Ecologie et marxisme

Etudes Marxistes n°51 (2000)

«  Le capital ne s’inquiète donc point de la durée de la force de travail. Ce qui l’intéresse uniquement, c’est le maximum qui peut en être dépensé dans une journée. Et il atteint son but en abrégeant la vie du travailleur, de même qu’un agriculteur avide obtient de son sol un plus fort rendement en épuisant sa fertilité. » (Karl Marx, Le capital, section III, 1867)

« ‘‘L’essence’’ du poisson de rivière, c’est l’eau d’une rivière. Mais cette eau cesse d’être son ‘‘essence’’ et devient pour lui un milieu, désormais inadéquat, dès que l’industrie s’empare de cette rivière, dès qu’elle est polluée par des substances colorantes et d’autres détritus, dès que les navires à vapeur la sillonnent, dès qu’on détourne son eau dans des canaux où l’on peut priver le poisson de son milieu vital, par simple évacuation. » (Karl Marx, L’idéologie allemande, Théorie matérialiste, 1845)

"L'écologie est une chose trop sérieuse pour être laissée aux écologistes !"

Ecologie et marxisme

Le capitalisme détruit l’homme et la nature

1 - Le problème de l’environnement est aussi vieux que le capitalisme 2 - L’éco-capitalisme : la grosse galette 3 - La vision patronale de la protection de l’environnement 4 - Le bilan de la modernisation écologique 5 - Sous l’impérialisme, ça ne marchera jamais 6 - Capitalisme est synonyme de destruction de l’homme et de l’environnement 7 - L’impérialisme, c’est la guerre 8 - L’éco-impérialisme : l’écologie contre le tiers monde 9 - Limitations à la croissance ou au capitalisme ?

Le socialisme comme condition de base d’un développement durable

1 - L’espace d’utilisation environnementale 2 - Sous le capitalisme 3 - Les atouts du socialisme 4 - Le développement durable et la société socialiste

Le bilan écologique des pays socialistes

1 - La supériorité du socialisme 2 - A propos des problèmes écologiques réels du socialisme 3 - Les bienfaits du libre marché…

Faut-il réconcilier l’homme et la nature ?

1 - La conscience est-elle coupée de l’être ? 2 - La conscience écologique : quel contenu de classe ? 3 -  L’écologisme pessimiste et optimiste

L’économie politique de l’écologie

1 -
Introduction 2 - La théorie de l’accumulation du capital 3 - La théorie de la rente foncière 4 - La théorie de l’aliénation

La crise écologique a dépassé le point de non-retour

1 - Introduction 2 - Les phases historiques de la crise de l’environnement 3 - Déchets toxiques 4 - Réchauffement mondial 5 - Destruction de la couche d’ozone 6 - Politiques écologistes 7 - Que faire ? 8 - Choix politiques

Le socialisme écologique d’André Gorz

1 - Gorz et le capitalisme 2 - Gorz et le marxisme 3 - Le socialisme, version Gorz 4 - Ni droite, ni gauche 5 - Gorz et l’économie écologique

Les principaux sites de stockage de produits chimiques aux USA

 

Ecologie et marxisme

Didier Bette

Depuis le début des années 70, le capitalisme est empêtré dans une crise économique dénuée de toute perspective. Mais il est également responsable d’une crise écologique sans précédent. En raison d’un mode de production axé sur le gaspillage, les ressources naturelles (combustibles, minerais, eau pure, bois, terres fertiles, réserves de poissons, espèces végétales et animales utiles, etc.) s’épuisent à un rythme inquiétant. De nombreuses substances nocives, que l’on ne trouve pas dans la nature, se retrouvent jusque dans les tréfonds les plus éloignés de notre planète. Elles s’accumulent dans la chaîne alimentaire et compromettent de plus en plus gravement la qualité de notre alimentation. Des cocktails de substances plus toxiques et cancérigènes les unes que les autres empoisonnent les travailleurs des usines et les habitants des quartiers avoisinants. Des maladies typiques, liées à l’environnement, telles les cancers, l’asthme et les allergies, prennent une ampleur inquiétante.

Seule une petite minorité de la population mondiale peut disposer d’eau potable. La déprédation des zones forestières et le rejet dans l’atmosphère de toutes sortes de gaz à effet de serre dérèglent le climat mondial, ce qui provoque, d’une part, la sécheresse et la désertification, et, d’autre part, l’apparition d’ouragans, d’inondations et de torrents de boue.

Qui souffre le plus de cette dégradation de l’environnement ? Certes pas la bourgeoisie ni non plus ses serviteurs grassement payés de l’appareil d’Etat! Celui qui a assez d’argent peut s’offrir une villa cossue dans un quartier arboré ou se procurer des produits de qualité et une alimentation des plus saines. La classe ouvrière et les travailleurs, par contre, font la dure expérience des problèmes environnementaux: sur leur lieu de travail, pour commencer, en raison des processus de fabrication dangereux ou malsains, sur le chemin du travail, ensuite, à cause des files et bouchons interminables, chez eux, également, lorsque, par malheur, ils habitent dans la zone d’influence des fumées nocives et qu’il leur faut encore trier leurs déchets, et financièrement, enfin, lorsqu’ils doivent payer toujours plus cher ces fournitures élémentaires que sont le gaz, l’électricité, l’eau, la collecte des ordures ou les transports. Dans le tiers monde aussi, les masses populaires subissent de plus en plus les conséquences néfastes de la crise de l’environnement. Au moins 15 millions de personnes doivent fuir la sécheresse, la désertification, la faim et autres catastrophes dites ‘naturelles’. L’environnement, en plein dépérissement, n’est plus en état de fournir suffisamment de nourriture pour tous. Femmes et enfants doivent parcourir des distances de plus en plus longues pour se procurer de l’eau.

La percée des partis verts lors des dernières élections a mis ouvertement en lumière ce qu’on savait depuis longtemps déjà : des couches importantes de la population sont touchées par la crise environnementale dans le sens le plus large du terme. Elles veulent que soit mis un terme à la régression de leur milieu de vie, de la qualité de leur nourriture, etc. D’innombrables personnes se battent matin et soir sur leur lieu de travail, dans leur commune ou quartier en faveur d’un environnement vivable. Contre un incinérateur ou une décharge, contre une usine polluante, contre les nuisances sonores d’un aéroport ou la prolifération intempestive des antennes de gsm, contre les dangers de la circulation ou contre de nouvelles routes, pour le maintien du dernier bout de verdure de leur quartier, etc. On ne compte plus le nombre de comités locaux. Et dans les entreprises, nombre de délégués syndicaux s’engagent en faveur de conditions de travail plus sûres et plus saines. Les communistes ont pour devoir de soutenir cette lutte de l’homme de la rue pour un monde plus vivable, même si, à première vue, le caractère politique de cette lutte n’est pas toujours évident.

Déjà au 19e siècle, Marx et Engels avaient pris conscience des problèmes que posait le développement de la production sur la nature. Dans son ouvrage économique majeur, Le Capital, Marx écrit : ´L’homme ne peut point procéder autrement que la nature elle-même, c’est-à-dire il ne fait que changer la forme des matières. Bien plus, dans cette oeuvre de simple transformation, il est encore constamment soutenu par des forces naturelles. Le travail n’est donc pas l’unique source des valeurs d’usage qu’il produit, de la richesse matérielle. Il en est le père, et la terre, la mère, comme dit William Petty.ª1 Il dénonce le capitalisme comme source de dégât écologique : ´La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillissent toute richesse : la terre et le travailleur.ª2

Aujourd’hui, l’impérialisme, c’est-à-dire le capitalisme des monopoles, des multinationales, des grands groupes financiers, a porté cette dégradation à un degré inégalé: danger nucléaire, accumulation de déchets, effet de serre, désertification, réchauffement de la planète avec son lot d’inondations, de raz-de-marée et d’ouragans, ...

Les paysans du tiers-monde sont confrontés tous les jours avec ces problèmes : développement de la monoculture qui épuise les sols, mais imposé par les multinationales de l’agroalimentaire ; généralisation des pesticides sous l’impulsion des grandes firmes chimiques comme Monsanto ; désertification qui engendre la famine ; etc. Les révolutionnaires de ces pays ont pris cette lutte en main et l’ont orienté contre sa principale cause : l’impérialisme. Ainsi, les communistes philippins ont dirigé d’importants combats contre les ogm (organismes génétiquement modifiés).

De même, dans les pays socialistes, bien que les médias de la bourgeoisie affirment le contraire, les dirigeants ont tenu compte des problèmes écologiques. Ils ont incorporé la défense de la nature et la protection de la terre dans leur constitution, mieux que la plupart des nations capitalistes développées. Ils ont également intégré les conséquences du développement productif dans la planification centrale.

En revanche, les révolutionnaires belges, bien que présents dans les luttes des travailleurs, n’ont accordé à ces questions que peu de place. Certes, ils sont à l’origine de certains combats exemplaires comme celui de Kris Merckx et Médecine pour le Peuple à Hoboken. Ensemble avec les ouvriers et la population vivant à proximité, ils se sont battus contre la pollution par le plomb de la Métallurgie de Hoboken, et ce, dès les années 70. Mais ils n’ont pas développé d’analyse globale des problèmes écologiques qui menacent la planète et qui sont engendrés, en majeure partie, par le système capitaliste. Ils n’ont pas préparé les travailleurs à ces luttes.

Nous voulons changer cette situation et avancer dans l’étude théorique des dangers que le capitalisme fait peser sur la terre.

Le présent numéro d’Etudes Marxistes veut fournir une contribution à ce débat. Au groupe des travaux préparatoires ont participé des personnes provenant de divers horizons : un syndicaliste ouvrier, des fonctionnaires des administrations de l’environnement et de l’agriculture, le responsable environnement d’une grande multinationale, un professeur de biologie et des collaborateurs d’organisations non gouvernementales. Aussi les débats ont-ils été extrêmement captivants et animés.

Le lecteur attentif remarquera que diverses contributions défendent des points de vue parfois différents, voire contradictoires. Aussi ne trouverez-vous pas dans ce numéro de position marxiste définitive et totalement élaborée sur le problème de l’environnement. Il ne s’agit que d’une première contribution générale sur ce thème. Par conséquent, les réactions et les critiques sont les bienvenues.

Ce numéro n’analyse pas non plus concrètement ni en détail les divers problèmes spécifiques de l’environnement. Notre intention est plutôt de développer un cadre général de référence marxiste, à l’aide duquel on pourra ensuite analyser ces problèmes spécifiques.

Les trois premières contributions résultent des discussions qui ont eu lieu au sein du groupe de travail susmentionné. Le chapitre ´Le capitalisme détruit l’homme et la natureª dénonce la responsabilité de l’impérialisme dans l’actuelle crise écologique de portée mondiale. L’impérialisme tente de sortir de sa crise par une modernisation écologique, au détriment des travailleurs et du tiers monde, et, pour ce faire, il peut compter sur le soutien des directions des partis verts.

´Le socialisme comme condition de base d’un développement durableª part du point de vue que l’homme ne peut recourir qu’à une utilisation limitée des richesses naturelles, s’il veut tendre à un développement durable. Alors que le capitalisme est incapable de respecter cet espace d’utilisation environnementale, le socialisme dispose ici de tous les atouts nécessaires, à la condition toutefois que ce concept fasse partie intégrante de la planification socialiste.

Aussi est-on confronté d’emblée à la question de savoir ce qu’il en était des problèmes environnementaux dans les pays anciennement socialistes de l’Europe de l’Est. On traitera la question dans l’article intitulé ´Le bilan écologique des pays socialistesª. Contrairement à ce qu’a voulu faire croire la propagande impérialiste, l’expérience de ces pays prouve à suffisance la supériorité du système socialiste, et cela vaut aussi sur le plan de l’environnement.

L’homme appartient-il à la nature où se situe-t-il au-dessus d’elle ? Devons-nous opérer un retour à la nature ? Alexander Kempeneers répond à ces questions dans l’article ´Faut-il réconcilier l’homme et la nature ?ª ; l’auteur oppose l’écologisme optimiste des communistes à l’écologisme pessimiste des verts. Friedrich Engels abordait déjà cette question en 1876, dans son article ´Le rôle du travail dans la transformation du singe en hommeª, dont nous publions ici de larges extraits. Engels déclarait : ´Ne faisons pas trop étalage de nos victoires sur la nature. Pour chacune d’entre elles, la nature se venge sur nous.ª Aujourd’hui, ses propos semblent avoir été particulièrement prophétiques.

