, elle entraînera inévitablement le renversement de la bureaucratie en U.R.S.S. et la résurrection de la démocratie soviétique, sur des bases économiques et culturelles infiniment plus hautes qu'en 1918. Dans ce cas la question de savoir si la bureaucratie stalinienne est une "classe" ou une excroissance sur l'Etat ouvrier se résoudra d'elle-même. » (Trotski, L'U.R.S.S. dans la guerre, 25 septembre 1939.)

[L'histoire de l'agression de l'impérialisme allemand et sa défaite n'ont fait que démontrer l'attachement des peuples de l'URSS à la bureaucratie stalinienne...]

« Même si les divers gouvernements fascistes réussissaient à établir chez eux un système d'économie planifiée, alors, à part l'éventualité, à la longue, d'inévitables mouvements révolutionnaires du prolétariat qu'aucun plan ne saurait prévoir, la lutte entre les Etats totalitaires pour la domination mondiale continuerait et même s'intensifierait de façon erronée. Des guerres dévoreraient les fruits de l'économie planifiée et détruiraient les fondements de la civilisation. » (Trotski, L'U.R.S.S. dans la guerre, 25 septembre 1939.)

[Trotski se perd une fois encore dans ses élucubrations anti-matérialistes : comment un marxiste peut-il envisager un seul instant que le capitalisme, fut-ce sous la forme du capitalisme monopoliste d'Etat (même soutenu par un régime fasciste), puisse créer une économie planifiée ? Ignorant tout de l'économie politique marxiste — et ayant plagié Keynes — Trotski divinise le grossier interventionnisme de l'Etat bourgeois et ne comprend pas que la production marchande rend impossible toute planification de l'économie, car créant nécessairement un déséquilibre entre la production et la consommation des masses travailleuses, à l'origine du manque de débouchés et de la concurrence. Il est vrai que si Trotski avait compris ceci, le caractère socialiste de l'URSS de Staline aurait été évident pour lui...]

« L'attitude de Moscou qui a dépassé toutes les bornes permises du cynisme et de la lâcheté suscite chez tout prolétaire révolutionnaire la plus violente indignation. Cette indignation engendre à son tour un besoin de réagir. Quand les moyens d'une action directe font défaut, les révolutionnaires impatients sont portés à recourir à des méthodes artificielles. C'est ainsi que naît, par exemple, la tactique de la terreur individuelle. Le plus souvent, les gens recourent à de gros mots, à des jurons et à des malédictions. Dans notre cas particulier, certains camarades ont manifestement tendance à chercher leur satisfaction dans la "terreur" terminologique. Cependant, et même en se plaçant à ce point de vue, il est faux de coller sur la bureaucratie l'étiquette de "classe". Si la canaille bonapartiste constitue une classe, cela signifie qu'elle est non pas un avorton accidentel, mais un enfant viable de l'histoire. Si son maraudage et son parasitisme constituent une "exploitation" au sens scientifique du terme, cela signifie que la bureaucratie a, devant elle, un avenir historique en tant que classe dirigeante indispensable dans le système économique. Voici à quoi mène l'indignation impatiente quand elle se libère de la discipline marxiste. Quand un mécanicien nerveux examine une auto qui a servi, par exemple, à des gangsters pour échapper à la poursuite de la police sur une route défoncée, et qu'il découvre un châssis déformé, des roues tordues et un moteur partiellement détérioré, il est parfaitement en droit de dire: "ce n'est pas une voiture, c'est une ruine". Une semblable définition n'aura aucun caractère scientifico-technique, mais elle exprimera l'indignation légitime du mécanicien devant l'oeuvre des gangsters. Imaginons pourtant que ce même mécanicien soit appelé à réparer l'objet qu'il a traité de "ruine". Dans ce cas, il partira de la constatation qu'il a devant lui une voiture détériorée. Il déterminera les parties saines et les parties abîmées pour décider de la façon d'entreprendre la réparation. C'est la même attitude qu'un ouvrier conscient adoptera vis-à-vis de l'U.R.S.S. Il est parfaitement en droit de dire que les gangsters de la bureaucratie ont transformé l'Etat ouvrier en une "ruine". Mais, quand il passe de cette explosion d'indignation à l'étude du problème politique, il est bien obligé de reconnaître qu'il a devant lui un Etat ouvrier faussé, dont le moteur économique est endommagé, mais qui continue à tourner et pourrait être réparé complètement par le remplacement de quelques pièces. Bien sûr, ce n'est qu'une comparaison. Mais elle mérite qu'on y réfléchisse. » (Trotski, Encore une fois sur la nature de l'U.R.S.S., 18 octobre 1939.)

[Ici Trotski persiste dans la défense de l'indéfendable théorie de 'l'Etat ouvrier dégénéré', au moyen d'une comparaison véritablement stupide, mais nécessaire à Trotski pour se poser en roue de secours : selon Trotski le moteur économique de l'URSS 'en ruine' aurait beaucoup à gagner en changeant sa direction politique ! Pour Trotski, cette réparation ne serait que l'affaire du changement de quelques pièces défectueuses (la 'caste stalinienne'). Trotski a peur de parler d'une 'classe', sachant bien que lui et sa fraction ne pourraient pas venir à bout de plus de quelques pièces (avec ses méthodes de conspirateurs). Or ce qu'a justement prouvé la contre-révolution bourgeoise des khrouchtchéviens, c'est que la déviation bourgeoise-nationaliste possède un certain avenir historique, une fois qu'elle a triomphé ! Il a ainsi fallu trente ans pour que la tendance nationaliste et social-impérialiste cède la place à la tendance bourgeoise-compradore de soumission à d'autres pays impérialistes.]

« A Brest-Litovsk, l'Etat soviétique a sacrifié l'indépendance nationale de l'Ukraine dans le but de sauver l'Etat ouvrier. Il ne pouvait alors être question de parler de trahison à l'égard de l'Ukraine, car tous les travailleurs conscients comprenaient le caractère forcé de ce sacrifice. La question de la Pologne se présente d'une toute autre façon. Le Kremlin lui-même n'a jamais et nulle part affirmé qu'il avait été contraint de sacrifier la Pologne. Au contraire, il s'est vanté cyniquement de sa "combinaison", qui constitue vraiment une injure aux sentiments démocratiques les plus élémentaires des classes et peuples opprimés de la terre entière et qui, par là-même, affaiblit considérablement la situation internationale de l'Union soviétique. Ce que ne peuvent compenser, même au dixième, les transformations effectuées dans les régions occupées. D'une façon générale, on peut dire que la politique extérieure du Kremlin est fondée sur l'embellissement frauduleux de l'impérialisme "ami" ; et elle sacrifie ainsi les intérêts essentiels du mouvement ouvrier international au profit d'avantages secondaires et instables. Après avoir, pendant cinq ans, abruti les travailleurs avec le mot d'ordre de "défense des démocraties", voici que Moscou se donne comme tâche d'enjoliver la politique de gangster de Hitler. Cela ne transforme pas encore l'U.R.S.S. en un Etat impérialiste. Mais Staline et son Internationale communiste sont maintenant sans aucun doute les précieux agents de l'impérialisme. Si nous voulons donner une définition exacte de la politique extérieure du Kremlin, nous dirons que c'est la politique de la bureaucratie bonapartiste d'un Etat ouvrier dégénéré encerclé par l'impérialisme. » (Trotski, Encore une fois sur la nature de l'U.R.S.S., 18 octobre 1939.)

[Pour Trotski, en signant le pacte de non-agression, 'l'Etat ouvrier dégénéré' est devenu un précieux 'agent de l'impérialisme' ! Aveuglé par sa haine de l'URSS, Trotski ne veut pas comprendre la nécessité de ce pacte pour l'URSS. Pourtant, sa signature a paru naturelle à de nombreuses personnalités politiques et militaires bourgeoises. En effet, l'URSS ayant échoué à entraîner les 'démocraties' occidentales à forcer Hitler à reculer en 1938 quand elles en avaient les moyens, les dirigeants bourgeois polonais ayant refusé de signer un pacte bilatéral avec l'URSS (sous la pression anglo-française), il ne restait plus à l'URSS qu'à accepter le pacte de non-agression proposé par les nazis, ce pacte lui donnant un précieux répit pour renforcer sa défense.]

 

 

 

Le "testament" de Lénine

(Passages extraits du livre Un autre regard sur Staline de Ludo Martens, pp. 32-39.)

Si Trotski avait connu sa brève heure de gloire en 1919, au cours de la guerre civile, il est incontestable qu'en 1921-1923 Staline était la deuxième personnalité du Parti, après Lénine.

Depuis le Huitième Congrès en 1919, Staline était membre du bureau politique, à côté de Lénine, Kaménev, Trotski et Krestinsky. Cette composition resta inchangée jusqu'en 1921. Staline fut également membre du bureau d'organisation, composé lui aussi de cinq membres du Comité central. (Ian Grey, Stalin, Man of History, Abacus, Sphere Books Ltd, 1982, Great Britain, p. 151.) Lorsqu'au Onzième Congrès, en 1922, Préobrajenski critiqua le fait que Staline dirigeât le Commissariat aux nationalités ainsi que l'Inspection ouvrière et paysanne (chargée de contrôler tout l'appareil d'Etat), Lénine lui répondit :

« Il nous faut un homme que n'importe quel représentant des nationalités puisse aller trouver pour lui raconter en détail ce qui se passe. Préobrazenski ne pourrait pas proposer une autre candidature que celle de Staline. Il en va de même pour l'Inspection ouvrière et paysanne. C'est un travail gigantesque. Il faut qu'il y ait à la tête un homme qui a de l'autorité, sinon nous allons nous embourber. » (Lénine, Oeuvres, Tome XXXIII, Moscou, 1963, pp.320-321.)

Le 23 avril 1922, sur proposition de Lénine, Staline fut aussi nommé à la tête du secrétariat comme secrétaire général. (Grey, op.cit., p.159.) Staline fut la seule personne à faire partie du Comité central, du bureau politique, du bureau organisationnel et du secrétariat du Parti bolchevik.

Lénine avait subi une première attaque de paralysie en mai 1922. Le 16 décembre 1922, il eut une nouvelle attaque grave. Les médecins savaient qu'il ne s'en remettrait plus. Le 24 décembre, les médecins dirent à Staline, Kaménev et Boukharine, les représentants du bureau politique, que toute controverse politique pouvait provoquer une nouvelle attaque, fatale cette fois. Ils décidèrent que Lénine « a le droit de dicter chaque jour pendant cinq à dix minutes. Il ne peut pas recevoir de visiteurs politiques. Ses amis et ceux qui l'entourent ne peuvent pas l'informer des affaires politiques ». (Ibidem, p.171.) Le bureau politique avait chargé Staline des relations avec Lénine et avec les médecins. C'était une tâche ingrate puisque Lénine ne pouvait pas ne pas se sentir frustré au plus haut point en raison de sa paralysie et de son éloignement des affaires politiques. Son irritation devait nécessairement se tourner contre l'homme chargé de la liaison avec lui. Ian Grey écrit :

« Le journal que les secrétaires de Lénine ont tenu du 21 novembre 1922 au 6 mars 1923 contient jour après jour les détails de son travail, de ses visites, de sa santé et, après le 13 décembre, il contient ses moindres actions. Lénine, la jambe et le bras droits paralysés, devait alors rester au lit, coupé des affaires gouvernementales et, en fait, du monde extérieur. Les médecins interdisaient qu'on le dérange. Incapable de renoncer aux habitudes du pouvoir, Lénine se battait pour obtenir les dossiers qu'il vou­lait. Il s'appuyait sur sa femme, Kroupskaïa, sa soeur, Maria Ilyichna et trois ou quatre secrétaires. » (Ibidem, p. 172.)

Habitué à diriger tous les aspects essentiels de la vie du Parti et de l'Etat, Lénine tenta désespérément d'intervenir dans les débats dont, physiquement, il ne pouvait plus maîtriser tous les éléments. Les médecins lui interdirent tout travail politique, ce qui l'agaçait fortement. Sentant sa fin proche, Lénine chercha à régler des questions qu'il jugeait essentielles mais qu'il ne maîtrisait plus. Le bureau politique lui interdisait tout travail politique stressant, mais sa femme s'efforçait de lui procurer les documents qu'il demandait. Tout médecin ayant connu de telles situations dira que des conflits psychologiques et personnels pénibles étaient inévitables. Vers la fin de décembre 1922, Kroupskaïa avait écrit une lettre que Lénine lui avait dictée. Staline l'en réprimanda par téléphone. Elle se plaignit auprès de Lénine et de Kaménev. « Je sais mieux que les médecins ce qu'on peut dire et ne pas dire à Ilyich, parce que je sais ce qui le dérange et ce qui ne le dérange pas et de toute façon, je sais cela mieux que Staline. » (Ibidem, p. 173.) A propos de cette période, Trotski écrit :

« Au milieu de décembre 1922, la santé de Lénine empira de nouveau. Staline agit immédiatement pour tirer profit de la situation en cachant à Lénine une grande partie des informations centralisées au secrétariat du Parti. Il s'efforçait de l'isoler. Kroupskaïa faisait tout ce qu'elle pouvait pour défendre le malade contre ces manoeuvres hostiles. » (Trotski, Ma vie, Gallimard, Livre de Poche, 1966, p. 260.)

Ce sont des paroles inqualifiables, dignes d'un intrigant. Les médecins avaient défendu que Lénine reçoive des rapports, et voilà que Trotski accuse Staline de procéder à des « manoeuvres hostiles » contre Lénine et de lui « cacher des informations » ! C'est dans ces circonstances que, du 23 au 25 décembre 1922, a été dicté ce que les ennemis du communisme appellent « le testament de Lénine ». Ces notes sont suivies d'un post-scriptum daté du 5 janvier 1923. Les auteurs bourgeois font grand cas de ce prétendu « testament » de Lénine dont le but aurait été d'éliminer Staline en faveur de Trotski. Henri Bernard, professeur émérite de l'Ecole royale militaire, écrit :

« Trotski devait normalement succéder à Lénine. Lénine pensait à lui comme successeur. Il trouvait Staline trop brutal. » (Henri Bernard, Le communisme et l'aveuglement occidental, Ed. Grisard, Soumagne, Belgique, 1982, p.48.)

Le trotskiste américain Max Eastman publia en 1925 le « testament » accompagné de propos élogieux à l'adresse de Trotski. A cette époque, Trotski se vit obligé de publier une mise au point dans la revue Bolchevik où il dit :

« Eastman affirme que le Comité central a caché le prétendu 'Testament' au Parti ; on ne peut appeler cela autrement qu'une calomnie contre le Comité central de notre Parti.(...) Vladimir Ilyitch n'a laissé aucun 'testament' et le caractère même de ses rapports avec le Parti, ainsi que le caractère du Parti lui-même exclut toute idée de 'testament'. Généralement, la presse des émigrés et la presse étrangère bourgeoise et menchevique désignent sous ce nom, en la déformant au point de la rendre méconnaissable, une des lettres de Vladimir Ilyitch qui contient des conseils d'ordre organisationnel. Le XIIIe Congrès du Parti l'a traitée avec la plus grande attention. Tout le bavardage selon lequel on a caché ou rejeté un 'Testament' sont des inventions malveillantes. » (Staline, Werke 10, Rede 23 Oktober 1927, Dietz-Verlag, 1950, p.152. Voir aussi : Gérard Walter, Lénine, éd. Albin Michel, 1971, p.472.)

Quelques années plus tard, ce même Trotski, dans son autobiographie, poussera des cris d'indignation à propos du « Testament de Lénine que l'on cache au Parti » ! (Trotski, Ma vie, op.cit., p.54.)