Nous publions également deux contributions de marxistes étrangers.

Dans ´L’économie politique de l’écologieª, Pal Steigan, ancien président du Parti Communiste Ouvrier de Norvège (AKP), tente de poser les bases d’une théorie marxiste sur le rapport entre l’économie capitaliste et l’écologie. Il montre comment Marx avait déjà décrit clairement la relation entre le capital et la nature.

Erna Bennett, l’auteur de l’article ´La crise écologique a dépassé le point de non-retourª, est membre du Parti Communiste d’Australie (CPA) et de Rifondazione Comunista (Italie). Jusqu’en 1981, elle a travaillé au sein de la FAO, l’agence des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. A ses yeux, la lutte écologique passe par une confrontation inévitable avec la bourgeoisie. Elle situe la principale faiblesse des verts dans leur incapacité à établir le lien entre la crise de l’environnement et la logique du système capitaliste.

En guise de conclusion à ce numéro, nous discutons également l’œuvre d’André Gorz, un des idéologues verts.

André Gorz est un renégat bien connu du mouvement de Mai 68, dont l’idéologie a exercé une grande influence sur les partis verts et les organisations syndicales comme la CSC. Dans ses ouvrages, il s’affiche comme un fervent partisan de la modernisation écologique de l’impérialisme et comme un anticommuniste virulent.

Notes :

 

Le capitalisme détruit l’homme et la nature

Didier Bette

1. Le problème de l’environnement est aussi vieux que le capitalisme

Dès le 19e siècle, Marx et Engels écrivaient que les capitalistes détruisaient non seulement les forces de travail, mais également la nature. Toutefois, il a fallu attendre une centaine d’années pour assister à l’apparition, dans les pays industrialisés, d’un mouvement de protection de l’environnement qui, par la suite, allait donner naissance aux partis écologistes.

Les premières organisations écologistes sont nées au début des années septante, dans la foulée de mai 68, avec le lancement d’un mouvement qui allait remettre en question les tenants et aboutissants de la production capitaliste. La bourgeoisie n’a pas tardé à réagir afin d’empêcher le mouvement de s’engager dans une voie anticapitaliste. Mais dans un même temps, elle s’est rendu compte qu’elle allait devoir maintenir la dégradation de l’environnement en deçà de certaines limites, si elle voulait que la planète demeure vivable pour elle-même. Le rapport Les limites de la croissance du Club de Rome (1972), la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain et la création du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement, 1972), les premières directives environnementales de l’UE (1970) et le premier programme d’action des Communautés européennes (discutées par le Conseil de l’Europe fin 1973)1 datent tous de cette époque.

Les problèmes écologiques n’existaient-ils donc pas avant 1970 ? Il va de soi que, dès ses débuts, le développement industriel a causé du tort à l’environnement et à la nature. Au commencement, à une échelle relativement locale, mais c’est surtout après la seconde Guerre mondiale que le problème a réellement pris une ampleur importante. Toutefois, jusqu’à la fin des années 60, la bourgeoisie a pu donner libre cours à sa soif de profit sans se soucier de l’environnement. De beaux espaces naturels ont disparu sous les chenilles des bulldozers. Des quantités incroyables de substances nocives ont été rejetées dans la nature sans la moindre forme de contrôle ou de limitation. Des lieux de travail malsains et dangereux avoisinaient des cités ouvrières et des quartiers populaires pollués.

Ce qu’on appelle aujourd’hui les black points (sites contaminés) témoignent encore de ces pratiques destructrices. Il existe de nombreux endroits où l’environnement (généralement le sous-sol et/ou les eaux souterraines) est gravement pollué, ce qui représente d’importants dangers pour la santé publique. Parmi les exemples classiques figurent les anciennes décharges, la pollution aux métaux lourds aux alentours des usines de métaux non ferreux (Union Minière) de la Campine limbourgeoise et anversoise et à Hoboken2, les dioxines dans le voisinage des installations d’incinération de déchets, comme à Wilrijk et Aartselaar. C’est ce qu’on appelle la ‘pollution historique’, du fait que les entreprises responsables ont disparu depuis longtemps ou parce que la pollution date d’une époque où les conditions d’exploitation, ´on s’en rend compte aujourd’hui, n’étaient pas assez sévères, étaient insuffisamment respectées et à peine contrôléesª, commente l’ancien ministre CVP de l’Environnement, Kelchtermans3 qui a, par ailleurs, accordé durant son mandat des conditions d’exploitation tout aussi laxistes à des entreprises amies. D’informations — très incomplètes — en provenance d’une vingtaine de pays, en majorité de l’Europe occidentale, on peut déduire que plus d’un million de sites de ces pays sont probablement pollués.4 La Flandre à elle seule compte 7 870 black points identifiés et on craint qu’il y en ait au moins 9 000 autres. Leur assainissement coûte des dizaines de milliards et c’est surtout la communauté, autrement dit le contribuable, qui en assume la facture.

Toutefois, depuis la fin des années 60, la bourgeoisie s’inquiète de plus en plus de l’augmentation de la pollution qui pose des problèmes à la production capitaliste : le smog londonien provoque un absentéisme élevé pour cause de maladie la pollution des eaux entraîne des problèmes dans les processus de production, les embouteillages immobilisent la main-d’oeuvre et les marchandises, la pollution a une influence négative sur la production agricole, etc. Dans un même temps, la bourgeoisie doit tenir compte de la pression du mouvement écologiste en pleine ascension et du mouvement ouvrier qui réclame un environnement de travail et un cadre de vie sains. Les parlements votent les premières lois sur l’environnement. La motivation sous-jacente de ces lois ne laisse toutefois planer aucun doute. Ainsi, aux Pays-Bas, le 1er décembre 1970, la première ‘loi sur l’épuration des eaux de surface’ entre en application. L’exposé des motifs déclare sans détour que l’eau de surface doit être de qualité telle qu’elle puisse être utilisable pour diverses finalités industrielles. Par exemple, elle doit être adaptée afin de pouvoir ´en préparer de l’eau pour l’industrie de façon économiquement justifiée et selon des exigences moins strictes que pour l’eau des conduites.ª Il faut savoir qu’à l’époque, l’industrie avait besoin d’énormes quantités d’eau de refroidissement, laquelle ne pouvait exercer la moindre action corrosive et encore moins provoquer de dépôts d’algues.5 La consommation d’eau dans l’Union européenne se ventile comme suit : 14% pour la production d’eau potable, 30% pour l’agriculture (surtout en Europe méridionale), 10% pour l’industrie (pour toutes sortes d’opérations) et 46% comme eau de refroidissement (dans l’industrie et la production d’énergie).

Durant les années 90, un pas qualitatif a été franchi dans le souci de l’environnement : on est devenu conscient des conséquences à l’échelle mondiale de la détérioration de l’environnement et du caractère irréversible de certains processus (l’effet de serre, le trou dans la couche d’ozone, les substances bio-accumulables, les organismes génétiquement modifiés…).

2. L’éco-capitalisme : la grosse galette

Nous nous trouvons aujourd’hui dans la phase de la modernisation écologique de l’impérialisme. Celle-ci se caractérise, d’une part par l’absorption de ce qui fut jadis un mouvement (et parti) écologique critique, et d’autre part, par l’introduction de mécanismes de répercussion sur les travailleurs et le tiers monde. La pollution de classe (ce sont immanquablement les quartiers populaires qui doivent respirer les fumées polluantes) s’accompagne d’un paiement de classe de la pollution: écotaxes, impôts en tous genres, augmentation des prix de la collecte des immondices, de l’eau, de la circulation. En 1996, au sein de l’Union européenne, les différents gouvernements ont prélevé quelque 270 milliards de BF en ‘taxes sur la pollution’ et environ 1815 milliards en ‘taxes de roulage’. Par rapport à 1990, le montant des ‘taxes sur la pollution’ a doublé.6

En Belgique, les autorités fédérales, régionales et locales ont dépensé 64,3 milliards de FB en protection de l’environnement et de la nature et le secteur privé presque 35 milliards. Au total, cela représentait environ 1,13% de notre PNB.7 Les coûts de la protection et de l’assainissement de l’environnement grimpent très vite. Ainsi, les dépenses environnementales des autorités flamandes sont passées de 7 milliards de FB en 1989 à 29 milliards en 2000.8

Dans les années à venir, il va falloir qu’on investisse beaucoup dans l’épuration de l’eau. La société flamande d’épuration des eaux, Aquafin, a estimé qu’en 2020, la Flandre aura consenti 740 milliards de BEF de dépenses pour l’épuration de l’eau.9 Pour la Wallonie, on cite le chiffre de 265 milliards et Bruxelles va devoir débourser d’au moins 25 milliards. Selon la Commission européenne, en dix ans, la Belgique devra en outre dépenser 400 milliards pour maintenir les rejets de substances dangereuses en conformité avec les normes européennes.10

Ce que l’un dépense, un autre le gagne. Dans le cas présent, c’est une éco-industrie en plein boum qui tire les marrons du feu. Ainsi, le Conseil socio-économique flamand estime le volume du ‘marché mondial de l’environnement’ à 500 ou 600 milliards de $ (entre 20 000 et 25 000 milliards de BF), dont plus de 70% sont réalisés dans le traitement de l’eau et des déchets.11

Par ailleurs, selon Tractebel, le ‘marché européen des déchets’ vaut 1 533 milliards de BEF et représente ‘un marché d’avenir’.12 Chez Tractebel, on sait de quoi on parle: le cours des actions de la compagnie a triplé entre 1989 et 199713 et a encore doublé en 1998.14 En outre, lors de la reprise de Tractebel par Suez, le cours de l’action a encore fait un bond de 35%…

En France, l’éco-industrie brasse un chiffre d’affaires de plus de 800 milliards de BEF. Entre 1983 et 1995, le volume du secteur des déchets a crû de 550%, celui de l’eau de 340%. Alors que, dans le même temps, le produit intérieur brut n’a augmenté que de 190%.15 En Flandre, le secteur de l’environnement traite un volume de 180 milliards de BEF et emploie 25 500 personnes. Ces cinq dernières années, le secteur a connu une croissance annuelle moyenne de 14%.16

Il ne fait donc aucun doute qu’une partie de la bourgeoisie tire directement parti des mesures environnementales. Les investissements des autorités et des capitalistes en assainissement de l’environnement, technologies propres et missions d’étude constituent un nouveau marché en expansion rapide où l’on se remplit allègrement les poches. Les dizaines de milliards investis par les autorités représentent une nouvelle saignée des familles et des contribuables au profit des capitalistes.

Chemin faisant, le mouvement écologiste et surtout la directions des partis verts sont devenus les défenseurs les plus ardents de l’éco-capitalisme. On peut dire carrément que la tâche des verts consiste à faire passer la modernisation écologique de l’impérialisme et à y préparer les esprits. Ainsi, le 29 juin 1998, Agalev organisait un symposium au Parlement flamand sur le thème des ‘Technologies alternatives pour le traitement des déchets ménagers’. Le parterre était en grande partie complété par la présence de représentants de firmes hollandaises et allemandes venus faire la publicité de leurs produits. Dernièrement, le Bond Beter Leefmilieu a réitéré l’initiative. En outre, Agalev prône la fondation d’une Société flamande d’Investissement en Entreprise durable (la Vimdo), au portefeuille de 1 milliard de BEF. Cette société doit ´s’assurer des participations dans des secteurs nouveaux et traditionnels en vue de co-investir dans l’innovation écologiqueª. Il s’agit donc, une fois de plus, d’un transfert de 1 milliard, prélevé sur l’argent des impôts, en direction des poches des patrons. Enfin, Agalev veut également réorienter les aides à l’expansion, ´en fonction des innovations technologiquesª.17

3. La vision patronale de la protection de l’environnement

Pendant qu’une partie de la bourgeoisie en fait ses choux gras, une autre partie est convaincue de la nécessité des mesures environnementales pour assurer la pérennité du capitalisme. ´Les grands joueurs, les multinationales, partagent déjà la vision du développement durable, déclare Roland Moreau, de Greenpeace, parce qu’ils entendent être les locomotives du marché durant vingt années de plus. Actuellement, les secteurs de la pêche et de la production de bois connaissent une situation critique. Si les entreprises poursuivent sur leur actuelle lancée, on peut s’attendre d’ici peu à ne plus prendre un seul poisson ni à abattre un seul arbre. Les entreprises doivent agir en tenant compte de la durabilité, si elles veulent garantir leur propre survie.ª En même temps, Moreau indique les limitations de cette prise de conscience patronale vis-à-vis de l’environnement : ´Ils hésitent encore, parce que la Bourse et l’actuelle mentalité de la société les obligent à rechercher les profits à court terme.ª18 Aussi, la lutte des classes et les actions des groupes de protection de l’environnement demeurent-elles nécessaires afin de forcer le patronat à des assainissements. Ainsi, les actions de Médecine pour le Peuple contre la Métallurgie Hoboken-Overpelt (devenue Union Minière) ont été à la base d’investissements de plusieurs milliards en vue de limiter les rejets de plomb et d’autres métaux lourds. De même, la baisse de la pollution causée par les incinérateurs de déchets est essentiellement due aux actions incessantes des groupements de riverains et des organisations écologistes.