Venons-en à ces fameuses notes que Lénine dicta entre le 23 décembre 1922 et le 5 janvier 1923. Lénine propose d'élargir le Comité central « à une centaine de membres  » :

« Ce serait nécessaire pour accroître l'autorité du Comité central et pour améliorer sérieusement notre appareil, ainsi que pour empêcher que les conflits de certains petits groupes du Comité central puissent prendre une trop grande importance. Notre Parti peut bien demander pour le Comité central 50 à 100 membres à la classe ouvrière. »

Il s'agit de « mesures à prendre contre la scission » :

« Le point essentiel dans le problème de la cohésion, c'est l'existence de membres du Comité central tels que Staline et Trotski. Les rapports entre eux constituent à mon sens le principal danger de cette scission. »

Voilà pour la partie « théorique ». Ce texte est d'une incohérence étonnante, manifestement dicté par un homme malade et diminué. En quoi cinquante à cent ouvriers, ajoutés au Comité central, pourraient-ils « accroître son autorité » ou diminuer le danger de scission ? Ne disant rien des conceptions politiques et des conceptions du Parti de Staline et de Trotski, Lénine affirme que ce sont les rapports personnels entre ces deux dirigeants qui menacent l'unité. Puis Lénine émet des « jugements » sur les cinq principaux dirigeants du Parti. Nous les citons presque intégralement.

« Le camarade Staline, devenu secrétaire général, a concentré entre ses mains un pouvoir démesuré, et je ne suis pas sûr qu'il puisse toujours s'en servir avec assez de circonspection.  

D'autre part, le camarade Trotski, comme l'a déjà montré sa lutte contre le Comité central dans la question du Commissariat du peuple des voies de communication, ne se fait pas remarquer seulement par des capacités éminentes. Il est peut-être l'homme le plus capable de l'actuel Comité central, mais il pèche par excès d'assurance et par un engouement exagéré pour le côté purement administratif des choses.

Ces deux qualités des deux chefs éminents du Comité central actuel seraient capables d'amener incidemment la division.(...) Je me contenterai de rappeler que l'épisode d'octobre de Zinoviev et de Kaménev n'était assurément pas un fait accidentel, mais qu'il ne faut pas davantage leur imputer ce crime à titre personnel que le non-bolchévisme de Trotski.

Boukharine n'est pas seulement un théoricien de très haute valeur, parmi les plus marquants du Parti : il jouit à bon droit de l'affection du Parti tout entier. Cependant, ses vues théoriques ne peuvent être tenues pour parfaitement marxistes qu'avec la plus grande réserve, car il y a en lui quelque chose de scolastique (il n'a jamais étudié et, je le présume, n'a jamais compris entièrement la dialectique). »

Remarquons tout d'abord que le premier dirigeant à être nommé par Lénine est Staline, « cet empirique destiné à jouer des rôles de deuxième et de troisième ordre », comme le dit Trotski. (Ibidem, p.583.) Trotski dira encore :

« Le sens du Testament est la création de conditions qui m'auraient donné la possibilité de devenir remplaçant de Lénine, d'être son successeur. » (Ibidem, p.552.)

Or, rien de semblable ne figure dans ces brouillons de Lénine. Grey dit ajuste titre :

« Staline émerge dans la meilleure lumière. Il n'a rien fait pour salir son bilan politique. Le seul point d'interrogation est : pourra-t-il faire preuve d'un bon jugement dans l'exercice des larges pouvoirs concentrés dans ses mains ? » (Grey, op.cit., p.176.)

En ce qui concerne Trotski, Lénine note quatre défauts majeurs : il a des côtés fort mauvais, comme l'a montré sa lutte contre le Comité central dans l'affaire de la « militarisation des syndicats » ; il a une idée exagérée de lui-même ; il aborde les problèmes de façon bureaucratique et son non-bolchevisme n'est pas un fait accidentel. Sur Zinoviev et Kaménev, la seule chose que Lénine retient est que leur trahison au moment de l'insurrection n'était pas un hasard. Boukharine est un grand théoricien... dont les idées ne sont pas parfaitement marxistes, mais plutôt scolastiques et non dialectiques !

Lénine a dicté ces notes dans l'intention d'éviter une scission à la direction. Mais les propos qu'il tient à l'adresse des cinq dirigeants principaux semblent faits pour miner leur prestige et pour les brouiller entre eux. Lorsqu'il dicta ces lignes, « Lénine se sentait mal », écrit Fotieva, sa secrétaire, et « les médecins s'opposèrent aux entretiens de Lénine avec sa secrétaire et la sténographe ». (Fotieva, Souvenirs sur Lénine, Ed. Moscou, non daté, pp.152-153.)

Puis, dix jours plus tard, Lénine dicta un « complément » qui fait apparemment référence à la réprimande que Staline avait adressée à Kroupskaïa douze jours auparavant.

« Staline est trop brutal et ce défaut parfaitement tolérable dans notre milieu et dans les relations entre nous, communistes, ne l'est plus dans les fonctions de secrétaire général. Je propose donc aux camarades d'étudier un moyen pour démettre Staline de ce poste et pour nommer à sa place une autre personne qui n'aurait en toutes choses sur le camarade Staline qu'un seul avantage, celui d'être plus tolérant, plus loyal, plus poli et plus attentif envers les camarades, d'humeur moins capricieuse, etc. Ces traits peuvent sembler n'être qu'un infime détail. Mais, à mon sens, pour nous préserver de la scission et en tenant compte de ce que j'ai écrit plus haut sur les rapports de Staline et de Trotski, ce n'est pas un détail, ou bien c'en est un qui peut prendre une importance décisive. »

Gravement malade, à moitié paralysé, Lénine est de plus en plus dépendant de sa femme. Quelques mots trop rudes de Staline à Kroupskaïa l'amènent à demander la démission du secrétaire général. Pour le remplacer par qui ? Par un homme qui a toutes les qualités de Staline et « un seul avantage » en plus: être plus tolérant, poli et attentif ! Il ressort clairement du texte que Lénine ne pense surtout pas à Trotski. A qui alors ? A personne. La « brutalité » de Staline est « parfaitement tolérable entre communistes »... mais elle ne l'est pas « en sa fonction de secrétaire général ». Pourtant, à l'époque, le secrétaire général s'occupait essentiellement des questions d'organisation interne du parti !

En février 1923, « l'état de Lénine avait empiré, il souffrait de violents maux de tête. Le médecin lui avait catégoriquement défendu la lecture des journaux, les visites et les informations politiques. Vladimir Ilyitch demanda le compte rendu du Xe Congrès des Soviets. On ne le lui donna pas et cela le chagrina beaucoup ». (Ibidem, pp. 173-174.) Apparemment, Kroupskaïa essaya de se procurer les documents que Lénine demandait. Dimitrievsky rapporta un nouvel incident entre elle et Staline :

« Comme Kroupskaïa lui téléphonait une fois encore pour obtenir de lui quelque information, Staline lui répondit dans un langage outrageant. Kroupskaïa, tout en larmes, alla immédiatement se plaindre à Lénine. Celui-ci, dont les nerfs étaient déjà tendus au plus haut point, ne put se contenir plus longtemps. » (Trotski, Staline, Union Générale d'Editions, coll. 10-18, Paris, 1979, p.261.)

Le 5 mars, Lénine dicta une nouvelle note :

« Respecté camarade Staline. Vous avez eu la rudesse de convoquer ma femme au téléphone pour la réprimander. Je n'ai pas l'intention d'oublier aussi vite ce qui est fait contre moi, et inutile de souligner que je considère que ce qui est fait contre ma femme est fait aussi contre moi. Pour cette raison, je demande que vous pesiez sérieusement si vous acceptez de retirer ce que vous avez dit et de présenter vos excuses, où si vous préférez rompre les relations entre nous. Lénine. » (Grey, op.cit., p.179.)

Il est assez pénible de lire cette lettre privée d'un homme qui est physiquement à bout. Kroupskaïa elle-même demanda à la secrétaire de ne pas transmettre cette note à Staline. (Ibidem, p.179.) Ce sont d'ailleurs les dernières lignes que Lénine a pu dicter : le lendemain, il eut un grave accès de sa maladie et il fut incapable de tout travail pour le reste de ses jours. (Fotieva, op.cit., p.175.)

Que Trotski se voie obligé d'exploiter les paroles d'un malade au bord de la paralysie totale montre bien la physionomie morale de cet individu. En effet, en véritable faussaire, Trotski a présenté ce texte comme la preuve finale que Lénine l'avait bel et bien choisi comme successeur ! Il écrit :

« Cette note, le dernier texte de Lénine, est en même temps la conclusion définitive de ses relations avec Staline. » (Trotski, Staline, II, p.262.)

Des années plus tard, en 1927, l'opposition unifiée de Trotski, Zinoviev et Kaménev tenta une nouvelle fois d'utiliser le « testament » contre la direction du Parti. Dans une déclaration publique, Staline put alors dire ceci :

« Les opposants ont soulevé ici une grande clameur et ils ont prétendu que le Comité central du Parti a 'caché' le 'Testament' de Lénine. Cette question a été traitée plusieurs fois lors des plénums du Comité central et de la Commission centrale de contrôle. (Une voix : 'Des milliers de fois !') Il a été prouvé et encore prouvé que personne ne cache quoi que ce soit, que ce 'testament' de Lénine fut adressé au XIIIe Congrès, que ce 'Testament' a été lu à ce Congrès (Une voix : 'Absolument') et que le Parti a décidé à l'unanimité de ne pas le publier, entre autres parce que Lénine lui-même ne l'avait pas voulu et souhaité. » « On dit que, dans ce 'Testament', Lénine a proposé qu'on discute, au vu de la 'grossièreté' de Staline, si on ne pouvait pas remplacer Staline comme secrétaire général par un autre camarade. Cela est tout à fait exact. Oui, camarades, je suis grossier envers ceux qui brisent et divisent le Parti de façon grossière et traîtresse. Déjà lors de la première session du plénum du Comité central après le XIIIe Congrès, j'ai demandé que le plénum me décharge de ma fonction de secrétaire général. Le Congrès lui-même avait traité de cette question. Chaque délégation a traité cette question et toutes les délégations, parmi lesquelles Trotski, Zinoviev et Kaménev, ont obligé Staline à rester à son poste. Une année plus tard, j'ai adressé à nouveau une demande au plénum pour me décharger de ma fonction, mais on m'a obligé à nouveau de rester à mon poste. » (Staline, op.cit., pp.151, 153.)

Comme si toutes ces intrigues autour du « testament » ne suffisaient pas, Trotski n'a pas hésité, à la fin de sa vie, à accuser Staline d'avoir tué Lénine !

Pour étayer cette révélation inqualifiable, il avance comme seul et unique argument « sa ferme conviction » !

Dans son livre Staline, Trotski écrit :

« Quel fut le rôle réel de Staline au temps de la maladie de Lénine ? Le 'disciple' ne fit-il rien pour hâter la mort de son 'maître' ? (...) Seule la mort de Lénine pouvait laisser la voie libre pour Staline. (...) Je suis fermement convaincu que Staline n'aurait pu attendre passivement alors que son destin était enjeu. » (Trotski, Staline, II, pp.258, 264, 273.)

Bien sûr, Trotski ne nous fournit aucune preuve à l'appui de cette accusation, mais il nous apprend toutefois comment l'idée lui est venue...

« Vers la fin de février 1923, à une réunion du bureau politique, Staline nous informa que Lénine l'avait fait soudainement appeler et lui avait demandé du poison. Il considérait son état désespéré, prévoyait une nouvelle attaque, n'avait pas confiance en ses médecins. Ses souffrances étaient intolérables. »

A l'époque, en écoutant cette communication de Staline, Trotski faillit démasquer le futur assassin de Lénine ! Il écrit :

« L'expression du visage de Staline me sembla extraordinairement énigmatique. Un sourire malsain errait sur son visage comme sur un masque. »

Suivons donc l'inspecteur Clouseau-Trotski dans son enquête. Nous apprenons ceci :

« Pourquoi Lénine, qui à ce moment se méfiait extrêmement de Staline, s'adressa-t-il à lui pour une telle requête ? Lénine voyait en Staline le seul homme capable de lui apporter du poison parce qu'il avait un intérêt direct à le faire. Il connaissait les sentiments réels de Staline à son égard. » (Ibidem, p.266.)

Essayez d'écrire, avec ce genre d'arguments, un livre accusant le prince Albert d'avoir empoisonné le roi Baudouin : « Il avait un intérêt direct à le faire. » Vous serez condamné à la prison. Trotski, lui, peut se permettre des bassesses inqualifiables pour calomnier le principal chef communiste, et toute la bourgeoisie le félicite pour « sa lutte sans bavure contre Staline » ! (Bernard, op.cit., p.53.)

Voici maintenant le point d'orgue de l'enquête criminelle du fin limier, le détective Trotski :

« J'imagine que les choses se passèrent à peu près de la sorte. Lénine demanda du poison à la fin de février 1923. Vers l'hiver, l'état de Lénine commença à s'améliorer lentement. L'usage de la parole revenait. Staline voulait le pouvoir. Le but était proche, mais le danger émanant de Lénine était plus proche encore. Staline dut prendre la résolution qu'il était impératif d'agir sans délai. Si Staline envoya le poison à Lénine après que les médecins eurent laissé entendre à demi-mot qu'il n'y avait plus d'espoir, ou s'il eut recours à des moyens plus directs, je l'ignore. » (Trotski, Staline, II, p.273.)

Même les mensonges de Trotski sont mal conçus : s'il n'y avait plus d'espoir, pourquoi Staline devait-il « assassiner » Lénine ?

Du 6 mars 1923 jusqu'à sa mort, Lénine fut presque sans interruption paralysé et privé de la parole. Sa femme, sa soeur et ses secrétaires étaient à son chevet. Lénine n'aurait pas pu prendre du poison sans qu'elles le sachent. Les bulletins médicaux de cette période expliquent parfaitement que la mort de Lénine était inexorable. La façon dont Trotski a fabriqué ses accusations contre « Staline, l'assassin », ainsi que la manière dont il a utilisé frauduleusement le prétendu « testament » discréditent complètement toute son agitation contre Staline.

 

 

 

Trotski : petit bréviaire et prophéties

(Passages extraits du livre Un autre regard sur Staline de Ludo Martens.)

En 1923, dans sa lutte pour prendre le pouvoir au sein du Parti bolchevik, Trotski lance une deuxième offensive. Il cherche à évincer les vieux cadres du Parti au profit de jeunes qu’il espère pouvoir manipuler. Pour préparer la prise de pouvoir à la direction du Parti, Trotski retourne presque mot pour mot aux conceptions anti-léninistes du Parti qu’il avait développées en 1904.

De son livre Nos tâches politiques, publié en 1904, à sa brochure Cours nouveau, écrite en 1923, nous retrouvons une même hostilité aux principes que Lénine a définis pour la construction du parti.

Ceci montre bien la persistance des conceptions petites-bourgeoises de Trotski.

En 1904, Trotski avait combattu avec une virulence particulière la conception léniniste du parti. Il avait traité Lénine de « scissionniste fanatique », de « révolutionnaire démocrate bourgeois », de « fétichiste de l’organisation », de partisan du « régime de caserne » et de la « mesquinerie organisationnelle », de « dictateur voulant se substituer au Comité central », de « dictateur voulant instaurer la dictature sur le prolétariat » pour qui « toute immixtion d’éléments pensant autrement est un phénomène pathologique ». (Trotski, Nos tâches politiques, Ed. pierre Belfond, Paris, 1970, pp. 40, 195, 204, 159, 39, 128, 198 et 41.) Le lecteur aura remarqué que tout ce verbiage haineux n’était pas adressé à l’infâme Staline, mais au maître adoré, Lénine. Ce livre que Trotski publia en 1904 est crucial pour comprendre son idéologie. Il s’y fait connaître comme un individualiste bourgeois invétéré. Toutes les calomnies et les insultes qu’il déversera pendant plus de vingt-cinq ans sur Staline, il les a crachées dans cet ouvrage à la figure de Lénine.

Trotski s’est acharné à peindre Staline comme un dictateur régnant sur le Parti. Or, lorsque Lénine créa le Parti bolchévik, Trotski l’accusa d’instaurer une « théocratie orthodoxe » et un « centralisme autocrate-asiatique » (Ibidem, pp. 97 et 170.)

Trotski n’a cessé d’affirmer que Staline a adopté une attitude pragmatique envers le marxisme qu’il a réduit a des formules toutes faites. En 1904, critiquant l’ouvrage Un pas en avant…, Trotski écrit :

« On ne peut manifester plus de cynisme à l’égard du meilleur patrimoine idéologique du prolétariat que ne le fait le camarade Lénine ! Pour lui, le marxisme n’est pas une méthode d’analyse scientifique. » (Ibidem, p. 160.)

Dans son livre de 1904, Trotski inventa le terme « substitutionnisme » pour attaquer le parti de type léniniste et sa direction.

« Le groupe des ‘révolutionnaires professionnels’ agissait à la place du prolétariat. » « L’organisation se ‘substitue au parti’, le Comité central à l’organisation et finalement, le dictateur se substitue au Comité central. » (Ibidem, pp. 103 et 128.)

Or, en 1923, souvent dans les mêmes termes qu’il utilisa contre Lénine, Trotski s’attaque à la direction du Parti bolchevik et à Staline.

« L’ancienne génération s’est habituée et s’habitue à penser et à décider pour le parti. » Trotski note « une tendance de l’appareil à penser et à décider pour l’organisation toute entière ». (Trotski, Cours nouveau, Union Générale d'Editions, coll. 10-18, Paris, 1972, pp. 21 et 158.)

(…) En 1904, Trotski accusa Lénine d’être un bureaucrate qui faisait dégénérer le Parti en organisation révolutionnaire-bourgeoise. Lénine est aveuglé devant « la logique bureaucratique de tel ou tel ‘plan’ organisationnel », mais « le fiasco du fétichisme organisationnel » est certain.

« Le chef de l’aile réactionnaire de notre Parti, le camarade Lénine, donne de la social-démocratie une définition qui est un attentat théorique contre le caractère de classe de notre parti. » Lénine « a formulé une tendance qui s’est dessinée dans le Parti, la tendance révolutionnaire-bourgeoise ». (Trotski, Nos tâches politiques, pp. 204, 192, 195.)

En 1923, contre Staline, Trotski dit la même chose, mais sur un ton plus modéré…

« La bureaucratisation menace de provoquer une dégénérescence plus ou moins opportuniste de la vieille garde. » (Trotski, Cours nouveau, p. 25.)

En 1904, le bureaucrate Lénine était accusé de « terroriser » le Parti.

« La tâche de l’Iskra (journal de Lénine) consistait à terroriser théoriquement l’intelligentsia. Pour les sociaux-démocrates éduqués à cette école, l’orthodoxie est quelque chose de très proche de cette ‘Vérité’ absolue qui inspirait les Jacobins (révolutionnaires bourgeois). La Vérité orthodoxe prévoit tout. Celui qui conteste cela doit être exclu ; celui qui en doute est près d’être exclu. » (Trotski, Nos tâches politiques, p. 190.)

En 1923, Trotski lance un appel à « remplacer les bureaucrates momifiés » afin que « personne désormais n’ose plus terroriser le Parti ». (Trotski, Cours nouveau, p. 154.)

Pour conclure, ajoutons que la brochure Cours nouveau nous fait connaître Trotski également comme un arriviste sans principes et sans scrupules. En 1923, pour prendre le pouvoir au sein du Parti bolchevik, Trotski veut « liquider » la vieille garde bolchevique qui connaît trop bien son passé d’opposant aux idées de Lénine. Aucun vieux bolchevik n’était prêt à abandonner le léninisme pour le trotskisme. D’où la tactique de Trotski : il déclare que les vieux bolcheviks « dégénèrent » et il flatte la jeunesse qui ne connaît pas son passé antiléniniste. Sous le mot d’ordre de « démocratisation » du Parti, Trotski veut mettre à la direction des jeunes qui le soutiennent.

Or, dix ans plus tard, lorsque des hommes comme Zinoviev et Kaménev auront complètement dévoilé leur caractère opportuniste, Trotski déclarera qu’ils représentent « la vieille garde bolchevique » persécutée par Staline et il se liera à ces opportunistes en invoquant le passé glorieux de la « vieille garde » ! [pp. 45-47.]

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Trotski s'est efforcé de dénigrer systématiquement le passé révolutionnaire de Staline et presque tous les auteurs bourgeois ont repris ses médisances. Trotski déclare :

« Staline est la plus éminente médiocrité de notre parti. » (Trotski, Ma vie, Gallimard, Livre de Poche, 1966, p. 590.)

Lorsque Trotski parle de « notre parti », c'est de l'escroquerie : il n'a jamais appartenu à ce parti bolchévik que Lénine, Zinoviev, Staline, Sverdlov et d'autres ont forgé entre 1903 et 1917. Trotski entra au parti en juillet 1917.

Il écrit aussi :

« Pour les affaires courantes, Lénine s'en remit à Staline, à Zinoviev ou à Kaménev. Je ne valais rien pour faire des commissions. Lénine avait besoin, dans la pratique, d'adjoints dociles ; dans ce rôle, je ne valais rien. » (Trotski, Ma vie, Gallimard, Livre de Poche, 1966, p. 590.)

Cela ne dit vraiment rien sur Staline, mais tout sur Trotski : il prête à Lénine sa propre conception aristocratique et bonapartiste du Parti, un chef entouré d'adjoints dociles qui traitent les affaires courantes !  [p. 27]

En décembre [1918], la situation se détériora gravement dans l'Oural à cause de l'avancée des troupes réactionnaires de Koltchak. Staline fut envoyé avec les pleins pouvoirs pour mettre fin à l'état catastrophique de la Troisième armée et pour la purger des commissaires incapables. Dans son enquête sur place, Staline critiqua la politique de Trotski et de Vatsetis. au Huitième Congrès en mars 1919, Trotski fut critiqué par de nombreux délégués pour ses "attitudes dictatoriales", son "adoration pour les spécialistes militaires" et ses "torrents de télégrammes mal conçus". (Ian Grey, Stalin, Man of History, Abacus, Sphere Books Ltd, 1982, Great Britain, p. 128.) [p. 31]

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En novembre 1919, Staline et Trotski reçurent pour leurs exploits militaires l'Ordre du Drapeau Rouge, une distinction nouvellement crée. Lénine et le Comité central estimaient que les mérites de Staline,  dans la direction de la lutte armée aux endroits les plus difficiles, égalaient ceux de Trotski qui avait organisé et dirigé l'Armée rouge au niveau central. Mais pour mieux faire ressortir sa propre grandeur, Trotski écrit :

« Pendant toute la durée de la guerre civile, Staline resta une figure de troisième ordre. » (Trotski, Staline, Tome II, Union Générale d'Editions, coll. 10-18, Paris, 1979, p. 224.)

McNeal, qui est souvent plein de parti pris contre Staline, écrit à ce propos :

« Staline avait émergé comme un chef politique et militaire dont la contribution à la victoire rouge ne le cédait qu'à celle de Trotski. Staline avait joué un moindre rôle que son rival dans l'organisation générale de l'Armée rouge, mais il avait été plus important en dirigeant des fronts cruciaux. Si sa réputation comme héros était loin derrière celle de Trotski, ce n'était pas tellement en raison du mérite objectif de ce dernier mais plutôt du manque de sens d'auto-publicité chez Staline. » (McNeal, Stalin, Macmillan Publishers, London, 1988, p. 63.) [p. 32]

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Voici ce que Trotski écrit fin 1934, juste après l'assassinat de Kirov, lorsque Zinoviev et Kaménev furent exclus du Parti et renvoyés en exil intérieur.

« Comment a-t-il pu se faire que précisément aujourd'hui, après toutes les réussites économiques, après l'abolition des classes en URSS, selon les assurances officielles, comment a-t-il pu se faire que de vieux bolcheviks aient pu se poser pour tâche la restauration du capitalisme ? Des sots manifestes seraient seuls capables de croire que des rapports capitalistes, c'est-à-dire la propriété privée des moyens de production, y compris la terre, pourraient être rétablis en URSS, par la voie pacifique et mener au régime de la démocratie bourgeoise. En réalité, le capitalisme ne pourrait – s'il le pouvait en général – se régénérer en Russie qu'en résultat d'un violent coup d'Etat contre-révolutionnaire qui exigerait dix fois plus de victimes que la révolution d'Octobre et la guerre civile. » (28 décembre 1934 ; Trotski, L’appareil policier du stalinisme, Union Générale d'Editions, coll. 10-18, Paris, 1976, pp. 26-27.)

Après avoir lu ce texte, une première réflexion s'impose. Trotski a mené, de 1922 à 1927, une lutte obstinée, axée sur la thèse de l'impossibilité de la construction du socialisme dans un seul pays, l'URSS. Or, cet individu sans scrupules vient déclarer en 1934 que le socialisme est si solidement établi en Union soviétique, qu'il faudrait des dizaines de millions de morts pour le renverser !

Ensuite, Trotski fait semblant de défendre les « vieux bolchéviks ». Mais les positions des « vieux bolchéviks » Zinoviev et Kaménev étaient diamétralement opposées à celles de ces autres « vieux bolchéviks » Staline, Kirov, Molotov, Kaganovitch et Jdanov. Ces derniers ont clairement montré que, dans la lutte des classes âpre qui se développait en Union soviétique, les positions opportunistes de Zinoviev et Kaménev ouvraient la voie aux anciennes classes exploiteuses et aux nouveaux bureaucrates.

Trotski avance un argument démagogique mille fois utilisé par la bourgeoisie : C'est un vieux révolutionnaire, comment aurait-il pu changer de camp ? Kroutchev le reprendra textuellement dans son Rapport secret.

Pourtant, Kautsky, qu'on appelait l'enfant spirituel de Marx et d'Engels, devint bel et bien, après la mort des fondateurs du socialisme scientifique, le principal renégat du marxisme. Martov était parmi les pionniers du marxisme en Russie et participa à la création des premières organisations révolutionnaires ; pourtant, il sera un des chefs de file des menchéviks et se battra contre la révolution socialiste dès octobre 1917. Et que dire des « vieux bolchéviks » Khrouchtchev et Mikoyan, qui ont effectivement engagé l'Union soviétique dans la voie de la restauration capitaliste ?

Trotski affirme que la contre-révolution n'est possible que par un bain de sang qui coûtera plus de quatre-vingts millions de morts. (!) Il prétend donc que le capitalisme ne peut pas être restauré « de l'intérieur » par le pourrissement politique interne du Parti, par l'infiltration ennemie, la bureaucratisation, la social-démocratisation du Parti. Pourtant, Lénine avait déjà insisté sur cette possibilité. [p. 152-153]

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« La situation militaire en Russie est contradictoire. d'un côté, nous avons une population de 170 millions d'habitants réveillés par la plus grande révolution de l'histoire, qui possède une industrie de guerre plus ou moins développée. D'un autre côté, nous avons un régime politique qui paralyse toutes les forces de cette nouvelle société. Je suis sûr d'une chose : le régime politique ne survivra pas à la guerre. Le régime social qui est la nationalisation de la production, est incomparablement plus puissant que le régime politique qui est despotique. Les représentants du régime politique, la bureaucratie, sont effrayés par la perspective de la guerre parce qu'ils savent mieux que nous qu'ils ne survivront pas à la guerre en tant que régime. » (23 juillet 1939 ; Trotski, La lutte antibureaucratique en URSS, Union Générale d'Editions, coll. 10-18, Paris, 1975, pp. 159-160.)

A nouveau, nous avons d'un côté "les 170 millions", les "bons" citoyens qui ont tous été réveillés grâce à la révolution. On se demande bien par qui, si ce n'est par le Parti bolchevik et par Staline : la grande masse paysanne n'était nullement "éveillée" au cours des années 1921-1928... Ces "170 millions" possèdent une "industrie de guerre développée". Comme si ce n'est pas la politique de l'industrialisation et de la collectivisation, proposée par Staline et réalisée grâce à sa volonté de fer, qui a permis de créer en un temps record les entreprises d'armement ! Grâce à sa ligne correcte, à sa volonté, à sa capacité d'organisation, le régime bolchévik a éveillé toutes les forces populaires de la société, maintenues jusqu'alors dans l'ignorance, la superstition, le travail individuel primitif. Mais selon les dires du provocateur qu'est devenu Trotski, ce régime bolchevik paralyse toutes les forces de la société ! Et Trotski de faire une de ses nombreuses prophéties loufoques : il est sûr que le régime bolchevik ne survivra pas à la guerre ! [p. 216-217]

 

 

 

Staline sur le trotskisme

 

La théorie de la révolution permanente

(Les questions du léninisme - Tome I - La révolution d'Octobre et la tactique des communistes russes, Préface à l'ouvrage « Vers Octobre ».)

II - Deux particularités de la révolution d'Octobre, ou Octobre et la théorie de la révolution permanente de Trotsky

Il existe deux particularités de la révolution d'Octobre qu'il est indispensable d'éclaircir avant tout, pour comprendre le sens intérieur et la portée historique de cette révolution.

Quelles sont ces particularités ?

C'est tout d'abord le fait que la dictature du prolétariat a surgi chez nous sur la base de l'union du prolétariat et des masses paysannes laborieuses, ces dernières étant guidées par le prolétariat. C'est, d'autre part, le fait que la dictature du prolétariat s'est affermie chez nous comme résultat de la victoire du socialisme dans un pays où le capitalisme était peu développé, tandis que le capitalisme subsistait dans les autres pays de capitalisme plus développé. Cela ne signifie pas, évidemment, que la révolution d'Octobre n'ait point d'autres particularités. Mais ce sont ces deux particularités qui nous importent en ce moment, non seulement parce qu'elles expriment clairement la nature de la révolution d'Octobre, mais aussi parce qu'elles dévoilent merveilleusement le caractère opportuniste de la théorie de la « révolution permanente ».

Examinons rapidement ces particularités.

La question des masses laborieuses de la petite bourgeoisie urbaine et rurale, la question de leur ralliement à la cause du prolétariat est une des questions capitales de la révolution prolétarienne. Dans la lutte pour le pouvoir, avec qui sera le peuple travailleur des villes et des campagnes, avec la bourgeoisie ou avec le prolétariat ? De qui sera-t-il la réserve ? De la bourgeoisie ou du prolétariat ? De là dépendent le sort de la révolution et la solidité de la dictature du prolétariat. Les révolutions de 1848 et de 1871 en France furent écrasées surtout parce que les réserves paysannes se trouvèrent du côté de la bourgeoisie. La révolution d'Octobre a vaincu parce qu'elle a su enlever à la bourgeoisie ses réserves paysannes, parce qu'elle a su les attirer du côté du prolétariat, en un mot, parce que le prolétariat s'est trouvé être, dans cette révolution, la seule force directrice de millions de travailleurs de la ville et de la campagne.

Qui n'a point compris cela ne comprendra jamais ni le caractère de la révolution d'Octobre, ni la nature de la dictature du prolétariat, ni les particularités de la politique intérieure de notre pouvoir prolétarien.

La dictature du prolétariat n'est pas une simple élite gouvernementale « intelligemment sélectionnée » par un « stratège expérimenté » et « s'appuyant rationnellement sur telle ou telle couche de la population. La dictature du prolétariat est l'union de classe du prolétariat et des masses paysannes laborieuses pour le renversement du capital, pour le triomphe définitif du socialisme, à condition que la force directrice de cette union soit le prolétariat.

Ainsi, il n'est pas question en l'occurrence de sous-estimer ou de surestimer « quelque peu » les possibilités révolutionnaires du mouvement paysan, comme aiment à s'exprimer les partisans de la « révolution permanente ». Il s'agit de la nature du nouvel Etat prolétarien, né de la révolution d'Octobre. Il s'agit du caractère du pouvoir prolétarien, des bases de la dictature même du prolétariat.

La dictature du prolétariat, dit Lénine, est une forme spéciale d'alliance de classe entre le prolétariat, avant-garde des travailleurs, et les nombreuses couches de travailleurs non-prolétaires (petite bourgeoisie, petits patrons, paysans, intellectuels, etc.) ou leur majorité, alliance dirigée contre le capital et ayant pour but le renversement complet de ce dernier, l'écrasement complet de la résistance de la bourgeoisie et de ses tentatives de restauration, l'instauration définitive et la consolidation du socialisme.

Et, plus loin :

Traduite en un langage plus simple, l'expression latine, scientifique, historico-philosophique de dictature du prolétariat signifie qu'une classe, celle des ouvriers urbains et en général des ouvriers industriels, est capable de diriger toute la masse des travailleurs et des exploités dans la lutte pour le renversement du joug capitaliste, pour le maintien et la consolidation de la victoire, pour la création du nouveau régime social, le régime socialiste, et pour la suppression complète des classes.