Si le patronat veut en arriver à des normes environnementales communes, c’est avant tout en fonction d’un intérêt capitaliste collectif. De plus, ces normes communes constituent une arme qui permet aux grands capitalistes d’éliminer la petite concurrence. Les normes ne peuvent aller à l’encontre de la compétitivité et des profits, de sorte que leurs coûts doivent être supportés par la population, l’Etat ou le tiers monde. Les points de vue de la Table ronde européenne des Industriels (ERT) illustrent parfaitement cette vision patronale de la protection de l’environnement. Ainsi, l’ERT est-elle favorable à des mesures prévoyant de réduire le rejet des gaz à effet de serre, à condition que ces mesures soient décidées à l’échelle mondiale, qu’elles soient suffisamment étalées dans le temps et — surtout — que les possibilités concurrentielles des industries européennes ne soient pas mises en danger : ´Les remèdes ne seront utilisables que s’ils découlent de conventions internationales. (…) Il est essentiel que les mesures censées donner une réponse à l’inquiétude concernant les changements climatiques ne causent aucun tort à la compétitivité internationale de l’industrie européenne. On peut concevoir des instruments qui soient attractifs sur le plan économique et qui amélioreront la compétitivité des industries.ª19

Le choix des mots a son importance, ici : pour le gratin des industriels européens, il n’y a pas de changement de climat, mais uniquement une ‘inquiétude’ à ce propos. En outre, ils veulent autant que possible répercuter les frais sur les autorités — autrement dit, le contribuable — et sur le tiers monde : ´Si les mesures ne sont pas étayées par des avantages fiscaux ou d’autres programmes qui recyclent les profits de l’environnement en direction des entreprises, même les sociétés les plus importantes ne pourront se permettre les investissements.ª20 Et : ´La réponse européenne à l’inquiétude suscitée par le changement de climat doit être liée à la croissance économique à venir et au rejet de CO2 des pays en voie de développement.ª21

4. Le bilan de la modernisation écologique

Les partis verts estiment qu’ils peuvent résoudre les problèmes environnementaux avec ce qu’ils appellent des ‘mesures conformes au marché’. Ou, en d’autres termes, sans remettre en question le système en soi et en comptant sur la ‘prise de conscience patronale en matière d’environnement’. La question se pose donc : y a-t-il une solution au problème de l’environnement au sein du capitalisme ? Capitalisme et protection de l’environnement sont-ils bien conciliables ? A première vue, la réponse semble positive. Il est un fait, dans les pays industrialisés, que l’environnement s’est amélioré dans un nombre limité de domaines. La qualité de nos cours d’eau est meilleure qu’il y a vingt ans. Dans le Rhin — un fleuve naguère moribond — on retrouve à nouveau des saumons et de nombreuses autres espèces de poissons. Aujourd’hui, le Rhin compte même une aussi grande diversité de petits invertébrés qu’au début de ce siècle. En Europe occidentale, depuis la fin des années 70, le pourcentage de cours d’eau gravement pollués est retombé de 24 à 6%.22 Le rejet par l’industrie de substances polluantes dans l’eau et dans l’air diminue. Pour ceux qui voient un peu plus loin que le bout de leur nez, toutefois, il devient vite clair que, fondamentalement, l’impérialisme ne résout rien et qu’au contraire, la crise s’aggrave de jour en jour.

Pour commencer, l’impérialisme est un système mondial. Et la situation de l’écosystème mondial n’est guère encourageante. Lester Brown le déclarait en présentant son rapport State of the World 2000 (L’état du monde en l’an 2000) : ´Le réchauffement de la terre commence à exiger son tribut. Les banquises fondent. L’érosion des terres fertiles augmente à vue d’œil. Pour faire pousser suffisamment de blé, l’homme pompe plus d’eau qu’il n’en revient dans les nappes. Certaines évolutions sont déjà irréversibles.ª23 La course au profit d’une poignée de multinationales fait reculer de plus en plus la forêt tropicale et les autres zones boisées. Partout dans le monde, les océans sont vidés de leurs poissons par les flottes de pêche occidentales. Les richesses naturelles comme les combustibles et les minerais sont gaspillés à un rythme effréné. Ainsi, on estime que si on s’obstine à poursuivre l’actuelle cadence d’utilisation, il n’y aura plus d’étain en 2018, plus de plomb en 2026, plus de zinc et de mercure en 2031 et plus de cuivre en 2052. En 1989, les réserves pétrolières répertoriées ne garantissaient plus que quarante années de production.24 Le trou dans la couche d’ozone (qui nous protège des ultraviolets, cancérigènes) ne cesse de s’élargir. Les rejets de gaz à effet de serre augmentent sans arrêt. Partout dans le monde, les déserts gagnent du terrain.

Même en Europe, la situation de l’environnement n’est guère brillante. Voici les premières lignes du récent rapport25 de la très officielle Agence européenne pour l’Environnement : ´Dans le temps, l’agence faisait savoir que malgré 25 années de politique environnementale communautaire — qui, selon ses dires, a connu le plus grand succès — la qualité générale de l’environnement au sein de l’Union européenne ne se rétablit pas de façon significative et que, sur certains plans, même, elle empire. Le rapport actuel confirme tant cette situation que le fait que le développement non-durable de certains secteurs économiques constitue le principal obstacle à une amélioration.ª Des quinze thèmes sélectionnés, il n’y en a pas un pour lequel l’avenir soit rose. Pour sept de ces thèmes (les gaz à effet de serre, la dégradation du sol, les déchets, la biodiversité, le milieu marin, les régions rurales et montagneuses), les perspectives sont même plutôt sombres. Ailleurs, on est en plein statu quo. Le bilan de trente années de politique capitaliste de l’environnement est donc carrément catastrophique.

5. Sous l’impérialisme, ça ne marchera jamais

Il existe une raison fondamentale pour laquelle l’impérialisme ne peut résoudre les problèmes de l’environnement et elle réside dans la propriété privée des moyens de production. Autant longtemps que celle-ci existera, la soif de profit, l’anarchie de la production et la lutte pour la concurrence existeront, avec toutes les conséquences négatives qu’elles entraînent dans la politique de l’environnement.

Un frein aux investissements dans l’environnement

Investir dans l’environnement n’est possible que dans une certaine mesure. Et dans la mesure précisément où la position concurrentielle et les profits ne se trouvent pas compromis. La Table ronde européenne des Industriels déjà citée termine sa brochure sur l’effet de serre par ces propos : ´Dans l’actuel climat d’intense compétition à l’échelle mondiale, l’avenir de l’économie européenne est plus que jamais lié à ses possibilités de dépasser les producteurs et marchands des autres régions. Les entreprises européennes doivent déjà s’acquitter des coûts de la main-d’œuvre, de l’énergie et des charges environnementales, plus élevés que chez leurs concurrents des autres blocs commerciaux importants et des nouveaux marchés. C’est pourquoi il est essentiel pour les gouvernements et l’industrie en Europe d’évaluer toute mesure de rétablissement en la comparant aux véritables avantages sociaux qu’elle peut dispenser.ª26 La protection de l’environnement est ainsi rendue dépendante de la ‘survie économique’ de l’Europe ou, en d’autres termes, des profits du grand capital.

Des déchets, on ne recycle que ce qui est plus ou moins rentable. Le reste, on préfère l’incinérer ou le mettre en décharge parce que le recyclage est ‘trop onéreux’, même si la chose est techniquement faisable. Ainsi, la Flandre ne recycle que 18% de ses déchets plastiques.27 Les rejets de CO2 continuent à augmenter, malgré toutes les conventions à propos de leur diminution, parce qu’aucun pays, aucune entreprise ne veut être le premier ou la première à prendre des mesures efficaces en ce sens. Quand une entreprise estime trop onéreux d’investir dans l’environnement, elle ferme ou elle délocalise. En effet, dans le tiers monde et l’Europe de l’Est, tout est encore possible… Ou bien on pratique le chantage à la fermeture, comme dans le secteur non ferreux et de l’acier : Sidmar qui, à Zelzate, continue à rejeter d’énormes quantités de dioxines, s’est vu attribuer pour cette raison une norme taillée sur mesure de 0,5 nanogramme (1 ng = 1 milliardième de gramme) de dioxines par m3 de fumée, contre 0,1 ng pour les incinérateurs de déchets ménagers. DHL a menacé de fermer (2 000 licenciements) lorsqu’une ministre verte a annoncé une interdiction de vol de nuit (à la suite de quoi cette interdiction a été promptement annulée).

Un frein à la généralisation des technologies propres

La monopole entrave la diffusion des techniques. Des inventions telles les moteurs économisant l’énergie, les sources alternatives d’énergie, les plantes résistantes aux maladies, etc., qui pourraient contribuer de façon importante à une production et une consommation plus respectueuses de l’environnement, sont tenues secrètes, ou sont flanquées de patentes et vendues à des prix inabordables, au lieu d’être généralisées immédiatement. Avec comme conséquence que leur application est souvent impossible dans le tiers monde et que de nombreuses usines continuent à polluer inutilement, bien que de meilleures technologies soient disponibles.

Plus encore, il arrive même, parfois, que l’inventeur n’applique pas son invention, parce qu’elle ne génère aucun profit. Ainsi, les constructeurs automobiles disposent depuis longtemps de prototypes de véhicules propulsés par énergie solaire, mais on ne les produit pas pour la simple raison qu’ils ne génèrent pas davantage, ou même moins, de profit. Et des groupes comme Monsanto préfèrent produire des plantes qui résistent à de fortes doses de pesticides plutôt qu’aux maladies. En effet, dans le premier cas, leurs ventes de pesticides (et leurs bénéfices) augmentent, tandis que dans le second cas, elles diminueraient…

Le secteur capitaliste de l’environnement : pas très jojo…

Le secteur de l’environnement est, lui aussi, soumis aux lois du capitalisme : concurrence, course au profit, entrave aux technologies, etc. Aux Pays-Bas, une enquête a montré que ´le secteur de l’environnement est ‘pollué’ lui aussi et que des laboratoires, des bureaux de conseillers et d’ingénieurs spécialisés dans l’environnement, des courtiers et trafiquants de déchets, ainsi que des concepteurs de projets donnaient plus de poids aux intérêts économiques qu’à ceux de l’environnementª. Bien que toutes les personnes interrogées aient prétendu ´être absolument indépendantes, avoir d’excellents codes moraux et être dotées de tous les certificats nécessairesª, la pratique a révélé tout le contraire : la falsification d’attestations environnementales, la manipulation d’enquêtes, etc. étaient monnaie courante. En outre, l’enquête prétend que ces truands de l’environnement sont à peine poursuivis et que, le cas échéant, les peines qu’on leur inflige sont bien trop légères.28

Et que penser d’une entreprise comme la SA Ecowatt ? Le ministre hasseltois Stevaert a donné un petit coup de pouce à cette entreprise limbourgeoise en fixant à 3% le quota d’énergie ‘verte’ à atteindre. La firme construit de petites centrales hydroélectriques, sans établir le moindre rapport à propos de leurs effets sur l’environnement. Pourtant, les turbines causent beaucoup de tort à la faune aquatique, alors que les autorités ont déjà investi des centaines de millions dans des programmes de repeuplement, de pose d’échelles à poissons, etc. L’entreprise veut même installer des pompes aux écluses du canal Albert, lesquelles pomperont l’eau la nuit et produiront de l’électricité le jour en envoyant cette même eau dans les turbines. Grâce à la différence entre le tarif de jour et celui de nuit, il y a là du profit à réaliser…

De nouveaux problèmes environnementaux en raison des mécanismes d’évitement

Du fait que les factures sont adressées aux travailleurs, de nouveaux mécanismes d’évitement ont fait leur apparition: décharges clandestines, on brûle ses saletés au fond de son jardin, on ‘abuse’ des sacs en PVC pour se débarrasser n’importe où de ses autres déchets, on creuse illégalement des puits artésiens, on construit dans des zones naturelles ou agricoles… Telles sont les tentatives de l’homme de la rue pour échapper aux dépenses de plus en plus lourdes occasionnées par ‘la protection’ de l’environnement. Dans un certain nombre de cas, c’est même dangereux (si l’on brûle des sacs en plastique chez soi, on respire tout un éventail de substances dangereuses, telles des dioxines). Et c’est ainsi que l’on est deux fois victime.