Telle est la théorie de la dictature du prolétariat selon Lénine.

L'une des particularisés de la révolution d'Octobre, c'est que cette révolution est une application classique de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.

Certains camarades croient que cette théorie est une théorie purement « russe », n'ayant de rapports qu'avec la situation russe. C'est là une erreur complète. Parlant des masses laborieuses appartenant aux classes non-prolétariennes, Lénine a en vue non seulement les paysans russes, mais aussi les éléments travailleurs des régions situées aux confins de l'Union soviétique et qui étaient, il n'y a pas encore très longtemps, des colonies de la Russie. Lénine ne se lassait pas de répéter que, sans une union avec ces masses des autres nationalités, le prolétariat de Russie ne pourrait vaincre. Dans ses articles sur la question nationale et dans ses discours aux congrès de l'Internationale communiste, il a souvent répété que la victoire de la révolution mondiale est impossible en dehors de l'union révolutionnaire, en dehors du bloc révolutionnaire du prolétariat des pays avancés avec les peuples opprimés des colonies asservies. Mais qu'est-ce donc que les colonies, sinon ces mêmes masses laborieuses opprimées, et avant tout les masses laborieuses de la paysannerie ? Qui ne sait que la question de la libération des colonies est en fait la question de la libération des masses laborieuses des classes non-prolétariennes de l'oppression et de l'exploitation du capital financier ?

Il faut en conclure que la théorie léniniste de la dictature du prolétariat n'est pas une théorie purement « russe », mais une théorie valable pour tous les pays. Le bolchévisme n'est pas seulement un phénomène russe. « Le bolchévisme, dit Lénine, est un modèle de tactique pour tous » (v. La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky).

Tels sont les traits caractéristiques de la première particularité de la révolution d'Octobre.

Quelle est la valeur de la théorie de la « révolution permanente » du camarade Trotsky du point de vue de cette particularité ?

Nous ne nous étendrons pas sur la position de Trotsky en 1905, quand il oublia purement et simplement les paysans comme force révolutionnaire en proposant le mot d'ordre : « Pas de tsar ! Gouvernement ouvrier ! », c'est-à-dire le mot d'ordre de la révolution sans les paysans. Radek lui-même, ce défenseur diplomate de la « révolution permanente », est obligé maintenant de reconnaître que la « révolution permanente » en 1905 était un « saut en l'air », un écart de la réalité (Pravda, 14 décembre 1924). Maintenant on considère à peu près unanimement que ce n'est plus la peine de s'occuper de ce fameux « saut en l'air ».

Nous ne nous étendrons pas non plus sur la position de Trotsky pendant la guerre, en 1915 par exemple, lorsque partant du fait que « nous vivons à l'époque de l'impérialisme », que l'impérialisme « oppose, non la nation bourgeoise à l'ancien régime, mais le prolétariat à la nation bourgeoise », il en conclut, dans son article « La lutte pour le pouvoir », que le rôle révolutionnaire des paysans doit diminuer, que le mot d'ordre de la confiscation de la terre n'a déjà plus l'importance d'auparavant (v. l'ouvrage « 1905 »). On sait que Lénine, critiquant cet article du camarade Trotsky, l'accusait alors de « nier le rôle des paysans », et disait :

Trotsky, en fait, aide les politiciens ouvriers libéraux de Russie, qui, le voyant « nier » le rôle du paysan, s'imaginent que nous ne voulons pas soulever les paysans pour la révolution.

Passons plutôt aux travaux plus récents de Trotsky sur cette question, aux travaux de la période où la dictature du prolétariat avait déjà eu le temps de s'affermir et où Trotsky avait eu la possibilité de vérifier sa théorie de la « révolution permanente » par les faits et de rectifier ses erreurs. Prenons la préface que Trotsky a écrite en 1922 pour son ouvrage intitulé : « 1905 ». Voici ce qu'il y dit de la « révolution permanente » :

C'est précisément dans l'intervalle qui sépare le 9 janvier de la grève d'octobre 1905 que l'auteur arriva à concevoir le développement révolutionnaire de la Russie sous l'aspect qui fut ensuite fixé par la théorie dite « de la révolution permanente ». Cette désignation quelque peu abstruse voulait exprimer que la révolution russe, qui devait d'abord envisager, dans son avenir le plus immédiat, certaines fins bourgeoises, ne pourrait toutefois s'arrêter là-dessus. La révolution ne résoudrait les problèmes bourgeois qui se présentaient à elle en première ligne qu'en portant le prolétariat au pouvoir. Et lorsque celui-ci se serait emparé du pouvoir, il ne pourrait se limiter au cadre bourgeois de la révolution. Tout au contraire, et précisément pour assurer sa victoire définitive, l'avant-garde prolétarienne devrait, dès les premiers jours de sa domination, pénétrer profondément dans les domaines interdits de la propriété aussi bien bourgeoise que féodale. Cela devait l'amener à des collisions non seulement avec tous les groupes bourgeois qui l'auraient soutenue au début de sa lutte révolutionnaire, mais aussi avec les larges masses paysannes dont le concours l'aurait poussée vers le pouvoir. Les contradictions qui dominaient la situation d'un gouvernement ouvrier, dans un pays retardataire où l'immense majorité de la population se composait de paysans, ne pouvaient trouver leur solution que sur le plan international, sur l'arène d'une révolution prolétarienne mondiale.

Ainsi s'exprime Trotsky au sujet de sa « révolution permanente ».

Il suffit de rapprocher cette citation de celles que nous avons données de Lénine sur la dictature du prolétariat, pour comprendre l'abîme qui sépare la théorie léniniste de la dictature du prolétariat et la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky.

Lénine considère l'alliance du prolétariat et des couches travailleuses de la paysannerie comme la base de la dictature du prolétariat. Trotsky, au contraire, nous fait prévoir des « collisions » entre « l'avant-garde prolétarienne » et « les larges masses paysannes ».

Lénine parle de la direction prolétarienne des travailleurs et des masses exploitées. Trotsky, au contraire, nous montre des contradictions dans « la situation d'un gouvernement ouvrier » instauré « dans un pays retardataire où l'immense majorité de la population est composée de paysans ».

Selon Lénine, la révolution puise avant tout ses forces parmi les ouvriers et les paysans de la Russie même. D'après Trotsky, les forces indispensables ne peuvent être trouvées que « sur l'arène d'une révolution prolétarienne mondiale ».

Et que faire si la révolution mondiale se trouve retardée ? Y a-t-il alors quelque espoir pour notre révolution ? Trotsky ne nous laisse aucune lueur d'espoir, car « les contradictions » dans « la situation d'un gouvernement ouvrier... ne peuvent trouver leur solution que... sur l'arène d'une révolution prolétarienne mondiale ». On en déduit cette perspective : végéter dans ses propres contradictions et pourrir sur pied en attendant la révolution mondiale.

Qu'est-ce que la dictature du prolétariat selon Lénine ?

La dictature du prolétariat, c'est le pouvoir qui s'appuie sur l'alliance du prolétariat et des masses laborieuses de la paysannerie pour « le renversement complet du capital », pour l'édification définitive et l'affermissement du socialisme.

Qu'est-ce que la dictature du prolétariat selon Trotsky ?

C'est un pouvoir entrant «en collisions » avec « les larges masses paysannes » et ne cherchant la solution de ses « contradictions » que « sur l'arène de la révolution mondiale du prolétariat ».

En quoi cette « théorie de la révolution permanente » diffère-t-elle de la fameuse théorie du menchévisme sur la négation de l'idée de la dictature du prolétariat ?

En rien.

Nul doute possible. La « révolution permanente » n'est pas une simple sous-estimation des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan. C'est une sous-estimation du mouvement paysan qui mène à la négation de la théorie léniniste de la dictature du prolétariat.

La « révolution permanente » de Trotsky est une des variétés du menchévisme.

Voilà en quoi consiste la première particularité de la révolution d'Octobre.

Quelle est la seconde particularité de cette révolution ?

Etudiant l'impérialisme, surtout pendant la guerre, Lénine est arrivé à la loi du développement économique et politique irrégulier, saccadé des pays capitalistes. D'après cette loi, le développement des entreprises, des trusts, des branches de l'industrie et des divers pays ne s'effectue pas régulièrement, dans un ordre arrêté, de telle façon qu'un trust, une branche de l'industrie ou un pays marche toujours en tête, et que les autres trusts ou pays retardent en conservant constamment leurs distances respectives. Ce développement s'accomplit, au contraire, par bonds, avec des interruptions dans le développement de certains pays et des bonds en avant dans le développement des autres. En outre, l'aspiration « parfaitement légitime » des pays retardataires à la conservation de leurs positions acquises et l'aspiration, non moins « légitime », des pays avancés à la conquête de nouvelles positions font que les collisions armées des Etats impérialistes sont une inéluctable nécessité. Il en a été ainsi, par exemple, de l'Allemagne, qui, il y a un demi-siècle, était un pays arriéré en comparaison de la France et de l'Angleterre. On peut en dire autant du Japon comparé à la Russie. On sait cependant qu'au début du XXe siècle déjà, l'Allemagne et le Japon avaient pris une telle avance que la première avait évincé la France et commençait à évincer l'Angleterre sur le marché mondial et que le second évinçait la Russie. C'est de ces contradictions qu'est sortie, comme on le sait, la guerre impérialiste.

Cette loi part du fait que :

1° « Le capitalisme s'est transformé en un système mondial d'étouffement colonial et financier des pays de la plus grande partie du globe par une poignée de pays « avancés » (Lénine) ;

2° « Le partage de ce « butin » s'effectue entre deux ou trois puissants rapaces armés jusqu'aux dents (Amérique, Angleterre, Japon), qui, pour régler le partage de leur butin, entraînent le monde entier dans leur guerre » (Lénine) ;

3° La croissance des contradictions à l'intérieur du système mondial d'oppression financière et l'inéluctabilité des collisions militaires font que le front impérialiste mondial devient facilement vulnérable pour la révolution et que la rupture de ce front dans certains pays est probable ;

4° Cette rupture a le plus de chances de se produire sur les points et dans les pays où la chaîne du front impérialiste est le plus faible, c'est-à-dire où l'impérialisme est le moins blindé et où la révolution peut le plus facilement se développer ;

5° C'est pourquoi la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste, cependant que le capitalisme subsiste dans les autres pays plus avancés, est parfaitement possible et probable.

Telles sont, en résumé, les bases de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

En quoi consiste la seconde particularité de la révolution d'Octobre ?

Elle consiste en ce que cette révolution est un modèle d'application pratique de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

Qui n'a pas compris cette particularité de la révolution d'Octobre ne comprendra jamais ni le caractère international de cette révolution, ni sa formidable puissance internationale, ni sa politique extérieure spécifique.

L'irrégularité du développement économique et politique, dit Lénine, est, sans contredit, une loi du capitalisme. Il s'ensuit que la victoire du socialisme est possible au début dans un petit nombre de pays capitalistes, voire dans un seul. Le prolétariat victorieux de ce pays, après avoir exproprié les capitalistes et organisé chez lui la production socialiste, se soulèverait contre le reste du monde capitaliste, attirerait à lui les classes opprimées des autres pays, les soulèverait contre les capitalistes, emploierait même, au besoin, la force armée contre les classes exploiteuses et leurs Etats... Car l'union libre des nations dans le socialisme est impossible sans une lutte acharnée, plus ou moins longue, des républiques socialistes contre les Etats retardataires. (Lénine : Contre le courant.)

Les opportunistes de tous les pays affirment que la révolution prolétarienne ne peut éclater — si toutefois elle doit éclater quelque part selon leur théorie — que dans les pays industriellement avancés et que plus ces pays sont développés industriellement, plus le socialisme a de chances de victoire. De plus, ils excluent, comme une chose invraisemblable, la possibilité de la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout si le capitalisme y est peu développé. Déjà pendant la guerre, Lénine, s'appuyant sur la loi du développement irrégulier des Etats impérialistes, oppose aux opportunistes sa théorie de la révolution prolétarienne sur la victoire du socialisme dans un seul pays, même peu développé au point de vue capitaliste.

On sait que la révolution d'Octobre a entièrement confirmé la justesse de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne.

Que devient la « révolution permanente » de Trotsky du point de vue de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne ?

Prenons la brochure Notre révolution (1906), où l'on trouve ces paroles de Trotsky :

Sans l'appui gouvernemental direct du prolétariat européen, la classe ouvrière de Russie ne pourra se maintenir au pouvoir et transformer sa domination temporaire en dictature socialiste durable. C'est là une chose indubitable.

Que signifient ces paroles de Trotsky ? Que la victoire du socialisme dans un seul pays, la Russie en l'occurrence, est impossible « sans l'appui gouvernemental direct du prolétariat européen », c'est-à-dire tant que le prolétariat européen n'aura pas conquis le pouvoir.

Qu'y a-t-il de commun entre cette « théorie » et la thèse de Lénine sur la possibilité de la victoire du socialisme « dans un pays capitaliste pris à part » ?

Rien, évidemment.

Mais admettons que cette brochure de Trotsky, éditée en 1906, lorsqu'il était difficile de définir le caractère de notre ponde pas entièrement aux vues adoptées plus tard par Trotsky. Voyons une autre brochure de Trotsky, son Programme de paix, paru à la veille de la révolution d'octobre 1917 et réédité actuellement (1924) dans son ouvrage « 1917 ». Dans cette brochure, Trotsky critique la théorie léniniste de la révolution prolétarienne sur la victoire du socialisme dans un seul pays et lui oppose le mot d'ordre des Etats-Unis d'Europe. Il affirme que la victoire du socialisme est impossible dans un seul pays, qu'elle n'est possible qu'en tant que victoire de plusieurs Etats d'Europe (Angleterre, Russie, Allemagne) groupés en Etats-Unis d'Europe. Il déclare sans ambages qu' « une révolution victorieuse en Russie ou en Angleterre est impossible sans la révolution en Allemagne et inversement ».

L'unique objection tant soit peu concrète au mot d'ordre des Etats-Unis, dit Trotsky, a été formulée dans le Social-Démocrate suisse [organe central des bolcheviks à cette époque] en ces termes : « L'irrégularité du développement économique et politique est la loi absolue du capitalisme. » D'où le Social-Démocrate concluait que la victoire du socialisme était possible dans un seul pays et que, par suite, il n'y avait pas de raison de faire dépendre la dictature du prolétariat dans chaque Etat pris à part de la formation des Etats-Unis d'Europe. Que le développement capitaliste des différents Etats soit irrégulier, cela est indiscutable. Mais cette irrégularité elle-même est très irrégulière. Le niveau capitaliste de l'Angleterre, de l'Autriche, de l'Allemagne ou de la France n'est pas le même. Mais, comparés à l'Afrique ou à l'Asie, tous ces Etats représentent 1' « Europe » capitaliste mûre pour la révolution sociale. Qu'aucun pays ne doive « atteindre » les autres dans sa lutte, c'est là une pensée élémentaire qu'il est utile et indispensable de répéter pour que l'idée de l'action internationale parallèle ne soit pas remplacée par l'idée de l'expectative et de l'inaction internationales. Sans attendre les autres, nous commençons et nous continuons la lutte sur le terrain national, avec l'entière certitude que notre initiative donnera le branle à la lutte dans les autres pays; et si cela n'avait pas lieu, on ne saurait espérer — l'expérience historique et les considérations théoriques sont là pour le démontrer — que, par exemple, la Russie révolutionnaire pourrait résister à l'Europe conservatrice, ou que l'Allemagne socialiste pourrait demeurer isolée dans le monde capitaliste.

Comme on le voit, c'est encore la même théorie de la victoire simultanée du socialisme dans les principaux pays d'Europe, théorie qui exclut la théorie léniniste de la révolution et de la victoire du socialisme dans un seul pays.