Pas de frontière entre l’éco-mafia et la production capitaliste ordinaire

La modernisation écologique de l’impérialisme n’est pas une donnée universelle. L’habituel pillage et la pollution classique de l’environnement se poursuivent comme si de rien n’était dans le tiers monde et l’Europe de l’Est. La catastrophe de Bhopal, en Inde (provoquée par la multinationale américaine Union Carbide), et la récente pollution aux cyanides des cours d’eau Szamos, Tisza et Danube en Roumanie, Hongrie et Yougoslavie (imputable à la firme australienne Esmeralda Exploration) sont les exemples spectaculaires et les plus connus de pratiques largement répandues: dans ces pays, on n’est pas très regardant sur la sécurité. Nos déchets et notre production polluante sont exportés dans ces pays. Même chez nous, les pratiques douteuses sont légion. Pensez à la catastrophe de l’Erika (qui transportait des dérivés cancérigènes du pétrole), à la crise de la dioxine qui a mis en lumière des trafics de déchets suspects, à la mafia des hormones, au fait que l’on trouve, aujourd’hui encore, dans notre eau de pluie et nos rivières, des pesticides pourtant interdits depuis des lustres… Et que penser du fait qu’une entreprise comme Shell Rotterdam produit toujours du DDT, un pesticide extrêmement dangereux dont l’utilisation chez nous est interdite depuis plus de vingt ans. Toutefois, rien n’interdit d’en produire pour l’exportation !… Un dénominateur commun, dans tous ces cas: la soif de profit des capitalistes. L’éco-mafia italienne, qui trempe entre autres dans l’illégalité la plus noire avec ses faux permis de bâtir, ses décharges d’immondices et son trafic des déchets (1,8 million de tonnes de déchets dangereux échappent chaque année à tout contrôle!), brasserait un chiffre d’affaires de 541 milliards de BEF.29

6. Capitalisme est synonyme de destruction de l’homme et de l’environnement

La destruction de l’homme et de l’environnement est bel et bien enracinée dans le système. C’est ce qui découle logiquement d’une série de caractéristiques fondamentales du capitalisme qui, elles-mêmes, découlent de la propriété privée des moyens de production. Nous allons illustrer cela au moyen de quelques principes fondamentaux issus de l’économie politique marxiste.

Tout est à vendre, même la nature

´Pour comprendre ce qu’est au fond le mode de production capitaliste, il faut tout d’abord ne pas perdre de vue que le régime capitaliste est fondé sur la production marchande: tout y prend forme de marchandise, partout prévaut le principe de l’achat et de la vente.ª30

S’il y a quelque part du profit à faire, on peut être sûr que le capitaliste en fera, quand bien même il s’agit de marchandises de première nécessité. Actuellement, dans les villes japonaises, il faut payer pour une portion d’air pur. Partout dans le monde, l’eau pure devient plus chère .

Outre le travail, la nature est également source de toute richesse car elle fournit les matières premières pour la production de marchandises : ´Les valeurs d’usage, habit, toile, etc. bref, ces marchandises en tant que corps sont des combinaisons de deux éléments : matière naturelle et travail. Si l’on soustrait la somme de tous les travaux utiles divers qu’il y a dans l’habit, dans la toile, etc., il reste toujours un substrat matériel qui est là du fait de la nature, sans que l’homme n’intervienne. L’homme ne peut procéder dans sa production que comme la nature elle-même : il ne peut que modifier les formes des matières. Plus même. Dans ce travail de mise en forme proprement dit, il est constamment soutenu par des forces naturelles. Le travail n’est donc pas la source unique des valeurs d’usage qu’il produit, de la richesse matérielle. Comme le dit Petty, celle-ci a pour père le travail et pour mère la terre.ª31

Dans sa soif de profit, le capitaliste va toujours tenter d’obtenir ses matières premières le meilleur marché possible. Si possible, gratuitement même, car la nature n’a pas de prix. C’est ainsi que l’on pille les richesses naturelles, qu’il s’agisse des sources d’énergie, des minerais, du bois tropical, des espèces animales protégées ou des plantes. Par toutes sortes de mécanismes, les prix des matières premières sont maintenus artificiellement bas. Ceci se fait aux dépens des producteurs du tiers monde, mais également aux dépens de toute utilisation rationnelle. On défriche les forêts tropicales, sans l’accompagner d’une gestion forestière durable. Et l’agriculture capitaliste épuise les sols, comme avait déjà pu le constater Karl Marx en son temps : ´Tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol; tout progrès dans l’accroissement de sa fertilité pour un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources durables de cette fertilité. (…) Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production social qu’en ruinant dans le même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur.ª32

Un gaspillage colossal

´Chaque producteur de marchandises travaille isolément. Le travail des différents ouvriers n’est ni concerté ni coordonné à l’échelle de toute la société. (…) C’est seulement dans le processus d’échange qu’il est possible d’établir si le travail de tel ou tel producteur est nécessaire à la société.ª33 ´Sous l’influence de la variation des prix, les producteurs se tournent vers les branches plus avantageuses, où les prix des marchandises sont supérieurs à leur valeur, et ils se retirent de celles où les prix des marchandises sont inférieurs à leur valeur. (…) La concurrence et l’anarchie de la production font que la répartition du travail et des moyens de production entre les différentes branches, et le développement des forces productives dans l’économie marchande, sont réalisés au prix de grosses pertes de travail social.ª34

L’économie et les techniques ne se développent pas, et ne peuvent pas se développer — selon des critères comme la satisfaction des besoins de base ou une production durable et respectueuse de l’environnement — comme le voudraient les verts. La seule motivation est le profit que l’on peut tirer des marchandises. Que le produit couvre un besoin essentiel ou qu’il soit totalement dénué de sens, qu’il soit propre ou polluant, ne change rien à l’affaire, pour le capitaliste. Une production propre, la protection et l’assainissement de l’environnement, l’agriculture biologique… ne sont possibles que si l’on y met le prix et si une demande existe. Du fait qu’elles impliquent souvent des frais élevés, elles restent marginales, à moins que l’Etat ne couvre ces frais en faisant appel à l’argent du contribuable.

L’anarchie de la production individuelle, capitaliste, la concurrence et le fait que l’économie n’est pas planifiée, entraînent un énorme gaspillage, non seulement des forces de travail, mais également des richesses naturelles. Ne prenons comme exemple que les surplus agricoles — les milliers de tonnes de tomates, de lait et de viande que l’on détruit chaque année —, ou le remplacement de plus en plus fréquent des produits et machines encore en bon état de marche par des produits et machines plus récents, ou encore la destruction des moyens de production qu’entraîne chaque fermeture ou restructuration d’entreprise.

Le commerce capitaliste exige certaines dépenses, c’est ce que l’on appelle les frais de circulation. Parmi ceux-ci, entre autres, les frais bancaires, les coûts publicitaires, les agences commerciales, la spéculation, etc. La crise de surproduction et la concurrence forcent les capitalistes à augmenter leurs dépenses, en représentation commerciale, en bureaux d’études, en agences publicitaires, etc. La publicité est l’un des secteurs de l’économie à la croissance la plus rapide. Aux Etats-Unis, entre 1950 et 1989, les dépenses publicitaires par tête d’habitant ont grimpé de 198 à 498 $, alors que les dépenses publicitaires sur le plan mondial évoluaient de 39 milliards de $ à 237 milliards.35

´Les frais de circulation proprement dits n’ajoutent à la marchandise, ainsi que l’indiquait Marx, aucune valeur. Ils viennent en déduction directe du montant total de la valeur produite dans la société, et sont couverts par les capitalistes avec la masse générale de plus-value produite par le travail de la classe ouvrière. L’accroissement des frais de circulation proprement dits témoigne du gaspillage du régime capitaliste. (…) L’anarchie de la production capitaliste et les crises, la concurrence et la spéculation provoquent l’accumulation d’immenses stocks de marchandises, allongent et dévient leur acheminement, ce qui entraîne d’immenses dépenses improductives. Dans l’immense majorité des cas, la publicité capitaliste tend, plus ou moins, à tromper les acheteurs. La publicité impose un emballage inutile et coûteux des marchandises.ª36


La société de consommation, un produit capitaliste

Sous le capitalisme, la possession du plus grand nombre de marchandises possible est considérée comme un signe de richesse. Les produits inutiles, inefficaces et de luxe en font également partie. ´Dans l’économie marchande fondée sur la propriété privée, les rapports de production entre les hommes se présentent inévitablement comme des rapports entre objets-marchandises. (…) Le fétichisme de la marchandise a des racines profondes dans la production marchande… C’est seulement avec l’abolition de la propriété privée des moyens de production que disparaît le caractère fétiche de la marchandise.ª37

Les verts montrent souvent d’un doigt accusateur la ‘fièvre de la consommation’ et le ‘gaspillage’ des gens ordinaires. Ils passent toutefois à côté des nombreux mécanismes qui, dans notre société, incitent à la consommation. Il est cependant évident que la classe capitaliste a tout intérêt dans une société de consommation: plus on consomme, plus elle accumule du profit. Ainsi, en 1964 déjà, Victor Lebow, un analyste du petit commerce, déclarait : ´Notre énorme économie productive (…) exige que nous fassions de la consommation un style de vie, que nous érigions l’achat et l’emploi de marchandises au rang de rituels et que nous cherchions notre satisfaction spirituelle et celle de notre ego dans la consommation (…) Nous devons consommer des choses, les brûler, les user jusqu’à la corde, les remplacer et les jeter à un rythme de plus en plus élevé.ª38 C’est ainsi qu’ont été posées les bases d’une société de consommation et de prêt-à-jeter qui allait conquérir l’Amérique et le monde entier.

L’exploitation pousse les pauvres au pillage de la nature

´Le développement du capitalisme a pour résultat qu’avec l’accumulation du Capital, à un pôle de la société bourgeoise d’immenses richesses se concentrent, le luxe et le parasitisme, le gaspillage et l’oisiveté des classes exploiteuses augmentent; tandis qu’à l’autre pôle de la société s’intensifie de plus en plus le joug, l’exploitation, s’accroissent le chômage et la misère de ceux dont le travail crée toutes les richesses.ª39

Actuellement, les riches ne savent plus que faire de leur argent. Ils consomment toutes sortes de produits de luxe totalement inutiles, qui entraînent un gaspillage supplémentaire des richesses naturelles. Souvent, aussi, ils prennent possession directement de la nature : ils préfèrent bâtir leurs luxueuses villas dans des sites naturels, ils collectionnent animaux et plantes rares, ils vont chasser dans les pays les plus lointains, etc.

La majorité qui s’appauvrit, elle, est de plus en plus contrainte — c’est surtout le cas dans le tiers monde — à piller la nature. Parce que les meilleures terres sont aux mains des agro-multinationales ou des grands propriétaires fonciers locaux, les petits paysans sont refoulés de force vers des terres marginales, en bordure des déserts ou sur des pentes montagneuses, où il est malaisé de se livrer à une agriculture durable. De la sorte, ils font le jeu de la désertification et de l’érosion. Partout dans le monde, de précieuses étendues forestières sont rasées par des paysans privés de terre.

Chez nous, nous voyons que les franges pauvres de la population achètent des produits moins durables, parce qu’ils sont meilleur marché — à court terme, du moins. Involontairement, ils contribuent ainsi à la société du prêt-à-jeter. Pour ces groupes de population, le capitalisme produit des marchandises qui durent moins longtemps et qui doivent donc être remplacées plus vite. Ils vendent plus et réalisent donc plus de profit aussi. Les pauvres sont particulièrement touchés car, à plus long terme, ils paient plus.