Il est indiscutable que, pour être entièrement garanti contre le rétablissement de l'ancien ordre de choses, les efforts combinés des prolétaires de plusieurs pays sont nécessaires. Il est hors de doute que si notre révolution n'avait pas été soutenue par le prolétariat d'Europe, le prolétariat de Russie n'eût pu résister à la pression générale, de même que, sans l'appui de la révolution russe, le mouvement révolutionnaire d'Occident n'eût pu se développer aussi rapidement qu'il l'a fait après l'avènement de la dictature prolétarienne en Russie. Il est hors de doute que nous avons besoin d'appui. Mais qu'est-ce que l'appui du prolétariat d'Europe occidentale à notre révolution ? Les sympathies des ouvriers européens pour notre révolution, leur empressement à déjouer les plans d'intervention des impérialistes constituent-ils un appui, une aide sérieuse ? Oui, sans nul doute. Sans cet appui, sans cette aide non seulement des ouvriers européens, mais aussi des colonies et des pays asservis, la dictature prolétarienne en Russie se fût trouvée en mauvaise posture. A-t-il suffi jusqu'à présent de cette sympathie et de cette aide, qui sont venues s'ajouter à la puissance de notre armée rouge et au dévouement des ouvriers et des paysans russes prêts à défendre de leurs poitrines la patrie socialiste, pour repousser les attaques des impérialistes et conquérir la sécurité nécessaire à un travail de construction sérieux ? Oui, cela a suffi. Cette sympathie va-t-elle en augmentant ou en diminuant ? Elle augmente incontestablement. Existe-t-il chez nous, par conséquent, des conditions favorables non seulement pour mener de l'avant l'organisation de l'économie socialiste, mais encore pour venir en aide aux ouvriers d'Europe occidentale comme aux peuples opprimés de l'Orient ? Oui, ces conditions existent. C'est ce que dit éloquemment l'histoire de sept années de dictature prolétarienne en Russie. Peut-on nier qu'un puissant essor dans le domaine du travail ait déjà commencé chez nous ? Non, on ne peut le nier.

Quelle signification peut avoir, après tout cela, la déclaration de Trotsky sur l'impossibilité pour la Russie révolutionnaire de résister à l'Europe conservatrice ? Elle signifie que Trotsky, premièrement, ne sent pas la puissance intérieure de notre révolution ; deuxièmement, qu'il ne comprend pas l'importance inestimable de l'appui moral apporté à notre révolution par les ouvriers d'Occident et les paysans d'Orient ; troisièmement, qu'il ne saisit pas le mal intérieur qui ronge actuellement l'impérialisme.

Emporté par sa critique de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne, Trotsky, à son insu, s'est confondu lui-même dans son Programme de paix paru en 1917 et réédité en 1924.

Mais peut-être cette brochure de Trotsky est-elle aussi périmée et ne correspond-elle plus à ses vues actuelles ? Prenons les ouvrages plus récents que Trotsky a composés après la victoire de la révolution prolétarienne dans un seul pays, en Russie. Prenons, par exemple, sa Postface. (1922) à la nouvelle édition de sa brochure Programme de paix.

Voici ce qu'il y dit :

L'affirmation que la révolution prolétarienne ne peut se terminer victorieusement dans le cadre national, affirmation que l'on trouve répétée à plusieurs reprises dans le Programme de paix, semblera probablement à quelques lecteurs démentie par l'expérience presque quinquennale de notre République soviétiste. Mais une telle conclusion serait dénuée de fondement. Le fait qu'un Etat ouvrier, dans un pays isolé et, en outre, arriéré, a résisté au monde entier, témoigne de la formidable puissance du prolétariat qui, dans les autres pays plus avancés, plus civilisés, sera capable de véritables prodiges. Mais si nous avons résisté politiquement et militairement en tant qu'Etat, nous ne sommes pas encore arrivés à l'édification de la société socialiste et nous ne nous en sommes même pas approchés... Tant que la bourgeoisie est au pouvoir dans les autres Etats européens, nous sommes obligés, pour lutter contre l'isolement économique, de rechercher des ententes avec le monde capitaliste; on peut dire aussi avec certitude que ces ententes peuvent à la rigueur nous aider à guérir telles ou telles blessures économiques, à faire tel ou tel pas en avant, mais que le véritable essor de l'économie socialiste en Russie ne sera possible qu'après la victoire du prolétariat dans les principaux pays d'Europe.

Ainsi s'exprime Trotsky, qui, s'efforçant obstinément de sauver sa « révolution permanente » de la banqueroute définitive, se met en contradiction flagrante avec la réalité.

Ainsi, quoi qu'on fasse, non seulement « on n'est pas arrivé » à instaurer la société socialiste, mais on ne s'en est même pas « approché ». Certains, paraît-il, nourrissaient l'espoir d' « ententes avec le monde capitaliste », mais ces ententes non plus, paraît-il, n'ont rien donné, parce que, quoi qu'on fasse, le « véritable essor de l'économie socialiste » demeurera impossible tant que le prolétariat n'aura pas vaincu « dans les pays les plus importants d'Europe ».

Et comme il n'y a pas encore de victoire en Occident, il ne reste plus à la révolution russe qu'à pourrir sur pied ou à dégénérer en Etat bourgeois.

Ce n'est pas sans raison que Trotsky parle, depuis deux ans déjà, de la « dégénérescence » de notre parti.

Ce n'est pas sans raison qu'il prédisait l'année dernière la « fin » de notre pays.

Comment concilier cette étrange « perspective » avec celle de Lénine selon laquelle la nouvelle politique économique nous donnera la possibilité de « construire les bases de l'économie socialiste » ?

Comment concilier cette désespérance « permanente » avec ces paroles de Lénine :

Dès à présent, le socialisme n'est plus une question d'avenir lointain, une sorte de vision abstraite ou d'icône... Nous avons introduit le socialisme dans la vie courante et, maintenant, nous devons nous rendre compte de la situation. Voilà notre tâche d'aujourd'hui, voilà le problème de notre époque. Permettez-moi de terminer en exprimant la certitude que, si ardu que soit ce problème, si nouveau qu'il soit en comparaison de l'ancien et quelques difficultés qu'il nous cause, nous allons, tous ensemble et coûte que coûte, le résoudre, non en un jour, mais en plusieurs années, et de telle façon que, de la Russie de la Nep, sorte la Russie socialiste.

Comment concilier cette désespérance « permanente » avec ces autres paroles de Lénine :

Possession par l'Etat des principaux moyens de production, possession du pouvoir politique par le prolétariat, alliance de ce prolétariat avec la masse immense des petits paysans, direction assurée de la paysannerie par le prolétariat, etc., n'est-ce pas là tout ce qu'il nous faut pour pouvoir, avec la seule coopération (que nous traitions auparavant de mercantile et que nous avons maintenant, jusqu'à un certain point, le droit de traiter ainsi sous la Nep), procéder à la construction pratique de la société socialiste intégrale ? Ce n'est pas là encore la construction de la société socialiste, mais c'est tout ce qui est nécessaire et suffisant pour cette construction (De la coopération).

Il est clair que les vues de Trotsky ne peuvent, en l'occurrence, se concilier avec celles de Lénine. La « révolution permanente » de Trotsky est la négation de la théorie léniniste de la révolution prolétarienne, et, inversement, la théorie léniniste de la révolution prolétarienne est la négation de la théorie de la « révolution permanente ».

Manque de foi dans les forces et les capacités de notre révolution, manque de foi dans les forces et les capacités du prolétariat de Russie, tel est sous-sol de la théorie de la « révolution permanente ».

Jusqu'à présent, on ne soulignait ordinairement qu'un côté de la « révolution permanente » : le scepticisme à l'égard des possibilités révolutionnaires du mouvement paysan. Maintenant, pour être juste, il est nécessaire d'en mettre en lumière un autre côté : l'incroyance aux forces et aux capacités du prolétariat de Russie.

En quoi la théorie de Trotsky diffère-t-elle de la théorie courante du menchévisme selon laquelle la victoire du socialisme dans un seul pays, surtout dans un pays arriéré, est impossible sans la victoire préalable de la révolution prolétarienne « dans les principaux pays de l'Europe occidentale » ?

Au fond, ces deux théories sont identiques. Le doute n'est pas possible: la théorie de la « révolution permanente » de Trotsky est une variété du menchévisme.

Ces derniers temps, nombre de diplomates «à la manque» se sont efforcés de montrer dans notre presse que la théorie de la «révolution permanente» était conciliable avec le léninisme. Sans doute, disent-ils, cette théorie ne convenait pas en 1905. Mais l'erreur de Trotsky réside en ce qu'il anticipait, essayant d'appliquer à la situation de 1905 ce qui était alors inapplicable. Mais, par la suite, disent-ils, et notamment en 1917 lorsque la révolution fut arrivée à complète maturité, la théorie de Trotsky se trouva tout à fait à sa place. On devine sans peine que le principal de ces diplomates est le camarade Radek. Lisez plutôt:

La guerre creusa un abîme entre les paysans aspirant à la conquête de la terre et à la paix et les partis petits-bourgeois, elle jeta les paysans sous la direction de la classe ouvrière et de son avant-garde, le parti bolchevik. Alors, ce qui devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière s'appuyant sur la paysannerie. Ce que Rosa Luxembourg et Trotsky en 1905 avançaient contre Lénine [c'est-à-dire la « révolution permanente »] devint en fait la deuxième étape du développement historique (Pravda, 21 février 1924).

Là-dedans, pas un mot qui ne soit un escamotage.

Il est faux que, pendant la guerre, « ce qui devint possible, ce fut non pas la dictature de la classe ouvrière et de la paysannerie, mais la dictature de la classe ouvrière s'appuyant sur la paysannerie ». En réalité, la révolution de février 1917 fut la réalisation de la dictature du prolétariat et des paysans, combinée d'une façon particulière avec la dictature de la bourgeoisie.

Il est faux que la théorie de la « révolution permanente », que Radek passe pudiquement sous silence, ait été élaborée en 1905 par Rosa Luxembourg et Trotsky. En réalité, cette théorie est l'œuvre de Parvus et de Trotsky. Maintenant, après dix mois, Radek rectifie, jugeant nécessaire de tancer Parvus pour la « révolution permanente » (voir son article sur Parvus dans la Pravda). Mais la justice exige de Radek qu'il tance également le compagnon de Parvus, le camarade Trotsky.

Il est faux que la théorie de la « révolution permanente », démentie par la révolution de 1905, se soit avérée juste pour « la deuxième étape du développement historique », c'est-à-dire pendant la révolution d'Octobre. Tout le développement de la révolution d'Octobre a montré et démontré l'inconsistance de cette théorie et sa complète incompatibilité avec les bases du léninisme.

Ni discours, ni procédés diplomatiques n'arriveront à masquer le gouffre béant qui sépare la théorie de la « révolution permanente » et le léninisme.

 

Le bilan de la discussion

(Les questions du léninisme - Tome II - Rapport politique du C.C. au XVe congrès du P.C. de l'U.R.S.S. - Décembre 1927.)

2. Le bilan de la discussion (...)

Quel est le bilan de la discussion? On le connaît. Jusqu'à hier, 724.000 camarades ont voté pour le Parti et un peu plus de 4.000 pour l'opposition. Les membres de l'opposition criaient que le C.C. s'est détaché du Parti, que le Parti s'est détaché de la classe ouvrière, que, dans d'autres conditions, l'opposition aurait sûrement 99 % des membres du Parti. Mais, en fait, l'opposition n'a même pas pour elle 1  % des membres du Parti. Voilà le bilan.

D'où vient que le Parti, dans sa totalité, et, ensuite, toute la classe ouvrière aient à tel point isolé l'opposition?

Il y a, pourtant, en tête de l'opposition, des noms bien connus, des gens qui savent se faire de la réclame...

Des voix : C'est juste!

...des personnes qui ne sont pas atteintes de modestie (Applaudissements), qui savent se vanter et se présenter avantageusement. Cela vient du fait que le groupe dirigeant de l'opposition s'est montré comme un groupe d'intellectuels petits-bourgeois détachés de l'existence, de la révolution, du Parti, de la classe ouvrière.

Des voix : C'est juste! (Applaudissements.)

J'ai parlé, précédemment, des succès de notre travail, de nos progrès dans l'industrie, dans le commerce, dans l'ensemble de l'économie, dans le domaine de la politique extérieure. Mais l'opposition ne se soucie pas de ces progrès. Elle ne les voit pas, car elle ne veut pas les voir. Elle ne veut pas les voir, en partie à cause de son ignorance, en partie à cause d'une obstination propre aux intellectuels détachés de l'existence.

3. Les divergences fondamentales entre le Parti et l'opposition

Vous allez demander en quoi consistent finalement les divergences entre le Parti et l'opposition, quelles questions font l'objet de ces divergences? Sur toutes les questions nous sommes en désaccord avec l'opposition.

Des voix : C'est juste!

J'ai lu, récemment, la déclaration d'un ouvrier sans parti de Moscou qui voulait faire ou qui a déjà fait son adhésion au Parti. Il formule la question des divergences entre le Parti et l'opposition comme suit :

Auparavant, nous cherchions en quoi consistaient les divergences entre le Parti et l'opposition, mais aujourd'hui on se demande sur quel point l'opposition est d'accord avec le Parti. (Rires, applaudissements.) Sur toutes les questions, elle est contre le Parti, et si j'étais partisan de l'opposition, je n'entrerais pas au Parti. (Rires, applaudissements.) (Voir Izvestia n° 264.)

Voilà comment un ouvrier russe caractérise, d'une manière brève, mais juste, l'opposition. Je crois que c'est la caractéristique la meilleure et la plus exacte de l'attitude de l'opposition à l'égard du Parti, de son idéologie, de son programme et de sa tactique. C'est précisément parce que l'opposition est en désaccord avec le Parti sur toutes ces questions qu'elle est un groupe ayant une idéologie à elle, un programme et une tactique propres, des principes d'organisation à elle. L'opposition a tout ce qu'il faut pour former un nouveau parti. Il ne lui manque qu'une « bagatelle » : les forces nécessaires. (Rires, applaudissements.)

Je citerai sept points qui sont l'objet de divergences entre le Parti et l'opposition.

La possibilité d'édifier victorieusement le socialisme dans notre pays. Je n'énumérerai pas les documents et les déclarations de l'opposition sur cette question. Ils sont connus de tous, il est inutile de les répéter. Il est clair pour tous que l'opposition nie la possibilité d'édifier victorieusement le socialisme dans notre pays. Par là même, elle glisse directement et ouvertement à la position des menchéviks. Ce point de vue de l'opposition n'est pas nouveau chez ses chefs actuels. C'est en partant du même principe que Kaménev et Zinoviev refusèrent de participer au soulèvement d'Octobre. Ils déclarèrent alors qu'en déclenchant le soulèvement nous allions à notre perte, qu'il fallait attendre l'Assemblée constituante, que les conditions pour le socialisme n'étaient pas encore mûres et ne viendraient pas de sitôt à maturité. Trotski partit du même point de vue lorsqu'il se décida à prendre part au soulèvement. Car, il disait ouvertement que, si la révolution prolétarienne victorieuse en Occident ne nous apportait pas son aide dans un avenir plus ou moins rapproché, il serait insensé de croire que la Russie révolutionnaire pourrait résister à l'Europe conservatrice.