La croissance explosive des transports routiers

´Les capitalistes cherchent à accélérer la rotation du capital en réduisant le temps de circulation (…) Cependant à la réduction du temps de circulation s’oppose… la répartition extrêmement irrationnelle de la production dans le monde capitaliste, ce qui nécessite le transport des marchandises à de grandes distances…ª40

Actuellement, les capitalistes recourent au principe du just in time. Les marchandises ne doivent être livrées que lorsqu’elles sont effectivement nécessaires, en d’autres termes, on ne les livre plus en grandes quantités par train ou par navire, mais par camion ou même par avion. Il s’ensuit une croissance explosive de l’acheminement des marchandises par la route, ainsi que des services de courrier. Avec, entre autres, comme conséquence: une utilisation croissante de carburant, un rejet plus important de gaz à effet de serre, des embouteillages et autres embarras de la circulation, un nombre croissant d’accidents impliquant des poids lourds, sans parler des nuisances sonores…

Moins de dépenses pour la sécurité et la santé

Avec le développement du capitalisme, la composition organique du capital ne cesse de croître. De ce fait, le taux moyen de bénéfice baisse. Le capitaliste essaie de contrer cette baisse de toutes les façons possibles, entre autres par ´l’économie réalisée par les capitalistes sur le capital constant, aux dépens de la santé et de la vie des ouvriers. Afin d’augmenter leur profit, les entrepreneurs font travailler les ouvriers dans des locaux étroits, insuffisamment aérés; ils lésinent sur les dispositifs de sécurité. Cette avarice sordide des capitalistes a pour résultat de ruiner la santé des ouvriers, de provoquer une quantité énorme d’accidents de travail et d’accroître la mortalité parmi la population ouvrière.ª41

Bhopal, l’Amoco Cadiz et l’Erika, la pollution aux cyanides en Roumanie, etc. ne constituent en fait que la partie visible de l’iceberg…

7. L’impérialisme, c’est la guerre

L’impérialisme porte la guerre en lui, du fait qu’un ordre mondial inique ne peut se maintenir que par l’oppression des peuples et que la lutte économique entre les grandes puissances impérialistes doit immanquablement déboucher sur la guerre, comme le passé l’a souvent montré.

Pouvons-nous imaginer pire gaspillage, pire pollution que la destruction de vies humaines, de villes, d’usines, d’infrastructures et qui va de pair avec toute guerre ? L’appareil militaire utilise en outre d’importantes quantités d’espace, de carburant et de matières premières (11% de la production totale de cuivre, 8% du plomb, etc.) et il constitue également une importante source de pollution. Aux Etats-Unis, il existe de nombreux exemples d’empoisonnement des eaux souterraines et potables par les bases militaires. Ajoutez à cela la contamination radioactive des zones d’essais ainsi que celle provoquée par les usines nucléaires.42 Enfin, les investissements colossaux dévolus au développement et à la production d’armes destructrices ne pourraient-ils pas être consacrés plus utilement, par exemple, à la recherche de sources d’énergie alternative et de technologies non polluantes ?

Lors de chaque guerre, l’environnement subit également d’importantes destructions. Durant la guerre du Viêt-nam, le président américain Johnson avait un jour lancé l’ordre suivant : ´Tuez tout, incendiez tout, détruisez tout !ª En 1965, les Américains avaient déjà détruit plus de 700 000 hectares de rizières et de forêts au Sud-Viêt-nam. La forêt tropicale fut aspergée d’un agent défoliant contenant de la dioxine, le fameux agent orange qui, aujourd’hui encore, continue à semer la mort et la destruction.43

Dans les guerres contre l’Irak (1991) et contre la Yougoslavie (1999), on a également pratiqué la destruction de l’environnement à grande échelle. L’armée américaine a engagé des armes à l’uranium appauvri, avec des conséquences graves pour la santé de la population. L’uranium appauvri demeurera présent dans l’environnement durant des milliers d’années encore. Durant la guerre pour le Kosovo, le Danube a été pollué par des huiles et des substances chimiques lors des attaques contre les installations industrielles. Particulièrement criminel, entre autres, a été le bombardement du complexe pétrochimique de Pancevo, le 18 avril 1999. A 30 Km de là, dans le Danube, on a retrouvé de nombreux poissons morts. D’immenses nuages de gaz nocifs ont été libérés. Les bombardements de certaines stations de transformateurs ont occasionné des fuites de PCB extrêmement toxiques. Des métaux lourds ont également été libérés en masse, entre autres, lors des bombardements des industries métallurgiques. Il y a de grands risques de contamination de l’eau souterraine. Toutes ces substances toxiques, disséminées dans l’environnement, auront des effets importants sur la santé publique. Elles menaceront également la survie de nombreuses espèces animales rares. La Yougoslavie est, en effet, l’un des six ‘centres européens de la biodiversité’, avec une richesse énorme en espèces animales et végétales.44

Les guerres contre l’Irak et la Yougoslavie sont les prémisses d’interventions impérialistes croissantes contre le tiers monde, avec comme enjeu les réserves de pétrole et de minerais stratégiques. Le contrôle de ces ressources naturelles est essentiel afin de maintenir intacte l’économie impérialiste du gaspillage. Ainsi, l’actuelle agression contre le Congo n’est rien d’autre qu’une tentative de s’assurer le contrôle des immenses richesses souterraines du pays: pétrole, cuivre, cobalt, nobélium, tungstène, béryllium, nickel et autres minerais stratégiques.45 ´La protection de nos intérêts économiques à l’échelle mondiale en garantissant un accès sûr aux réserves d’énergie, aux autres matières premières essentielles et aux marchés étrangers, est une question de sécurité nationaleª, déclarait en 1985 le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Kaspar Weinberger.46

8. L’éco-imperialisme : l’écologie contre le tiers monde

L’éco-impérialisme peut adopter diverses formes. Il y a quelque temps, dans certaines organisations écologistes et milieux occidentaux, des voix se sont élevées afin de placer la forêt amazonienne du Brésil sous protection internationale parce qu’elle constituait le ‘patrimoine commun’ de l’humanité. Le gouvernement brésilien a protesté violemment contre ces tentatives de fouler aux pieds de façon flagrante la souveraineté du pays. Actuellement, toutefois, des géants pharmaceutiques concluent des contrats avec les pays couverts de forêts tropicales en échange du droit de commercialiser d’éventuelles plantes médicinales.47

On tente aussi de répartir les émissions de pollution sur le plan mondial en appliquant la loi du plus fort, selon laquelle la pollution permise s’exprime par unité de PNB. C’est la meilleure façon de permettre aux grands capitalistes de continuer à polluer le plus possible… Les lobbies patronaux et de plus en plus d’écologistes sont partisans de quotas d’émission échangeables, ce qui permettrait aux pays riches d’acheter des ‘droits de pollution’ aux pays pauvres écrasés sous les dettes. Il en résulte qu’au nom de la lutte contre la pollution, on freine le plus possible le développement économique du tiers monde. Pourtant, il s’avère, au vu de toutes les statistiques, que les pays impérialistes sont responsables de la majeure partie de la pollution globale, qu’ils prennent à leur compte le plus gros de la consommation des ressources naturelles et de la production de déchets. Ainsi, plus d’un quart des rejets de CO2 (responsable de l’effet de serre) proviennent de l’Amérique du Nord.48

Une autre forme d’éco-impérialisme consiste à imposer la fermeture pure et simple des entreprises ‘polluantes’ (entendez : concurrentes). Ainsi, la lutte contre la pollution a été l’un des arguments utilisés pour démanteler des secteurs industriels entiers (chimie, production d’énergie, industrie lourde) dans les pays de l’ancien bloc de l’Est, au profit des entreprises et produits occidentaux… Et récemment, les troupes de la KFOR ont occupé une fonderie de plomb yougoslave au Kosovo, sous prétexte qu’elle était trop polluante. Pour la confier ensuite à un consortium franco-américano-suédois…49

Des arguments écologiques peuvent aussi être invoqués afin de pouvoir appliquer des mesures protectionnistes. Certains produits pourraient être refusés parce qu’ils ne sont pas fabriqués de façon ‘propre’.

Enfin, l’Occident exige l’ouverture des marchés à ses entreprises ‘propres’, davantage concurrentielles. Et l’imposition de normes écologiques aux pays les moins développés est tout profit pour un secteur environnemental en pleine croissance et occupé à prendre une expansion internationale. Des entreprises comme Suez - La Lyonnaise des Eaux et Seghers Better Technology sont déjà bien implantés dans le tiers monde.

Selon Egbert Tellegen, professeur en sciences environnementales à l’Institut d’Europe orientale de l’Université d’Amsterdam, ´une politique environnementale plus sévère en Europe de l’Est sert les intérêts économiques de l’Europe occidentale de plusieurs façons : elle réduit la concurrence des produits qui peuvent être fabriqués à meilleur prix en Europe de l’Est aussi longtemps qu’il n’existera pas de politique environnementale réelle et efficace, elle amenuise les risques de fuite d’entreprises vers l’Est du fait des exigences environnementales moins sévères et elle crée des marchés de débouchés pour les technologies environnementalesª.50

Peut-être l’heure n’est-elle plus très éloignée où l’on fera la guerre, au nom de l’environnement, contre des pays ‘désireux de s’enrichir en produisant de façon polluante’. Nous savons déjà quelles louables intentions cachent les prétendues interventions ‘humanitaires’ de l’Otan. Devons-nous nous attendre, d’ici peu, à des interventions ‘écologiques’ ? Au cours de la guerre du Golfe, Saddam Hussein a déjà été qualifié ‘terroriste de l’environnement’ pour avoir prétendument déversé du pétrole dans le golfe Persique…

9. Limitations à la croissance ou au capitalisme ?

Dans son Etat du monde de l’an 1991, Lester Brown explique : ´Le milliard de mangeurs de viande, de conducteurs d’automobiles et de consommateurs du prêt-à-jeter que compte la planète s’arrogent la part du lion dans les dégâts provoqués par les humains aux ressources naturelles du monde.ª (p.203) Et, plus loin (p.205) : ´En finalité, la mutation technologique devra être complétée par une réduction des besoins matériels.ª Ce thème a été repris par les partis verts, qui prêchent une plus grande sobriété, à l’instar de l’échevin Agalev d’Anvers, Dirk Geldof, lequel a intitulé son ouvrage51 : Pas plus, mais mieux. À propos de l’autolimitation dans la société à risque. C’est la version moderne du rapport du Club de Rome, Les limites de la croissance.

Ce n’est pas la façon de produire mais la production en soi qui serait responsable des problèmes environnementaux. Ce n’est pas le système économique capitaliste, qui est coupable, mais bien le milliard de ‘consommateurs du prêt-à-jeter’ du monde occidental.

Tiens ! Comme si tous les consommateurs étaient égaux ! Une centaines de milliardaires possèdent plus que 40% de la population mondiale. Les plus riches d’entre les citoyens du monde, avec leurs châteaux, leurs résidences à la campagne, leurs luxueuses villas agrémentées de piscines chauffées, leurs clubs de golf, leurs voitures de luxe, leurs avions privés, leurs lointaines destinations de vacances, leurs manteaux de fourrure et autres produits de luxe, accaparent une part bien plus importante des ressources naturelles et provoquent infiniment plus de pollution que le reste des ‘consommateurs’.

Les opportunistes verts se servent des réelles limites de l’environnement en vue de restreindre la consommation des masses populaires et protéger le mode de vie exorbitant des super-riches. Ainsi, nous pouvons lire dans l’une des brochures d’Agalev : ´L’écotaxe peut être évitée sans problème s’il existe une alternative. Dans ce cas, il devient totalement accessoire que le ‘plus riche’ puisse encore s’offrir le produit polluant et vous pas.ª52 Aussi, la limite entre un plaidoyer pour ‘plus de sobriété’ et une politique directe de restrictions est-elle particulièrement étroite. Et c’est ainsi qu’actuellement, les verts se réjouissent des prix élevés du carburant, puisque cela va réduire l’utilisation de la voiture. Et, effectivement, cette utilisation de la voiture va diminuer, mais uniquement chez les moins nantis, et pas chez les riches.