En effet, comment Kaménev et Zinoviev d'une part, Trotski, d'autre part, puis Lénine et le Parti allèrent-ils à l'insurrection? C'est une question très intéressante dont il vaut la peine de parler. Vous savez que Kaménev et Zinoviev n'y allèrent qu'à leur corps défendant, contraints par Lénine et sous la menace d'être exclus du Parti (Rires, applaudissements) ; ils se virent donc obligés de marcher au soulèvement. (Rires, applaudissements.) Trotski y alla de son gré, mais en faisant des réserves qui, à ce moment déjà, le rapprochaient de Kaménev et de Zinoviev. Notons que, précisément avant la révolution d'Octobre, en juin 1917, Trotski trouva à propos de rééditer, à Léningrad, sa vieille brochure le Programme de la paix, comme pour montrer qu'il marchait au soulèvement sous son propre drapeau. Que dit-il dans cette brochure? Il y polémise contre Lénine sur la possibilité d'une victoire du socialisme dans un seul pays; il considère que la conception de Lénine, dans cette question, est fausse et il affirme que, tout en reconnaissant la nécessité de prendre le pouvoir, il se rend compte que, sans l'aide venue à temps de la part des ouvriers victorieux de l'Europe occidentale, il serait insensé de croire que la Russie révolutionnaire pourrait subsister en face de l'Europe conservatrice. Il accuse d'étroitesse nationale celui qui ne comprend pas sa critique. Voici un extrait de cette brochure de Trotski:

Sans attendre les autres, nous commençons la lutte et la poursuivons dans notre pays, convaincus que notre initiative donnera le branle dans d'autres pays. Mais si cela n'arrive pas, il serait insensé de croire — l'expérience de l'histoire et les considérations théoriques le prouvent — que la Russie révolutionnaire, par exemple, puisse résister à l'Europe conservatrice... Considérer les perspectives de la révolution sociale dans les cadres nationaux signifierait devenir la victime de la même étroitesse nationale qui est l'essence même du social-patriotisme (Trotski : 1917, édition russe, tome II, 1e partie, page 90.)

Telles furent, camarades, les réserves faites par Trotski et qui nous expliquent les racines et les causes initiales de son bloc actuel avec Kaménev et Zinoviev.

Voyons comment Lénine et le Parti marchèrent au soulèvement. Firent-ils, eux aussi, des réserves? Non, aucune. Je cite un extrait d'un article remarquable de Lénine: « Le programme de guerre de la révolution prolétarienne », publié à l'étranger, en septembre 1917:

Le socialisme vainqueur dans un seul pays n'exclut nullement la possibilité de guerre en général. Au contraire, il la présuppose. Le développement du capitalisme se poursuit d'une façon très inégale dans les divers pays. Il ne peut en être autrement avec une production marchande. D'où, la conclusion irréfutable : le socialisme ne peut vaincre en même temps dans tous les pays. Il vaincra au début dans un ou plusieurs pays, mais les autres resteront encore un certain temps des pays bourgeois ou prébourgeois. Cela ne manquera pas de provoquer non seulement des frictions, mais aussi des efforts directs de la bourgeoisie des autres pays pour écraser le prolétariat victorieux de l'Etat socialiste. Une guerre dans de telles conditions serait, pour nous, une guerre légitime et juste. Ce serait une guerre pour le socialisme, pour la libération des autres peuples de la bourgeoisie. Lénine : « Le programme de guerre de la révolution prolétarienne», Annales de l'Institut Lénine, fascicule n° 2, Page 7.)

Vous constatez, camarades, que la thèse de Lénine est toute différente. Trotski allait au soulèvement en faisant des réserves qui le rapprochaient de Kaménev et de Zinoviev, en affirmant qu'un gouvernement prolétarien ne représente, par lui-même, rien de particulier si l'aide du dehors se fait attendre. Lénine, au contraire, allait au soulèvement sans aucune réserve, en affirmant que le pouvoir prolétarien dans notre pays doit servir de base pour aider les prolétaires des autres pays à se libérer du joug de la bourgeoisie.

C'est ainsi que les bolcheviks allèrent à l'insurrection d'Octobre et c'est la raison pour laquelle Trotski trouva, dix ans après la révolution d'Octobre, un langage commun avec Kaménev et Zinoviev.

On peut s'imaginer, dans les termes suivants, le dialogue échangé entre Trotski d'une part, Kaménev et Zinoviev de l'autre, lorsqu'ils formèrent le bloc de l'opposition.

Kaménev et Zinoviev s'adressant à Trotski : « Voyez-vous, cher camarade, en définitive nous avions raison d'affirmer qu'il ne fallait pas faire l'insurrection d'Octobre, qu'il fallait attendre l'Assemblée constituante, etc. Aujourd'hui tout le monde voit que le pays, le pouvoir, sont atteints de dégénérescence, que nous allons à notre perte et que nous ne réaliserons pas le socialisme. Il ne fallait pas faire l'insurrection. Vous y êtes allé de plein gré ; vous avez commis une grande faute. »

Trotski répond : « Non, chers collègues, vous êtes injustes à mon égard. Je suis bien allé à l'insurrection, mais vous avez oublié de dire comment j'y suis allé: en faisant des réserves. (Hilarité générale.) Et comme il est évident que maintenant nous n'avons aucune aide à attendre du dehors, il est clair que nous allons à notre perte comme je l'ai prédit, en son temps, dans ma brochure le Programme de la paix. »

Zinoviev et Kaménev : « Cela pourrait bien être vrai. Nous avions oublié cette réserve. Maintenant il est clair que notre bloc a bien une base idéologique. » (Hilarité générale. Applaudissements.)

Voilà comment a été trouvée la conception de l'opposition qui nie la possibilité d'édifier victorieusement le socialisme dans notre pays.

Que signifie-t-elle ? Elle est une capitulation. Devant qui? Il est évident que c'est une capitulation devant les éléments capitalistes de notre pays et devant la bourgeoisie mondiale. Que sont devenus les phrases de gauche, les gestes révolutionnaires? Il n'en est rien resté. Si vous secouez notre opposition, si vous rejetez sa phraséologie révolutionnaire, vous verrez qu'il n'en reste que la capitulation. ( Applaudissements.)

La dictature du prolétariat. Existe-t-elle chez nous, oui ou non ? Singulière question. (Rires.) Elle est posée, pourtant, par l'opposition, dans chacune de ses déclarations. L'opposition prétend que nous subissons une dégénérescence thermidorienne. Que signifie cela? Cela suppose que nous n'avons pas de dictature du prolétariat, que notre économie et notre politique s'effondrent et sont en régression, que nous allons non vers le socialisme, mais vers le capitalisme. Tout cela a quelque chose d'étrange et d'absurde, mais l'opposition insiste. Voilà, camarades, une nouvelle divergence. C'est sur cela que repose la fameuse thèse clemenciste de Trotski. Si le pouvoir a dégénéré, s'il dégénère, vaut-il la peine de l'épargner, de le défendre ? Il est évident que non. S'il se trouve un moment favorable pour « supprimer » ce pouvoir, si, par exemple, l'ennemi arrive à 80 kilomètres de Moscou, il faudra évidemment en profiter pour balayer ce pouvoir et le remplacer par un autre, par un pouvoir clemenciste, c'est-à-dire trotskiste. Il est clair qu'il n'y a rien là de léniniste; c'est du pur menchévisme. L'opposition en est arrivée au menchévisme.

Le bloc entre les ouvriers et les paysans moyens. L'opposition a toujours caché son attitude négative sur l'idée d'un tel bloc. Sa plate-forme, ses contre-thèses sont remarquables moins par ce qui y est dit que par ce qu'elles s'efforcent de cacher à la classe ouvrière. Mais il s'est trouvé un homme, I. N. Smirnov, également leader de l'opposition, qui eut le courage de dire la vérité sur l'opposition et de la montrer telle qu'elle est. Voici ce qu'il dit : « Nous allons à notre perte; si nous voulons nous sauver, il nous faut rompre avec les paysans moyens. » Ce n'est pas très intelligent; par contre, c'est tout à fait clair. Ici, chacun aperçoit déjà le bout de l'oreille menchévik.

Le caractère de notre révolution. Si l'on nie la possibilité d'édifier le socialisme dans notre pays, si l'on nie l'existence de la dictature du prolétariat et la nécessité du bloc de la classe ouvrière avec les paysans, il ne reste évidemment rien de notre révolution ni de son caractère socialiste. Le prolétariat est venu au pouvoir, il a achevé la révolution bourgeoise, les paysans n'ont plus rien à faire avec la révolution puisqu'ils ont reçu la terre:' par conséquent, le prolétariat peut se retirer et céder la place à d'autres classes. Telle est la thèse de l'opposition si l'on pénètre au fond de ses conceptions. Ce sont là toutes les racines de l'esprit de capitulation de l'opposition. Ce n'est pas sans raison qu'Abramovitch [Principal rédacteur du journal menchévik berlinois Sotsialistitcheski Vestnik (le Messager socialiste). (N.R.)] la glorifie.

La conception léniniste dans la direction des révolutions coloniales. Lénine partait de la différence entre les pays impérialistes et les pays opprimés, entre la politique communiste dans les pays impérialistes et dans les pays coloniaux. Partant de là, il disait, déjà pendant la guerre, que l'idée de la défense de la patrie, inadmissible et contre-révolutionnaire pour les communistes des pays impérialistes, est parfaitement acceptable et justifiée dans les pays opprimés qui font la guerre à l'impérialisme. Pour cette même raison, il admettait, dans une certaine phase et pour un délai déterminé, la possibilité d'un bloc et même d'une alliance avec la bourgeoisie nationale des pays coloniaux si cette dernière combat l'impérialisme et n'empêche pas les communistes d'éduquer les ouvriers et les paysans pauvres dans l'esprit du communisme. La faute de l'opposition c'est, précisément, de rompre définitivement avec la conception léniniste, de glisser à la IIe Internationale, qui nie la nécessité de soutenir les guerres révolutionnaires des pays coloniaux contre l'impérialisme. C'est cela, précisément, qui explique tous les malheurs de l'opposition dans la question de la révolution chinoise. Telle est cette divergence-là.

La tactique du front unique dans le mouvement ouvrier international. La faute de l'opposition consiste ici à rompre avec la tactique léniniste dans la question de la conquête graduelle des larges masses ouvrières au communisme. Ce n'est que grâce à une politique juste du Parti seulement que ces masses peuvent être gagnées. C'est là une chose essentielle, mais c'est loin d'être tout. Pour attirer les larges masses ouvrières au communisme, il est nécessaire qu'elles se convainquent, par leur propre expérience, de la justesse de sa politique. Et pour que les masses soient convaincues, ils faut du temps, il faut un travail habile de la part du Parti parmi les masses, pour convaincre des millions d'hommes de la justesse de sa politique. Déjà, en avril 1917, nous avions raison, car nous savions qu'il s'agissait de renverser la bourgeoisie et d'établir le pouvoir soviétique. Mais, à ce moment-là, nous n'avons pas appelé les larges masses ouvrières à l'insurrection parce qu'elles n'avaient pas eu encore l'occasion de se convaincre de la justesse de notre politique. C'est seulement après la faillite définitive des partis petits-bourgeois socialiste-révolutionnaire et menchévik dans les questions fondamentales de la révolution, que les masses commencèrent à comprendre que notre politique était la bonne; c'est seulement alors que nous avons entraîné les masses à l'insurrection, c'est grâce à cette tactique que nous avons été victorieux. C'est ainsi qu'est conçue l'idée du front unique. La tactique du front unique fut proclamée par Lénine pour faciliter aux millions d'ouvriers des pays capitalistes contaminés de préjugés social-réformistes, le passage au communisme. Ici, la faute de l'opposition est de répudier purement et simplement cette tactique. Séduite, un moment, d'une façon stupide par cette tactique, elle salua chaleureusement l'accord avec le Conseil général des trade-unions britanniques, voyant en lui « une des plus sérieuses garanties pour la paix », « une des plus sérieuses garanties contre l'intervention », une garantie des plus sérieuse pour « rendre inoffensif le réformisme en Europe » (voir Rapport de Zinoviev au XIV congrès du P.C. de l'U.R.S.S.). Mais, cruellement désillusionnée dans son espoir de voir le réformisme rendu inoffensif à l'aide des Purcell et des Hicks, elle passa à l'autre extrême en répudiant purement et simplement la tactique du front unique. Voilà, camarades, encore une divergence prouvant l'éloignement complet de l'opposition de la tactique léniniste du front unique.

La conception léniniste du Parti, de l'unité léniniste dans le P.C. de l'U.R.S.S. et dans l'Internationale communiste. L'opposition rompt entièrement, ici, avec la conception léniniste sur l'organisation du Parti en s'engageant dans la voie de l'organisation d'un second parti, d'une nouvelle Internationale.

Tels sont les sept points fondamentaux qui montrent que, dans chacune de ces questions, l'opposition a glissé jusqu'au menchévisme.

Ces conceptions menchéviks de l'opposition sont-elles compatibles avec l'idéologie de notre parti, avec son programme et sa tactique, avec la tactique de l'Internationale communiste, avec la conception léniniste de l'organisation du Parti ? En aucune façon et pour aucun instant !

Comment une telle opposition a-t-elle pu naître chez nous, quelles sont ses racines sociales ? Je crois que l'origine sociale de l'opposition est dans la ruine des couches petites-bourgeoises des villes au cours de notre développement, dans leur mécontentement de la dictature du prolétariat, dans leur désir ardent de modifier ce régime, de « l'améliorer » par l'instauration d'une démocratie bourgeoise. J'ai déjà dit que nos progrès, l'accroissement de notre industrie et l'importance du secteur socialiste dans notre économie entraînent la ruine et la disparition d'une partie de la petite bourgeoisie, surtout de la bourgeoisie urbaine. L'opposition se fait l'écho de ces couches et de leur mécontentement du régime de la révolution prolétarienne.

C'est ici, par conséquent, que sont les racines sociales de l'opposition.

4. Comment agir dès lors avec l'opposition ? Je voudrais tout d'abord vous raconter une expérience de collaboration avec Trotski, que Kaménev a faite en 1911. C'est très intéressant ; d'autant plus que les leçons qu'on peut en tirer nous permettront d'aborder comme il convient la question posée. En 1910, se tint, à l'étranger, un Plénum de notre C.C. ; la question des rapports des bolcheviks avec les menchéviks, et en particulier avec Trotski, y fut discutée (nous étions alors dans un seul parti avec les menchéviks et nous nous appelions fraction). Ce Plénum se prononça pour la conciliation avec les menchéviks et, par conséquent, avec Trotski aussi. Cette décision fut prise contre l'opinion de Lénine qui n'eut avec lui que la minorité. Kaménev se chargea alors de réaliser la collaboration avec Trotski. Il ne le fit pas à l'insu de Lénine, mais d'accord avec lui. Lénine voulait prouver à Kaménev, par l'expérience, le caractère nuisible et inadmissible d'une collaboration avec Trotski contre le bolchévisme. Ecoutons ce qu'en dit Kaménev :

En 1910, la majorité de notre fraction tenta de se réconcilier et d'établir un accord avec le camarade Trotski. Lénine s'y opposa formellement et pour me « punir », en quelque sorte, de mon insistance en vue d'arriver à un accord avec le camarade Trotski, Lénine demanda que je fusse chargé de représenter le Comité central à la rédaction du journal du camarade Trotski. Vers l'automne 1910, après quelques mois de travail dans cette rédaction, je m'étais convaincu que Vladimir Ilitch avait raison d'être contre ma ligne « conciliatrice » et, d'accord avec Lénine, je quittai la rédaction de l'organe du camarade Trotski. Cette rupture avec le camarade Trotski fut marquée d'une série d'articles vigoureux publiés dans l'organe central du Parti. C'est précisément à ce moment que Vladimir Ilitch me proposa d'écrire une brochure pour faire le bilan de nos divergences tant avec les liquidateurs-menchéviks qu'avec le camarade Trotski. « Vous avez fait l'expérience d'un accord avec l'aile extrême gauche « trotskiste » des groupes antibolchéviks, vous vous êtes rendu compte de l'impossibilité d'un accord — il faut donc que vous écriviez une brochure donnant les résultats de cette expérience », me dit Vladimir Ilitch. Naturellement, il insistait particulièrement pour que tout soit mis au clair... jusqu'au bout, au sujet des rapports entre le bolchévisme et ce que nous nommions à cette époque le trotskisme. (Préface de L. Kaménev à sa brochure les Deux Partis, mai 1924.)

Quels en furent les résultats ? Ecoutez encore :

L'expérience d'une collaboration avec Trotski, expérience que j'ai faite, j'ose affirmer, tout à fait sincèrement, ce dont témoignent mes lettres et mes conversations privées, exploitées aujourd'hui par Trotski, a montré que toute tentative de conciliation conduit inévitablement à la défense du liquidationnisme et ne profite qu'à ce dernier. (L. Kaménev : les Deux Partis, édition russe, 1911, p. 136.)

Plus loin :

Si le « trotskisme », en tant que tendance dans le Parti, était victorieux, quelle joie ç'aurait été pour le liquidationnisme, pour l'otzovisme, pour toutes les tendances qui luttent contre le Parti. (Ibidem, p. 143.)

Telle fut, camarades, l'expérience de collaboration avec Trotski.

Exclamation : Expérience instructive !

Kaménev exposa les résultats de cette expérience dans la brochure publiée en 1911, intitulée : les Deux Partis. Je suis certain que cette brochure fut très utile à tous les camarades qui nourrissaient encore des illusions sur une collaboration avec Trotski. Je pose aujourd'hui la question suivante : pourquoi Kaménev n'essayerait-il pas, encore une fois, d'écrire une brochure intitulée également les Deux Partis sur son expérience de collaboration actuelle avec Trotski? (Hilarité générale. Applaudissements.) Cela ne serait peut-être pas sans utilité. Je ne puis cependant donner aucune garantie à Kaménev que Trotski n'utilisera pas encore une fois contre lui ses lettres et ses conversations intimes. (Hilarité générale.) Je ne pense pas qu'il doive avoir peur de cela. De toutes façons, il faut choisir : ou bien craindre que Trotski n'utilise les lettres de Kaménev et ne divulgue leurs conversations — c'est alors le danger de rester en dehors du Parti; ou bien rejeter toute crainte et rester dans le Parti. La question se pose ainsi maintenant, Il faut choisir l'un ou l'autre.

On dit que l'opposition a l'intention de présenter au congrès une déclaration de soumission à toutes les décisions du Parti.

Exclamation : Comme en octobre 1926 ! ...affirmant qu'elle dissoudra sa fraction Exclamation : Elle l'a déjà promis deux fois ! ...et qu'elle défendra ses idées, auxquelles elle ne renonce pas.

Exclamations : Oh! oh! nous ferons mieux de les dissoudre nous-mêmes !

...dans les cadres des statuts du Parti. Exclamations : Encore des réserves ! Les cadres du Parti ne sont pas en caoutchouc !

Je pense, camarades, que cela n'aboutira à rien. Exclamations : C'est juste! (Applaudissements prolongés.)

Nous avons déjà, camarades, une certaine expérience de ces déclarations (Applaudissements), nous avons déjà l'expérience de deux déclarations...

Exclamations: C'est juste!

...du 16 octobre 1926 et du 8 août 1927. A quoi cette expérience a-t-elle abouti ? Sans avoir aucunement l'intention d'écrire une brochure intitulée les Deux Partis, j'ose déclarer que cette expérience a conduit à des résultats tout à fait négatifs.

Exclamations: C'est juste!

...à tromper deux fois le Parti, à affaiblir la discipline dans le Parti. Quel droit l'opposition a-t-elle, maintenant, d'exiger que le congrès d'un grand parti, le congrès du parti de Lénine, la croie sur parole après cette expérience ?

Exclamations : Ce serait une bêtise! On serait puni de lui avoir témoigné de la confiance !

On dit que l'opposition pose également la question de la réintégration des exclus.

Exclamations : Ce ne sera pas ! Qu'ils aillent dans le marais menchévik !

...Je pense, camarades, que cela non plus ne se fera pas. (Applaudissements prolongés.)

Pourquoi le Parti a-t-il exclu Trotski et Zinoviev ? Parce qu'ils sont les organisateurs de toute l'œuvre de l'opposition

Exclamations: C'est juste!

...parce qu'ils ont pour but de briser les lois du Parti ; parce que, dans leur orgueil, ils ont cru qu'on n'oserait pas les toucher ; parce qu'ils ont voulu se créer une situation privilégiée dans le Parti. Tolèrera-t-on, dans le Parti, des grands seigneurs jouissant de privilèges et des paysans qui n'en ont pas ? Est-ce que nous, bolcheviks, qui avons extirpé la noblesse avec ses racines, allons maintenant la rétablir dans notre parti ? (Applaudissements.) Vous demandez : pourquoi avons-nous exclu Trotski et Zinoviev du Parti? Parce que nous ne voulons pas avoir une caste aristocratique dans le Parti. Parce que les lois sont les mêmes pour tous dans le Parti et que tous les membres du Parti ont les mêmes droits.

Exclamations : C'est juste! (Applaudissements prolongés.)

Si l'opposition veut rester dans le Parti, qu'elle se soumette à la volonté du Parti, à ses lois, à ses instructions, sans réserve et sans équivoque. Si elle ne le veut pas, qu'elle s'en aille là où elle pourra être plus à son aise.

Exclamations : C'est juste! -— (Applaudissements.)

Nous ne voulons pas de lois spéciales avantageuses pour l'opposition ; nous n'en voulons et n'en créerons pas. (Applaudissements.)

On demande quelles sont les conditions. Il n'y en a qu'une : l'opposition doit désarmer entièrement et complètement tant sous le rapport de l'idéologie que de l'organisation.

Exclamations : C'est juste! (Applaudissements prolongés.)

Elle doit renoncer à ses conceptions antibolchéviks, ouvertement et honnêtement, devant le monde entier.

Exclamations : C'est juste! (Applaudissements prolongés.)

Elle doit condamner ouvertement et honnêtement, devant le monde entier, les erreurs qu'elle a commises, ses erreurs devenues un crime contre le Parti. Elle doit nous livrer toutes ses cellules pour que le Parti puisse les dissoudre toutes sans exception.

Exclamations : C'est juste! (Applaudissements prolongés.)

Qu'ils fassent ainsi ou s'en aillent du Parti. Et s'ils ne s'en vont pas, nous les mettrons dehors.

Exclamations : C'est juste! (Applaudissements prolongés.)

Voilà comment se pose, camarades, la question de l'opposition.

 

Nos divergences

(Staline - Oeuvres - Tome V - Editions Sociales, 1955, pp. 14-23 et 312-316.)

Nos divergences sur les syndicats ne portent pas sur notre jugement de principe à leur égard. Les points bien connus de notre programme qui traitent du rôle de ces organisations, points fréquemment cités par Trotski, et la résolution du IXe Congrès du Parti sur les syndicats [Il s'agit ici du programme du P.C. (b) R., adopté par le VIIIe Congrès du Parti, section « Domaine économique », et de la résolution du IXe Congrès du P.C. (b) R. sur « La question des syndicats et de leur organisation ». (Voir les Résolutions et décisions des congrès, conférences et sessions plénières du C.C. du P.C.U.S., 1re partie, 1933, p. 421-424, 490-494.) (N.R.)] restent (et resteront) en vigueur. Nul ne conteste que les syndicats et les organismes économiques doivent s'imbriquer, et qu'ils s'imbriqueront (« intégration »). Nul ne conteste que la phase actuelle, celle de la renaissance économique du pays, dicte la transformation graduelle de nos syndicats de l'industrie, — qui, pour le moment, ne sont tels qu'en paroles, — en syndicats méritant véritablement ce nom et capables de remettre sur pied les principales branches de notre industrie. Bref, nos divergences ne sont pas des divergences de principe.

Elles ne portent pas davantage sur la nécessité de la discipline du travail, dans les syndicats comme dans la classe ouvrière en général. Dire qu'une fraction de notre Parti laisse aux masses « la bride sur le cou » et les abandonne au jeu des forces aveugles, est une sottise. Le rôle dirigeant des éléments du Parti à l'intérieur des syndicats, comme celui des syndicats à l'intérieur de la classe ouvrière, reste une vérité incontestée.

Nos divergences portent moins encore sur la composition des comités centraux des syndicats et du Conseil central des syndicats de Russie au point de vue de la qualité. Chacun s'accorde à reconnaître que la composition de ces organismes est loin d'être parfaite; que les syndicats ont beaucoup souffert d'une série de mesures de mobilisation, militaires et autres ; qu'il faut leur rendre leurs vieux militants et leur affecter des cadres nouveaux, leur fournir des moyens techniques, etc.

Non, ce n'est pas là que résident nos divergences.

I - DEUX METHODES POUR ABORDER LES MASSES OUVRIERES.

Nos divergences portent sur les moyens de renforcer la discipline du travail dans la classe ouvrière, sur les méthodes pour aborder les masses ouvrières entraînées dans l'œuvre de relèvement de l'industrie, sur les voies à suivre pour transformer les syndicats débiles d'aujourd'hui en syndicats puissants, qui soient réellement des organisations d'industries, capables d'assurer la renaissance de notre industrie.

Il existe deux méthodes : celle de la contrainte (méthode militaire) et celle de la persuasion (méthode syndicale). La première n'exclut nullement le recours à la persuasion, mais en ce cas la persuasion est subordonnée aux exigences de la méthode de contrainte et ne constitue pour elle qu'un moyen subsidiaire. La seconde méthode, à son tour, n'exclut pas le recours à la contrainte, mais en ce cas la contrainte est subordonnée aux exigences de la méthode de persuasion et ne constitue pour elle qu'un moyen subsidiaire. Il n'est pas plus permis de confondre ces deux méthodes que de mettre dans le même sac l'armée et la classe ouvrière.

Un groupe de militants du Parti, Trotski en tête, enivrés par les succès des méthodes militaires dans le milieu spécial de l'armée, croient possible et nécessaire de transplanter ces méthodes dans le milieu ouvrier, dans les syndicats, pour obtenir les mêmes succès en ce qui concerne le renforcement des syndicats, la renaissance de l'industrie. Mais ils oublient que l'armée et la classe ouvrière sont deux milieux différents, qu'une méthode qui convient à l'armée peut ne pas convenir, être nuisible à la classe ouvrière et à ses syndicats.

L'armée ne représente pas une grandeur homogène ; elle se compose essentiellement de deux groupes sociaux : les paysans et les ouvriers, et le premier facteur est un multiple du second. Quand il a fixé la nécessité de recourir dans l'armée surtout aux méthodes de contrainte, le VIIIe Congrès du Parti [Sur le VIIIe Congrès du P.C. (b) R. et ses décisions relatives aux questions militaires et autres, voir l'Histoire du P.C. (b) de l'U.R.S.S. (édition française, Moscou, p. 328-333), et aussi les Résolutions et décisions des congrès, conférences et sessions plénières du Comité central du P.C.U.S., Ire partie, 1953, p. 407-455. Staline est intervenu au VIIIe Congrès du P.C. (b) R. sur les questions militaires (voir Œuvres, tome IV, p. 221-222) et il a participé aux travaux de la commission militaire instituée par le congrès pour rédiger la résolution sur ces problèmes. (N.R.)] s'est fondé sur le fait que l'armée se compose surtout de paysans, et que les paysans n'iront pas combattre pour le socialisme; par conséquent, on pouvait et il fallait les faire combattre pour le socialisme par des méthodes de contrainte. De là des moyens d'action purement militaires, comme l'organisation des commissaires et des sections politiques, les tribunaux révolutionnaires, les punitions disciplinaires, la nomination de tous les gradés, etc.

Contrairement à l'armée, la classe ouvrière est un milieu social homogène, prédisposé au socialisme en raison de sa situation économique, perméable à la propagande communiste, disposé de lui-même à s'organiser en syndicats et constituant pour toutes ces raisons la base, le cœur de l'Etat soviétique. Par suite, rien d'étonnant à ce que le recours surtout aux méthodes de persuasion serve de base à l'activité pratique de nos syndicats d'industrie. De là des méthodes d'action purement syndicales, comme l'explication, l'éducation de masse, le développement de l'initiative et de l'action propre des masses ouvrières, l'élection des dirigeants, etc.

La faute de Trotski consiste à sous-estimer les différences qui existent entre l'armée et la classe ouvrière, à mettre sur le même plan les organisations militaires et les syndicats, à essayer, par inertie sans doute, d'emprunter à l'armée les méthodes militaires de l'armée pour les appliquer aux syndicats, à la classe ouvrière.

Opposer purement et simplement, lisons-nous dans l’un des documents de Trotski, les méthodes militaires (commandement, punition) aux méthodes syndicales (explication, éducation, initiative), c'est manifester des préjugés kautskistes, menchéviks et socialistes-révolutionnaires... Le fait même d'opposer l'organisation du travail et celle de l'armée dans un Etat ouvrier constitue une capitulation honteuse devant le kautskisme.

Ainsi parle Trotski.

Abstraction faite de l'inutile verbiage sur le « kautskisme », le « menchévisme », etc., il est clair que Trotski n'a pas compris les différences qui existent entre l'organisation ouvrière et celle de l'armée ; il n'a pas compris qu'en, un moment où la guerre a pris fin et où l'industrie se relève, il est nécessaire, inévitable, d'opposer les méthodes militaires aux méthodes démocratiques (syndicales) et que partant, l'introduction des méthodes militaires dans les syndicats est erronée, nuisible.

Cette incompréhension s'exprime dans les récentes brochures polémiques de Trotski sur les syndicats.

C'est elle qui est à l'origine des fautes de Trotski.

II - DEMOCRAT1SME CONSCIENT ET « DEMOCRATISME » IMPOSE.

D'aucuns pensent que tous les propos sur le démocratisme dans les syndicats ne sont qu'une déclamation vaine, une mode qui s'explique par certains faits de la vie intérieure du Parti, qu'avec le temps ce « bavardage » sur le démocratisme finira par lasser et que l'on en reviendra aux « vieux usages ».

D'autres estiment que le démocratisme dans les syndicats est au fond une concession, une concession forcée aux exigences des ouvriers, qu'il s'agit là de diplomatie plutôt que de quelque chose de réel et de sincère.

Il va sans dire que les deux sortes de camarades se trompent profondément. Le démocratisme dans les syndicats, c'est-à-dire ce que l'on est convenu d'appeler « les méthodes normales de démocratie prolétarienne à l'intérieur des syndicats », est le démocratisme conscient inhérent aux organisations ouvrières de masse ; il suppose la conscience de la nécessité et de l'utilité du recours régulier aux méthodes de persuasion à l'égard des millions d'ouvriers organisés dans les syndicats. Sans cette conscience, le démocratisme devient un mot vide de sens.

Tant que la guerre et le danger étaient à nos portes, les appels à l' « aide pour le front », lancés par nos organisations, rencontraient chez les ouvriers un vibrant écho : le péril n'était que trop tangible, le péril prenait l'aspect parfaitement concret et évident pour tous des armées de Koltchak, de Ioudénitch, de Dénikine, de Pilsudski, de Wrangel, qui, à mesure qu'elles avançaient, rétablissaient le pouvoir des grands propriétaires fonciers et des capitalistes. Il n'était pas difficile alors de mettre les masses en mouvement. Mais aujourd'hui que le péril militaire est écarté et que le nouveau danger, le danger économique (la ruine de l'économie), est loin d'être aussi tangible pour les niasses, on ne saurait les mobiliser en se bornant à leur adresser des appels. Certes, chacun est sensible au manque de pain et de tissus ; mais, d'abord, les gens se débrouillent et ils se procurent ces articles d'une manière ou de l'autre, si bien que le danger de manquer de pain et de marchandises est loin de stimuler les masses comme le danger militaire le faisait; ensuite, nul n'ira prétendre que le danger économique (manque de locomotives, de machines agricoles, d'usines textiles et d'usines métallurgiques, d'équipement pour les centrales électriques, etc.) apparaisse aussi clairement à la conscience des masses que naguère le danger militaire. Pour entraîner des millions d'ouvriers à la lutte contre la ruine de l'économie, il est indispensable de développer l'initiative, la conscience, l'action propre des larges masses ; il est indispensable de les convaincre, à l'aide de faits concrets, que la ruine de l'économie constitue un péril aussi réel, aussi mortel que l'était, hier encore, le danger militaire ; il est indispensable d'entraîner des millions d'ouvriers à l'œuvre de relèvement de la production par l'intermédiaire de syndicats démocratiquement organisés. Ainsi seulement toute la classe ouvrière prendra vraiment à coeur la lutte des organismes économiques contre la ruine. Sinon, impossible de remporter la victoire sur le front économique.

Bref, le démocratisme conscient, la méthode de démocratie prolétarienne à l'intérieur des syndicats est la seule méthode qui convienne aux syndicats d'industrie.

Or, le « démocratisme » imposé n'a rien de commun avec ce démocratisme-là.