Quand bien même le ‘consommateur’ voudrait consommer de façon plus écologique, ce n’est pas lui qui tire les ficelles. Ainsi, le système du travail par équipe oblige de nombreux ouvriers à avoir une voiture pour se rendre à leur lieu de travail ou prendre le chemin du retour. La décision de remplacer les bouteilles consignées par des flacons jetables en plastique a été prise par les patrons et non par les consommateurs. Le point essentiel, c’est que le gaspillage ne doit pas être imputé aux consommateurs, mais bien aux producteurs. Comme on l’a déjà prouvé un peu plus haut, c’est le mode de production capitaliste en soi qui se montre extrêmement gaspilleur.

Ceci signifie qu’un autre mode de production — dans lequel la production est socialement planifiée, notamment en tenant compte des critères écologiques — rend réellement possible un développement durable. Prenons, par exemple, le rejet de CO2. Toute activité économique entraîne immanquablement un certain rejet de CO2. En apportant des améliorations au processus de production et en disposant des filtres (technique devant encore être élaborée), on peut toutefois limiter considérablement le rejet pour chaque marchandise produite. Mais il y a plus. En plantant des espaces boisés, on peut fixer le CO2 et ainsi le soustraire à l’atmosphère. Car les plantes captent ce même CO2 et le fixent dans le cas des arbres, durant des siècles. Récemment, on a même développé des espèces ligneuses à la croissance rapide qui, de ce fait, peuvent capter de grandes quantités de CO2 en très peu de temps. Il est donc possible d’obtenir une production économique plus élevée sans pour autant augmenter le rejet de gaz provoquant l’effet de serre. Sous le capitalisme, toutefois, tous ces investissements sont considérés purement et simplement comme des postes à perte. Au contraire, sous le socialisme, ils doivent faire partie intégrante de la planification.

En prétendant qu’il y a des ‘limites à la croissance’, les verts se tournent — et c’est eux qui le disent — contre le productivisme, tant de la société capitaliste que de la société socialiste. Ce faisant, ils nient le caractère de classe des problèmes environnementaux et ils évitent soigneusement la question du système qui en est responsable. Cependant, pour les marxistes, la nature sert à satisfaire les besoins de l’humanité et celle-ci doit étudier les lois naturelles afin de pouvoir exploiter durablement les ressources naturelles. C’est impossible avec le capitalisme, mais parfaitement réalisable sous le socialisme.

Par le biais d’une bien meilleure organisation (plus efficace du point de vue de l’environnement) de la production et de la distribution, et par une répartition plus équitable, le socialisme permettra au peuple de consommer davantage dans le cadre des mêmes conditions environnementales. Sous le socialisme, certains secteurs devront connaître une croissance très forte, bien plus forte même que sous le capitalisme: la construction de logements sociaux, les transports publics, la construction de rames de chemin de fer et d’autobus, etc. De même, l’assainissement des dégâts à l’environnement provoqués par l’impérialisme implique un développement considérable du secteur environnemental (technologies propres, filtres, installations d’épuration…). Le niveau de bien-être matériel des peuples du tiers monde devra s’accroître fortement: pour l’instant, la majeure partie de l’humanité ne peut même pas subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Toutefois, en même temps que la croissance au profit de la majeure partie de l’humanité, la consommation des riches devra également diminuer et il conviendra de mettre un terme à la production des véritables produits de luxe.

Bref, la question n’est pas la croissance ou le refus de la croissance, mais bien: quel genre de croissance, et pour qui ? Alors que le capitalisme se caractérise par le gaspillage et la pollution, la croissance sous le socialisme sera différente et davantage respectueuse de l’environnement.

Notes

 

Le socialisme comme condition de base d’un développement durable

Charly Da Silva

Le point de départ est simple : le monde dans lequel nous vivons n’est pas infini. Lorsque le dernier dodo1 a été abattu, l’espèce a disparu pour de bon. Lorsqu’on aura extrait la dernière goutte de pétrole, il n’y aura plus de pétrole, irrémédiablement. Même s’il y a des réserves pour 200 ans, au bout de ces 200 ans, il n’y aura plus de pétrole. Non seulement cette substance précieuse, susceptible d’applications encore inconnues, aura stupidement disparu en fumée, mais la teneur en CO2 de notre atmosphère aura augmenté de façon dramatique.

Nos forêts et nos terres agricoles finissent par s’épuiser et sont menacées de disparition définitive. Ainsi, chaque année, ce sont 170 000 Km2 de forêts tropicales qui disparaissent, soit plus de cinq fois la superficie de la Belgique. En outre, des statistiques de l’ONU révèlent qu’à l’heure actuelle, un sixième des terres propres à l’agriculture et à la sylviculture ont subi d’importants dommages.2

Bref, nous mettons trop — et trop rapidement — la terre à contribution et nous privons ainsi, jour après jour, les générations futures (nos propres enfants et petits-enfants) de la possibilité de mener une vie décente.

L’exemple suivant, extrait de l’Actieplan Nederland Duurzaam (Plan d’action pour la sauvegarde des Pays-Bas) de l’Association néerlandaise de Défense de l’Environnement, présente les choses clairement : ´Prenez un capital qui rapporte des intérêts. Si vous vivez uniquement des intérêts, le capital demeure intact. En principe, cela peut durer indéfiniment. Si, par contre, en plus des intérêts, vous utilisez une partie du capital, ce sera vite terminé. Avec la diminution du capital, les intérêts diminuent également d’année en année, de sorte que vous devrez puiser de plus en plus dans votre capital.ª3

L’affaire revient donc à ne pas prendre à la terre plus que ce qu’elle peut donner, afin de garantir le développement durable de l’humanité.

L’espace d’utilisation environnementale

Afin d’assurer un développement durable, nous devons évaluer la quantité que l’homme (c’est-à-dire chaque être humain) peut utiliser sans hypothéquer irrémédiablement nos possibilités pour l’avenir. Cette quantité porte un nom: l’espace d’utilisation environnementale. L’espace total d’utilisation environnementale (l’espace terrestre utilisable par l’homme et les autres espèces) divisé par le nombre d’habitants de la terre donne l’espace d’utilisation environnementale par être humain. A supposer, bien entendu, que chaque être humain dispose d’un égal espace d’utilisation environnementale.

L’Association de Défense de l’Environnement a calculé l’espace d’utilisation environnementale pour un certain nombre de matières premières. Prenons quelques-unes de ces données.

1. L’énergie. L’utilisation de combustibles fossiles doit être réduite de manière à ce que l’effet de serre demeure limité à une hausse de température de 0,1 degré Celsius par décennie et ce, durant la phase de transition vers une économie plus propre. Des scientifiques donnent une limite extrême de 2°C pour le réchauffement terrestre dans son ensemble. Des hausses plus fortes de la température auraient des suites désastreuses pour l’homme et la nature.4 Afin de rester en deçà de ces 2°C, l’actuelle concentration en gaz en tous genres rejetés dans l’atmosphère doit être stabilisée et même réduite. Pour ce faire, il convient que nous diminuions nos rejets de CO2 de 50 à 60%.5

2. Les matières premières non renouvelables. Par exemple, la consommation annuelle d’aluminium par être humain doit baisser de 3,3 kg à 2 kg. Pour les Pays-Bas, ceci représente une diminution de l’ordre de 80% de l’utilisation actuelle.

3. Les matières premières agricoles. Si l’on veut passer à une production durable, chaque humain disposera, en 2010, de 0,19 hectare de superficie cultivable, pour disposer d’une alimentation minimale. Il faudra y ajouter 0,06 ha pour les fibres, le textile, les denrées ‘de luxe’ (café, tabac, etc.). Un exemple concret prouve que nous dépassons sans scrupule notre espace d’utilisation environnementale : pour l’instant, il y a assez de pâturages pour assurer à la population mondiale 30 grammes de viande par tête et par jour, alors que le Belge moyen en consomme environ 300 par jour.

Les mêmes calculs ont été réalisés pour le bois, le papier et l’eau. Vers 2010, chaque être humain (pour une population totale de 7 milliards de personnes) aura droit à :

- 1,7 tonne d’émission de CO2 par an ;

- 80 litres d’eau par jour (aux Pays-Bas, la consommation ménagère atteint actuellement 130 litres par personne et par jour) ;

- 0,25 ha de terre cultivable, dont 0,19 pour l’ensemble de l’alimentation de base ;

- 0,31 ha de pâturages ;

- 0,4 m3 de bois par an (y compris le bois réservé à l’utilisation du papier : actuellement, les habitants des riches pays du Nord en consomment en moyenne 1,1 m3).

Ces chiffres sont globaux et des transferts peuvent se faire entre régions ou continents, de même qu’entre cultures. Dans le même temps, il serait injuste d’imputer la totale responsabilité du rejet de CO2 des pays producteurs de pétrole, comme l’Arabie Saoudite, à ces seuls pays, alors qu’ils produisent surtout pour les riches pays occidentaux. Il en va de même pour les cultures dévastatrices des pays de l’Amérique latine et de l’Afrique qui, souvent, sont intégralement destinées à l’exportation vers le Nord.

En raison de divers facteurs, il est extrêmement difficile de respecter cet espace d’utilisation environnementale que, pour des raisons vitales, l’on ne peut dépasser :

- les mesures techniques comme le nettoyage, l’assainissement et le traitement de toutes sortes de substances et produits, la réutilisation d’appareils ou de leurs composantes, des déchets et des matériaux… ;

- les adaptations structurelles de la manière dont nous produisons et consommons (la mise à l’écart d’un certain nombre de produits et de procédés de production…) ;

- les mesures de réduction de volume (produire moins et consommer moins certaines marchandises).

Evidemment, les chiffres cités reflètent un instantané. L’espace d’utilisation environnementale constitue une donnée dynamique. Si l’on continue à polluer fleuves et rivières, le nombre de litres d’eau dont chacun pourra disposer quotidiennement va encore continuer à baisser.

Inversement, au bout d’un certain temps, l’assainissement de l’environnement (des sols et cours d’eau pollués, etc.), la remise en état des biotopes, le reboisement et l’introduction de nouvelles technologies économisant l’énergie et les matières premières (le recyclage généralisé — pas uniquement de ce qui est rentable —, les moteurs économiques, etc.), accroîtront l’espace disponible pour chacun. Si l’on opte de façon réfléchie pour la production de marchandises épargnant l’environnement (par exemple, le remplacement des bombardiers Stealth et des sous-marins nucléaires par des flottes d’avions et de navires destinés à combattre les incendies ; des barrages flottants pour circonscrire les catastrophes pétrolières), on pourra assurer une meilleure conservation de l’espace existant d’utilisation environnementale.

Sous le capitalisme

La plupart des verts et des sociaux-démocrates qui se sentent concernés par l’environnement pensent pouvoir mener à bien les mesures précitées dans le cadre d’un système capitaliste purifié de ses excès. Le libre marché reste pour eux un instrument d’organisation incontournable.

L’intérêt égoïste, la naïveté ou une connaissance théorique et historique insuffisante du phénomène qu’est le capitalisme les empêchent de comprendre que ces fameux ‘excès’ ne sont précisément pas des excès, mais bien les conditions d’existence ou les conséquences inévitables du capitalisme, et qu’un développement durable est donc fondamentalement incompatible avec toute forme de société capitaliste.

L’essence de cette forme de société, basée sur la propriété privée des moyens de production, est la recherche de la plus-value. Celle-ci s’obtient en faisant travailler les travailleurs plus que ne le requiert leur entretien ou leur reproduction, mais aussi en exploitant davantage la terre et la nature, plus qu’elles ne le peuvent le supporter. Bref, l’exploitation de l’homme et de la nature est l’essence même et la condition d’existence du capitalisme.

Par conséquent, les mesures citées plus haut en vue de contenir l’activité humaine au sein de l’espace d’utilisation environnementale sont inacceptables pour le capitalisme. La propriété privée des moyens de production, la chasse au profit et la concurrence effrénée ne peuvent s’imposer la moindre entrave de nature écologique ou sociale.

Du reste, les limites de la légalité sont rapidement franchies lorsque les rendements sont élevés: le trafic et l’utilisation des hormones par les fermiers et les vétérinaires, le commerce des armes par des entreprises cotées en bourse, et ce en dépit des embargos de l’ONU, la vente de poudre de lait en Afrique par la multinationale Nestlé au mépris complet de ce que préconise l’International Milk Code, le trafic et le dumping des déchets… La liste est interminable. Ici, les acteurs ne sont ni des gangsters ni des mafiosi, mais bien les capitalistes ‘normaux’, ‘honnêtes’ qui font la pluie et le beau temps dans notre société.