Quand on lit la brochure de Trotski Le Rôle et les tâches des syndicats, on pourrait croire qu'au fond, Trotski est, « lui aussi », pour la méthode « démocratique ». C'est pourquoi certains camarades estiment que nos divergences ne portent pas sur la question des méthodes de travail des syndicats. Mais cette opinion est absolument fausse. Car le « démocratisme » de Trotski est un « démocratisme » imposé, bâtard, sans principes, et comme tel, il n'est qu'un complément de la méthode bureaucratico-militaire, qui ne convient point aux syndicats.

Jugez-en vous-mêmes.

Dans les premiers jours de novembre 1920, le Comité central adopte une décision, et la fraction communiste de la Ve Conférence des syndicats de Russie fait voter une résolution, disant qu'

il est nécessaire de combattre de la manière la plus énergique et la plus méthodique la dégénérescence du centralisme et des formes de travail militarisées en bureaucratisme, en arbitraire, en procédés de ronds-de-cuir, en tutelle tatillonne sur les syndicats... Pour le Tsektran également (Comité de la Fédération des ouvriers des transports, dirigé par Trotski), l'ère des méthodes spécifiques d'administration en vue desquelles a été créé le Glavpolitpout [Direction politique principale du Commissariat du peuple des Voies de communications. (N.T.)] et qui étaient dues à des conditions particulières, touche à sa fin.

En conséquence, la fraction communiste de la conférence

recommande au Tsektran d'intensifier et de développer les méthodes normales de la démocratie prolétarienne à l'intérieur du syndicat,

en lui faisant un devoir de

prendre une part active au travail d'ensemble du Conseil central des syndicats de Russie, dont il fera partie au même titre que les autres groupements syndicaux (voir la Pravda, n° 255).

Mais malgré cette décision, Trotski et le Tsektran s'en sont tenus pendant tout le mois de novembre à leur ancienne ligne de conduite, à moitié bureaucratique, à moitié militaire, en s'appuyant, comme par le passé, sur le Glavpolitpout et le Glavpolitvod. [Direction politique principale des transports par eau. (N.T.)] en s'efforçant de « secouer », de faire sauter le Conseil central des syndicats, en défendant la position privilégiée du Tsektran parmi les autres groupements syndicaux. Et qui plus est, dans une lettre « aux membres du Bureau politique du Comité central » en date du 30 novembre, Trotski déclare « inopinément » que « le Glavpolitvod... ne pourra en aucun cas être dissous avant deux ou trois mois au plus tôt ». Et que voyons-nous ? Six jours plus tard (le 7 décembre), ce même Trotski, non moins « inopinément », vote au Comité central

la suppression immédiate du Glavpolitpout et du Glavpolitvod, dont le personnel et les ressources doivent passer en totalité à l'organisation syndicale conformément aux règles normales de la démocratie.

Il est au nombre des huit membres du Comité central qui votent pour cette mesure, alors que les sept autres estiment déjà insuffisante la suppression de ces organismes et exigent, en plus, une modification de la composition actuelle du Tsektran. Pour sauver la composition actuelle du Tsektran, Trotski vote la suppression des directions politiques principales au sein de celui-ci.

Quels sont donc les changements intervenus dans ces six jours ? La conscience des cheminots et des travailleurs des transports par eau a peut-être, en ces six jours, réalisé des progrès tels que le Glavpolitpout et le Glavpolitvod ont cessé de leur être indispensables ? Ou bien d'importants changements se sont-ils produits au cours de cette courte période dans la situation politique intérieure ou extérieure? Evidemment non. Il s'est produit ceci que les travailleurs des transports par eau ont énergiquement exigé du Tsektran la suppression des directions politiques principales et une modification de sa propre composition, et que le groupe de Trotski, par crainte d'un échec et par désir de conserver au moins l'ancienne composition du Tsektran, s'est vu contraint de reculer, de faire des concessions partielles, qui n'ont d'ailleurs satisfait personne. Tels sont les faits.

Est-il besoin de démontrer que ce « démocratisme » imposé, bâtard, sans principes, n'a rien de commun avec les « méthodes normales de la démocratie prolétarienne à l’intérieur des syndicats », que le Comité central du Parti recommandait dès le début de novembre et qui sont si nécessaires à la renaissance de nos syndicats d'industrie ?

Dans son discours de clôture lors de la discussion qui s'est déroulée à la fraction communiste du Congrès des Soviets [Il s'agit ici de la réunion commune des fractions du P.C. (b) R. qui existaient dans le VIIIe Congrès des Soviets, le Conseil central des syndicats de la R.S.F.S.R. et le Conseil des syndicats de Moscou-ville, réunion en date du 30 décembre 1920. (N.R.)], Trotski a protesté contre l'intrusion de l'élément politique dans le débat sur les syndicats, en affirmant que la politique n'avait rien à y voir. Disons qu'ici Trotski fait entièrement erreur. Est-il besoin de démontrer que dans un Etat ouvrier et paysan, aucune décision importante, intéressant l'ensemble de l'Etat, surtout si elle concerne directement la classe ouvrière, ne peut être appliquée sans exercer des répercussions d'une façon ou de l'autre sur l'état politique du pays ? Et en règle générale, n'est-il pas ridicule et peu sérieux de séparer la politique de l'économie ? On ne saurait donc se dispenser de peser, au préalable, chaque décision de ce genre du point de vue politique également.

Jugez-en vous-mêmes.

On peut aujourd'hui considérer comme démontré que les méthodes du Tsektran, dirigé par Trotski, sont condamnées par la pratique même de cet organisme. C'est en dirigeant le Tsektran et en agissant par son intermédiaire sur les autres syndicats que Trotski entendait ranimer et faire revivre les syndicats, entraîner les ouvriers an travail pour la renaissance de l'industrie. A quoi a-t-il abouti en réalité ? A un conflit avec la majorité des communistes à l'intérieur des syndicats, à un conflit entre la majorité des syndicats et le Tsektran, à une scission de fait au sein du Tsektran, à l'exaspération des ouvriers syndiqués de la « base » contre les « commissaires ». En d'autres termes, non seulement il n'y a pas eu renaissance des syndicats, mais le Tsektran a commencé lui-même à se désagréger. Il est hors de doute que si les méthodes du Tsektran étaient transposées dans les autres syndicats, on aurait le même spectacle de conflits, de scission et de désagrégation. Nous aboutirions au désarroi et à la scission de la classe ouvrière.

Le parti politique de la classe ouvrière peut-il négliger ces faits ? Peut-on affirmer qu'il est indifférent à l'état politique de notre pays que nous ayons une classe ouvrière étroitement groupée dans des syndicats uniques ou une classe ouvrière divisée en groupes hostiles ? Peut-on dire, lorsqu'il s'agit d'apprécier les méthodes à appliquer pour aborder les masses, que le facteur politique ne doit jouer aucun rôle, que la politique n'a rien à y voir ?

Il est clair que non.

La R.S.F.S.R. et les républiques fédérées ont actuellement une population d'environ 140 millions d'habitants, dont 80 % sont des paysans. Pour gouverner un tel pays, le pouvoir des Soviets doit inspirer une confiance solide à la classe ouvrière, puisque c'est uniquement par l'intermédiaire de la classe ouvrière et grâce à ses forces que l'on peut assurer la direction du pays. Mais pour conserver et fortifier la confiance de la majorité des ouvriers, il faut développer méthodiquement la conscience, l'action propre, l'initiative de la classe ouvrière, l'éduquer méthodiquement dans l'esprit du communisme en l'organisant en syndicats, en l'entraînant à l'œuvre d'édification de l'économie communiste.

Il est évidemment impossible d'accomplir cette tâche par des méthodes de contrainte, en « secouant » les syndicats d'en haut, puisque de telles méthodes divisent la classe ouvrière (voir le Tsektran !) et sèment la méfiance à l'égard du pouvoir des Soviets. En outre, on conçoit aisément que, d'une façon générale, les méthodes de contrainte ne sauraient développer la conscience des masses et leur confiance dans le pouvoir des Soviets.

Il est clair que c'est seulement « par les méthodes normales de la démocratie prolétarienne à l'intérieur des syndicats », par les méthodes de persuasion que l'on pourra arriver à grouper étroitement la classe ouvrière, à développer son initiative et à accroître sa confiance dans le pouvoir des Soviets, confiance si nécessaire à l'heure actuelle pour entraîner le pays à la lutte contre la ruine de l'économie.

La politique, vous le voyez, plaide, elle aussi, en faveur des méthodes de persuasion.

5 janvier 1921.

Pravda [La Vérité], n° 12, 19 janvier 1921.

Signé : J. Staline.

 

 

A propos de la lettre de Trotski

La résolution du Comité central et de la Commission centrale de contrôle sur la démocratie à l'intérieur du Parti, qui a été publiée le 7 décembre, avait été adoptée à l'unanimité. Trotski l'a votée. On pouvait donc penser que les membres du Comité central, y compris Trotski, présenteraient un front unique pour appeler les adhérents du Parti à accorder un soutien unanime au Comité central et à sa résolution. Or, cette supposition ne s'est pas confirmée. Il y a quelques jours, Trotski a adressé aux conférences du Parti une lettre qui ne peut être interprétée que comme une tentative d'affaiblir la volonté d'unité des membres du Parti dans l'appui qu'ils accordent au Comité central et à sa position.

Jugez-en vous-mêmes.

En évoquant le bureaucratisme de l'appareil du Parti et le danger d'une dégénérescence de la vieille garde, c'est-à-dire du noyau fondamental, léniniste, de notre Parti, Trotski écrit :

On a plus d'une fois observé dans l'histoire une dégénérescence de la « vieille garde ». Prenons l'exemple historique le plus récent et le plus frappant : celui des chefs et des partis de la IIe Internationale. Nous savons, en effet, que Wilhelm Liebknecht, Bebel, Singer, Victor Adler, Kautsky, Bernstein, Lafargue, Guesde et d'autres avaient été les disciples immédiats, directs de Marx et d'Engels. Nous savons cependant que tous ces chefs, — les uns en partie, les autres entièrement, — ont dégénéré et versé dans l'opportunisme... Nous devons dire, nous, les « vieux », que notre génération, qui joue naturellement le rôle dirigeant dans le Parti, n'offre en soi aucune garantie contre un affaiblissement progressif et insensible de l'esprit prolétarien et révolutionnaire, si l'on admet que le Parti va tolérer une accentuation et une stabilisation des méthodes de politique propres à un appareil bureaucratique, qui font de la jeune génération un objet d'éducation passif et créent inévitablement un fossé entre l'appareil et la masse, entre les vieux et les jeunes... La jeunesse est le meilleur baromètre du Parti ; c'est elle qui réagit avec le plus de vigueur au bureaucratisme du Parti... Il faut que la jeunesse emporte de haute lutte des formules révolutionnaires...

Je dois, en premier lieu, dissiper une équivoque possible. Trotski, ainsi qu'il ressort de sa lettre, se range dans la vieille garde bolchévik, et il se déclare ainsi prêt à prendre sa part des reproches qui peuvent éventuellement être adressés à la vieille garde, si en effet elle s'engage dans la voie de la dégénérescence. Il faut reconnaître que cet empressement à se sacrifier est sans nul doute un trait de noblesse. Mais je dois défendre Trotski contre lui-même, car, pour des raisons bien compréhensibles, il ne peut ni ne doit assumer la responsabilité d'une éventuelle dégénérescence des cadres principaux de la vieille garde bolchévik. Le sacrifice est, certes, une belle chose ; mais est-il nécessaire aux vieux bolchéviks ? Je ne le crois pas.

En second lieu, on comprend mal qu'on puisse mettre sur le même pied des opportunistes et des menchéviks comme Bernstein, Adler, Kautsky, Guesde et autres, et la vieille garde bolchévik, qui s'est toujours battue et qui, je l'espère, se battra toujours avec honneur contre l'opportunisme, contre les menchéviks, contre la IIe Internationale. Par quoi s'expliquent ce méli-mélo, cette confusion, à qui peuvent-ils servir, si l'on ne veut voir que les intérêts du Parti, sans se laisser guider par des considérations accessoires dont le but n'est nullement de défendre la vieille garde ? Comment comprendre ces allusions à l'opportunisme, lorsqu'il s'agit des vieux bolchéviks qui ont grandi dans la lutte contre l'opportunisme ?

En troisième lieu, je suis loin de penser que les vieux bolchéviks sont absolument garantis contre le danger de dégénérescence, pas plus que je n'ai de raison d'affirmer que nous sommes absolument garantis, par exemple, contre les tremblements de terre. On peut et on doit admettre qu'il y a là un danger éventuel. Mais cela signifie-t-il que ce danger soit réel, menaçant ? Je ne le crois pas. D'ailleurs, Trotski lui-même n'a apporté aucune preuve du caractère réel du danger de dégénérescence. Et pourtant il existe au sein de notre Parti des éléments d'où peut effectivement provenir le danger d'une dégénérescence atteignant certains secteurs de notre Parti. Je veux parler de cette portion des menchéviks qui est entrée à contre-cœur dans notre Parti et ne s'est pas encore débarrassée de ses vieilles habitudes opportunistes. Voici ce que le camarade Lénine écrivait à propos de ces menchéviks et de ce danger lors de l'épuration de notre Parti :

Tout opportuniste se distingue par sa faculté d'adaptation... et les menchéviks, en tant qu'opportunistes, s'adaptent pour ainsi dire « par principe » à la tendance qui domine chez les ouvriers; ils prennent une couleur protectrice, tel le lièvre qui devient blanc en hiver. Cette particularité des menchéviks, il faut la connaître et en tenir compte. Et en tenir compte, cela signifie épurer le Parti d'environ 99 % des menchéviks qui ont adhéré au P.C.R. après 1918, c'est-à-dire lorsque la victoire des bolchéviks a commencé à devenir d'abord probable, puis certaine (voir t. XXVII, p. 13).

Comment a-t-il pu se faire que Trotski, perdant de vue ce danger et d'autres analogues, qui sont parfaitement réels, ait mis au premier plan un danger éventuel, celui d'une dégénérescence de la vieille garde bolchévik ? Comment peut-on fermer les yeux sur un danger réel et mettre au premier plan un danger, à proprement parler, éventuel, inexistant, si l'on ne veut voir que l'intérêt du Parti, sans chercher à saper l'autorité de la majorité du Comité central, qui représente le noyau dirigeant de la vieille garde bolchevik ? N'est-il pas clair que de telles façons d'« aborder » la question ne font qu'apporter de l'eau au moulin de l'opposition ?

En quatrième lieu, pourquoi Trotski a-t-il ainsi opposé les « vieux » qui peuvent dégénérer, à la jeunesse qui est « le meilleur baromètre » du Parti, et la « vieille garde » qui peut se bureaucratiser, à la « jeune garde » qui doit « emporter de haute lutte des formules révolutionnaires » ? Pourquoi cette opposition, à quoi répond-elle ? La jeunesse et la vieille garde n'ont-elles pas toujours fait front unique contre les ennemis du dedans et du dehors ? L'unité des « vieux » et des « jeunes » n'est-elle pas la force principale de notre révolution ? Pourquoi cette tentative de déconsidérer la vieille garde et de flatter démagogiquement la jeunesse afin d'ouvrir, puis d'élargir une fissure entre ces deux détachements principaux de notre Parti ? A qui cela peut-il servir, si l'on ne veut voir que l'intérêt du Parti, son unité, sa cohésion, sans chercher à ébranler cette unité au profit de l'opposition ?

Est-ce ainsi que l'on défend le Comité central et sa résolution sur la démocratie à l'intérieur du Parti, résolution adoptée, de surcroît, à l'unanimité ?

Il est du reste bien évident que Trotski ne s'est pas proposé cet objectif lorsqu'il a adressé sa lettre aux conférences du Parti. Manifestement, son intention était autre : fournir un appui diplomatique à l'opposition dans sa lutte contre le Comité central du Parti, tout en prétendant défendre la résolution du Comité central.

C'est ce qui explique, à proprement parler, la duplicité dont la lettre de Trotski est empreinte.

Trotski fait bloc avec les centralistes démocratiques et une partie des communistes « de gauche » : tel est le sens politique de sa lettre.

Pravda [La Vérité], n° 285, 15 décembre 1923.

Signé : J. Staline.

 

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