Marx écrivait déjà : ´Le capital a l’absence de profit en horreur. Avec un bénéfice raisonnable, le capital devient audacieux. Assuré de dix pour-cent, on le trouve entreprenant partout, 20 pour-cent, et il devient exubérant; 50 pour-cent, positivement téméraire, 100 pour-cent, et il foule aux pieds toutes les lois humaines, 300 pour-cent, il ne recule devant aucun crime, même sous la menace du gibet.ª6

Il est plus qu’évident que, dans une société capitaliste, les lois censées réglementer l’utilisation de l’environnement sont ou seront, elles aussi, contournées et enfreintes systématiquement et de toutes les façons possibles: c’est la conséquence incontournable de la quête de profit par la classe capitaliste. Bref, le développement durable et l’organisation capitaliste de la société sont incompatibles.

Les atouts du socialisme

Cette incompatibilité n’existe plus sous le socialisme, système où la soumission et l’exploitation de l’homme sont en principe inexistantes, où le bien-être et la satisfaction des besoins de l’homme constituent une priorité, où ne règne pas la dictature de la logique du profit, et dans la mesure où le socialisme reconnaît la nécessité même du développement durable.

Pour assurer un développement durable, le socialisme dispose de trois atouts importants et indissociables : 1. le rôle central de la planification ; 2. l’absence de la logique du profit pour lui-même ; 3. le collectivisme.

1. La planification

Que les écologistes s’obstinent à jurer que l’application du concept d’espace d’utilisation environnementale ne pose aucun problème dans le cadre d’une économie de libre marché (moyennant quelques corrections), cela nous paraît incompréhensible. Ils devraient au moins être conscients que le partage et le respect de cet espace d’utilisation environnementale (sur les plans international, national et individuel) ne peuvent en aucun cas se réaliser dans ce cadre, et ce en raison de toute une série de laisser-aller.

Les mesures précitées impliquent un volontarisme évident se traduisant par une planification très poussée. Prenons, par exemple, la problématique de l’énergie. Afin d’éviter des catastrophes, il faut que, pour 2010 environ, nous réduisions nos rejets de CO2 d’environ 60%. Un ralentissement dans certains secteurs de la production et de la consommation exigeant de grandes dépenses d’énergie est donc inévitable. Ce ralentissement doit être quantifié: il faut tenir compte soigneusement de la quantité d’énergie requise par la production, l’emballage, l’acheminement, etc., d’un produit afin de sélectionner les produits et processus de production les plus économiques. Le recours à certaines ressources devra cesser ou être réduit de façon draconienne en fonction de leur réelle nécessité pour l’homme. Par exemple, la production maraîchère sous serre nécessite huit fois plus d’énergie qu’une même quantité de ces produits lorsqu’ils sont cultivés en pleine terre.

Puisqu’il est hors de question d’appliquer des mesures linéaires (par exemple, la réduction de 60% du rejet de CO2 dans tous les secteurs et tous les pays), il convient de répartir l’espace disponible non seulement entre régions, pays et continents, mais également entre l’industrie, l’agriculture, les familles, etc., sans toutefois dépasser l’espace total d’utilisation environnementale. Il est impossible de le faire par usine, par branche d’industrie ou secteur, indépendamment de ce qui est en cours dans d’autres secteurs. Cela ne peut se faire non plus par région, par province ou par pays sans tenir compte de l’espace déjà occupé ailleurs dans le pays, le continent, le monde.

On ne peut y arriver que par une vision globale et un mécanisme de contrôle extrêmement coordonné. Une planification extrêmement détaillée et fondée scientifiquement, opérant à tous les niveaux, est par conséquent indispensable.7

On peut avoir des doutes quant à la faisabilité et l’efficacité d’une telle planification. Mais qui peut proposer un instrument au moins équivalent pour en arriver à une concrétisation et une répartition équilibrées de l’espace d’utilisation environnementale ? Suite aux problèmes de l’économie planifiée des pays est-européens, de nombreuses personnes de gauche et autres progressistes remettent en question la planification. On peut toutefois douter que la véritable cause des difficultés réside dans l’essence même de la planification. Il conviendrait plutôt d’examiner si la planification s’est correctement déroulée.

La planification n’est pas du tout condamnée à l’échec : c’est ce qui ressort d’un constat de Paul Ekins8 selon lequel, au sein d’une économie de marché, les multinationales se muent en vastes zones de planification bureaucratique. En effet, les transactions mondiales entre les multinationales et leurs filiales prennent de plus en plus de place. Il ne s’agit plus ici d’un véritable commerce, mais du produit d’une planification privée, centralisée à l’échelle du globe.9 Et que voit-on ? En dix ans, les multinationales ont doublé leurs chiffres de ventes. Pas de bilan négatif, pour elles, par conséquent.

Dans le passé, certains penseurs écolos n’ont pas poussé de hauts cris lorsqu’ils ont entendu prononcer le mot ‘planification’. Ainsi, en 1990, l’économiste et ancien parlementaire Agalev, Wilfried De Vlieghere, plaidait-il en faveur d’une forme de planification — limitée, il est vrai : ´Il peut paraître étrange, à première vue, de se demander si les techniques de planification peuvent être utilisées dans une économie verte, et pourtant, cette question n’est pas si absurde. La seule chose qu’on a prouvé, c’est que l’économie planifiée est inutilisable pour une société de consommation. C’est précisément ce type de société que nous voulons abandonner. Il apparaîtra clairement, en même temps, qu’elle n’est pas utilisable pour la production de biens de consommation… Les choses sont quelque peu différentes pour les activités à grande échelle qui se maintiendront, la production de matières premières, les produits semi-finis standardisés et les biens d’investissement, qui (…) peuvent bien faire l’objet d’une planification. Dans une économie verte, mûre et adulte, il sera certainement sensé de se demander si, après tout, la planification de ces activités n’est pas l’approche la plus adéquate.ª10

Sous le socialisme, la planification constitue le principal élément organisateur de l’économie. Che Guevara écrivait qu’il fallait considérer la planification comme la première possibilité qui s’offre à l’homme de dominer les forces économiques. Le plan est l’instrument avec lequel les gens peuvent décider de la réalité et, de la sorte, créer et adapter leur présent et leur avenir.11 Selon Guevara, le plan doit considérer deux éléments et les faire agir l’un sur l’autre. La création de bases pour le développement, les corrections de trajectoires et le contrôle de l’économie dans la nouvelle société, ainsi que la création d’une nouvelle sorte de rapports humains entre les gens et — pouvons-nous ajouter — avec la terre et la nature.

Aussi nous semble-t-il évident que le plan peut et doit viser la pérennité écologique de la société socialiste en partant de l’espace d’utilisation environnementale comme prémisse. De cette manière, le plan devient un instrument de survie qu’il conviendra de transmettre aux générations ultérieures.

2. L’absence de logique du profit

De la sorte, la motivation principale de l’exploitation de l’homme et de la nature disparaît. Constater que, selon les normes capitalistes, un réseau étendu de transport public bon marché, d’une fréquence satisfaisante, n’est pas rentable, est sans fondement au sein d’une société socialiste durable. Il en va de même pour la longévité des produits, destinés à satisfaire les besoins des humains. Le sabotage mis en œuvre afin de limiter la longévité des produits et d’en accélérer la vente (par exemple, les ampoules électriques) n’a absolument aucun sens dans une société socialiste.

3. La collectivisation

Alors que la propriété privée des moyens de production et le système injuste et souvent criminel qui la sous-tend contiennent une impossibilité intrinsèque de ne pas dépasser l’espace d’utilisation environnementale, il n’en va pas de même dans le cadre d’une économie collectivisée. Si la limitation de l’espace d’utilisation environnementale est reconnue et qu’elle devient la prémisse de la planification, la collectivisation constituera la condition sine qua non et l’instrument d’un développement durable.

La gestion des ‘transports publics’ par le privé mène à une réduction drastique du réseau, à des prix scandaleusement élevés et parfois à une régression de la sécurité. Bref, ces transports ne constituent pas une alternative valable à la voiture pour les citoyens qui ont les moyens de s’en procurer une, et ils n’offrent que des possibilités de déplacement insuffisantes aux personnes qui ne peuvent se permettre l’acquisition d’un véhicule. La personne qui utilise une voiture produit 13 fois plus de monoxyde de carbone que l’usager de l’autobus.12 Si chaque humain a droit à une voiture et à son utilisation — c’est ce que nous promet le monde capitaliste —, ce sont des milliards de voitures qui rouleront à l’avenir. C’est naturellement exclu. Seule la collectivisation des transports publics permet de réduire le nombre de voitures dans des proportions importantes.

Dans une économie durable, les produits seront différents des produits actuels, sous de nombreux aspects. Les biens de consommation éphémères (nourriture, produits de nettoyage, etc.) seront fabriqués avec moins d’énergie, ne seront pas nocifs et pollueront un minimum à l’utilisation. Quant aux biens de consommation durables, une utilisation rationnelle de l’énergie, le caractère recyclable du produit et sa durabilité seront fondamentaux.

On produira de façon la plus modulaire possible, à partir de composants standardisés, pouvant être remplacés séparément lorsqu’ils sont usés ou dépassés en raison du développement technologique, de sorte qu’on ne soit pas forcé de jeter l’appareil entier. Ceci favorise les possibilités de réparation et de recyclage et permet le montage à échelle restreinte, locale, en partant de composants de base, éventuellement produits à grande échelle.13

Pour des raisons évidentes, les entreprises privées ne procéderont pas spontanément ou de gaieté de cœur à cette conversion. De même, il est tout à fait utopique de s’imaginer que le monde politique les y contraindrait. C’est pourquoi la collectivisation des moyens de production est indispensable.

Le développement durable et la société socialiste

Le développement durable détermine la forme, l’organisation et le caractère d’urgence de la société socialiste démocratique.

1. La forme et l’organisation

Le développement durable n’est pas concevable sans une forme très poussée de planification. D’abord, il convient d’en définir les possibilités (l’espace disponible d’utilisation environnementale). Ensuite, il faut inventorier les besoins de façon très claire. Enfin, il s’agit de déterminer comment on peut satisfaire ces besoins tout en restant dans les limites de l’espace d’utilisation environnementale.

Si nous faisons le tour des besoins du tiers (et du quart) monde, il est clair qu’une croissance énorme sera indispensable. Non pas cette fameuse croissance que nous connaissons bien en tant que moyen de maximalisation du profit, mais une croissance qui permettra de satisfaire les besoins humains essentiels (routes, chemins de fer, hôpitaux — éventuellement hôpitaux de campagne —, écoles, logement, etc.). Afin de maintenir cette croissance dans les limites de l’espace d’utilisation environnementale, il faudra libérer de l’espace ailleurs. Il s’agira avant tout de mettre fin au gaspillage et à la pollution absurde que génère le capitalisme (voyez les centaines de modèles différents de voitures, l’attirail de guerre, la publicité omniprésente…) Ensuite, il faudra créer un nouvel espace par le biais de mesures de redressement, de nouvelles technologies, etc.

La satisfaction des besoins essentiels de l’homme dans les limites de l’espace d’utilisation environnementale nécessite une planification comportant un degré élevé de savoir-faire scientifique. Il n’est donc pas vrai qu’une société durable et écologique va nous renvoyer au Moyen Age. C’est précisément l’économie capitaliste qui ne tient nullement compte des signaux d’alarme des scientifiques, comme on l’a brièvement esquissé au début de cet article, et qui continue à stimuler la recherche scientifique sur la voie du gaspillage, de la surconsommation et de la production militaire.

En outre, la planification implique, du moins pour sa mise en forme, une forte centralisation. Le respect de l’espace d’utilisation environnementale dans un pays connaîtrait immédiatement des difficultés si chaque région dressait sa propre planification indépendamment de l’autre. Le même raisonnement vaut également à l’échelle continentale et planétaire.

Cette forte centralisation doit aller de pair, inconditionnellement, avec tous les instruments qui garantissent une prise des décisions et un contrôle démocratiques (des moyens de communication performants entre la base et le sommet, un feed-back extrêmement rapide, une révocabilité permanente, une rotation et une rémunération modérée des mandataires…). En outre, dans la centralisation de la planification, les niveaux décisionnels inférieurs (commune, quartier) doivent conserver une autonomie maximale. Autant que faire se peut, les décisions doivent être prises là où elles auront des retombées.

Il faut mentionner toutefois que la centralisation de la planification n’implique pas la centralisation de la production. Au contraire, pour des raisons écologiques, il faut réduire au minimum le transport des marchandises produites. Ce qui a des conséquences quant à l’échelle de la production. La règle de base devient: produire le plus près possible du consommateur. Ceci dépend du type de marchandise que l’on veut produire et de la technologie qu’on va utiliser. Certaines marchandises peuvent en effet être produites à proximité immédiate du consommateur. Pour d’autres, l’échelle adéquate peut être celle de la province ou du pays.

Enfin, nous prônons un socialisme sous lequel, outre la satisfaction des besoins matériels écologiquement justifiés, on mettra également l’accent sur le bien-être immatériel.

Les défis à relever sont très difficiles et on commettra un certain nombre d’erreurs. Il faudra se livrer en permanence à des évaluations, à des corrections de trajectoires. Cependant, une chose doit être bien claire: sans développement durable, il n’y a pas de socialisme durable — et inversement.

2. Le caractère d’urgence

Le socialiste révolutionnaire est confiant : le capitalisme finira par être vaincu et le socialisme triomphera.

La situation extrêmement inquiétante de notre planète place toutefois cette conscience révolutionnaire dans une autre perspective. Chaque jour, des espèces végétales et animales disparaissent, chaque jour, le déboisement effréné — notamment des forêts tropicales — se poursuit. Ce capital biologique disparaît pour de bon. Des plantes grâce auxquelles, à l’avenir, certaines maladies pourraient être combattues, sont irrémédiablement perdues pour l’humanité et pour la terre. Certaines applications futures de l’uranium et du pétrole sont hypothéquées. Il est certain que, d’ici cinq ou dix ans, le rejet de CO2 et d’autres substances toxiques doit diminuer de quelques pour-cent, mais la chose aurait déjà dû se produire de façon draconienne depuis pas mal d’années.

Combien de temps faudra-t-il encore avant que le climat change de façon radicale ? Qui peut affirmer avec certitude que les mutations ne se produiront pas lentement d’abord, puis de façon exponentielle ? Qu’en est-il de la couche d’ozone et des conséquences encore inconnues de son rétrécissement ? Chaque année, le désert gagne du terrain et l’espace d’utilisation environnementale s’amenuise en ce qui concerne les terres agraires et les réserves d’eau.

Bref, si l’on veut sauver la vie sur terre, il y a urgence.

Le capitalisme limite chaque jour un peu plus les possibilités d’avenir du socialisme. Il lui réduit de jour en jour les possibilités de donner suffisamment à chacun: d’une part, en détruisant lui-même des quantités colossales d’espace d’utilisation environnementale: aujourd’hui, il y a encore suffisamment de terres cultivables pour nourrir la population mondiale, mais ce ne sera plus le cas dans quelques années ; d’autre part, en obligeant les pays qui veulent se libérer du capitalisme à perdre de l’espace d’utilisation environnementale, dans leur combat pour se défendre contre les agressions incessantes du capitalisme. Pensez par exemple à Cuba qui, à 150 Km des Etats-Unis, ne peut se permettre de rester sans armée malgré le gaspillage de matières premières et la pollution ainsi provoqués. Pensez à l’Union soviétique qui a été forcée à une absurde course aux armements afin de pouvoir résister à la pression de l’arsenal militaire occidental (les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki avaient surtout comme but d’intimider l’Union soviétique).

C’est précisément pour cela qu’aujourd’hui, le socialiste révolutionnaire doit combattre tout aussi fortement l’exploitation de la nature que celle de l’homme.

 

Le bilan écologique des pays socialistes

Alexander Kempeneers et Didier Bette

Cheminées crachant des fumées noires, villages de pêcheurs à l’abandon, catastrophe nucléaire à Tchernobyl… les anciens pays socialistes d’Europe de l’Est donnent l’image d’une vaste catastrophe écologique. Greenpeace titrait en 1991 ‘Ecocide à l’Est’. L’organisation écrivait notamment : ´Comme l’URSS, tous les pays d’Europe de l’Est sont aussi malades de leur environnement. Tous connaissent une crise écologique sans précédent. Au cœur de l’Europe centrale, en raison d’une pollution de l’air extrême, due notamment aux industries lourdes et chimiques ainsi qu’aux centrales électriques brûlant de la lignite, dans le triangle formé par la RDA, la Tchécoslovaquie et la Pologne, se situe la région la plus polluée du vieux continent.ª Et en guise d’intertitre : ‘Allemagne de l’Est : des images d’enfer’.1 Des analyses sans nuances …

Selon Dick Thompson, de Time, les problèmes écologiques font partie intégrante du socialisme parce qu’on n’accorde d’importance qu’à un niveau de production le plus élevé possible : ´L’Union soviétique est un cauchemar environnemental. (…) Le désastre écologique soviétique est en préparation depuis longtemps. Au début de l’époque de Staline, les questions écologiques ont été mises de côté dans la course à l’industrialisation. Valovaya produktsiya, une expression qui peut se traduire par production brute, et dont l’abréviation est ‘val’, était au cœur du problème. Les bureaucrates de l’industrie ont longtemps été évalués — et rétribués — uniquement en termes de production brute.ª2

Aussi bien pour Greenpeace que pour Time, le plus grand crime des pays de l’Est est de s’être industrialisés à un rythme accéléré. Nous tentons dans cet article d’établir un bilan écologique plus équilibré de ces pays. Pour ce faire, considérons successivement :

1. les acquis du socialisme ;

2. la consommation d’énergie dont on dit toujours qu’elle était dilapidatrice ;

3. les réels problèmes écologiques et leurs causes ;

4. l’évolution dans ces pays depuis qu’ils sont devenus capitalistes.

1. La supériorité du socialisme

Les pays socialistes d’Europe de l’Est peuvent se prévaloir d’un bon nombre de réalisations positives incontestables dans le domaine de l’environnement. On les passe trop souvent sous silence parce qu’elles montrent de manière évidente la supériorité du système socialiste. Sans prétendre être exhaustifs, nous parcourons ci-dessous cinq domaines. On pourrait encore citer d’autres points, comme l’aménagement du territoire.

1.1. Une réglementation environnementale progressiste

Un Etat socialiste se caractérise par le fait que sa législation reflète les intérêts des travailleurs, y compris sur le plan de l’environnement. Ce n’est pas un hasard si les Etats socialistes ont été parmi les premiers à adopter une vaste législation relative à l’environnement.

Considérons l’exemple de la République Démocratique d’Allemagne. La protection de la nature et de l’environnement était inscrite dans la Constitution (article 15) : ´Le sol de la République démocratique allemande est l’une de ses richesses naturelles les plus grandes. Il doit être protégé et exploité rationnellement. Le sol exploité par l’agriculture et la sylviculture ne peut être destiné à d’autres fins qu’à des services compétents de l’Etat. Pour protéger le bien commun, l’Etat et la société protègent la nature. La lutte contre la pollution des eaux et de l’air, la protection de la faune et la flore ainsi que des sites naturels de la patrie relèvent de la responsabilité des services compétents. Tous les citoyens sont invités à y prendre part.ª3

Dès les années 60 — alors que chez nous on parlait à peine de la problématique de l’environnement — une série de lois ont été votées : contre la pollution de l’eau (1963), pour la protection des terres agricoles (1964) et des forêts (1965). Ces lois allaient assez loin. Même l’arsenal législatif belge de l’an 2000 n’est rien en comparaison.

Ainsi, l’article 11 de la loi contre la pollution de l’eau précise : ´Les entreprises et les établissements prélevant de l’eau pour leur production sont tenus de mettre au point des techniques de production correspondant à l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques… destinées à recycler l’eau. Afin de lutter contre la pollution des eaux, de préserver la santé de la population et la faune et de pouvoir réutiliser l’eau, les prélèvements ne peuvent être effectués que dans le cadre des limites prescrites.ª4

Un décret d’exécution de la loi sur l’environnement, datant de 1975, précise : ´Les entreprises produisant des déchets sont responsables de leur recyclage. Les entreprises qui fabriquent des produits entraînant des déchets lors de la consommation sociale et individuelle sont également tenues de les recycler.ª5

En 1969, un code minier entrait en vigueur. Avec la loi de 1970, il contraignait les compagnies minières à remettre les régions exploitées dans un état avantageux pour la société, comme terrain agricole, bois ou zone récréative.6 Si la compagnie manquait à son devoir, elle se voyait imposer une amende qui pouvait atteindre 7 500 DM par hectare par an.7

On pourrait objecter que, dans la pratique, ces belles lois restaient souvent lettre morte. Si cela a été le cas, c’est moins en raison du socialisme qu’à cause du révisionnisme, dont une des caractéristiques principales est précisément la rupture entre la parole et les actes. Par ailleurs, l’impérialisme laissait peu de choix à ces pays. Nous y reviendrons plus loin. Quoi qu’il en soit, le fait est que l’existence de ces législations progressistes témoigne à tout le moins d’un souci précoce pour l’environnement en RDA.

1.2. Protection de la nature et des paysages

La propagande impérialiste attire l’attention sur la pollution sérieuse, réelle, dans les centres industriels d’Europe de l’Est, comme en Silésie et à Gdansk en Pologne, dans les environs de Leipzig en Allemagne de l’Est… Mais on oublie que ces régions ne constituent qu’une petite partie de la superficie du pays, alors que de vastes régions de l’Europe de l’Est sont pratiquement inviolées.

Tant en RDA qu’en Union soviétique, les paysages protégés représentent environ 20% de la superficie totale du pays.8 En Union soviétique, c’est grâce à l’aide personnelle de Lénine et en pleine guerre civile que la première réserve naturelle protégée a été créée, dans le delta de la Volga.9 Ce n’est pas un hasard si les Occidentaux amoureux de la nature aiment se rendre en voyage en Europe de l’Est. On y trouve encore d’innombrables espèces animales et végétales rares ou disparues dans nos régions. Deux exemples pour illustrer ceci.

La Scandinavie mise à part, c’est sur les rives de l’Elbe, sur le territoire de l’ancienne RDA, que vit la plus grande colonie de castors d’Europe. On en retrouve encore une importante population sur les bords du Rhône mais, ailleurs en Europe, le plus grand rongeur d’Europe a disparu. En 1945, le castor était aussi gravement menacé. Il n’en restait tout au plus que 100 à 200 exemplaires vivants. Le castor a pu être sauvé grâce à la mise en place de la région de protection de l’environnement de Mittlere Elbe, qui a vu le jour dès 1949. Contrairement à pratiquement toutes les grandes rivières d’Europe de l’Ouest, l’Elbe n’a pas été endiguée, bien qu’elle soit une voie d’eau très importante pour l’économie est-allemande. Les zones de crue et les forêts humides sont encore nombreuses dans la vallée de l’Elbe. Ces biotopes devenus rares abritent une faune et une flore spécifique, notamment le castor et la loutre. On estime aujourd’hui la population totale de castors à 4 300 exemplaires.10 Les castors de l’Elbe ont été utilisés pour des programmes de réintroduction de l’espèce en Allemagne de l’Ouest, aux Pays-Bas, en Belgique, au Danemark et au Luxembourg. Signalons enfin que, bien que la qualité de l’eau de l’Elbe ait été longtemps lamentable (comme celle de la plupart des grandes voies d’eau en Europe), la faune s’est ensuite rapidement reconstituée parce que des affluents importants sont restés de bonne qualité.11

Des 4 155 couples de cigognes que comptait l’Allemagne en 1994, au moins 3 402 — soit plus de 81% — nichent sur le territoire de l’ancienne Allemagne de l’Est, bien que l’Allemagne de l’Ouest soit environ deux fois plus grande.12 La cigogne est un bon indicateur de la qualité de l’environnement, tout comme d’autres espèces d’oiseaux (par exemple les rapaces) qui sont remarquablement plus nombreux en Europe de l’Est qu’en Europe de l’Ouest.

1.3. Plus de transports en commun

Transport dans les années 80

Etats-Unis ; Union soviétique

Transport de personnes (1)

Transport public par la route 372 ; 4706

Transport privé par la route 44420 ; (indisponible)

Train 203 ; 4022

Avion 6933 ; 2267

Personnes par voiture 2 ; 20

Transport de marchandises (2)

Camions 11247 ; 5080

Train 16541 ; 39248

Bateau 7047 ; 2512

Avion 14650 ; 2645

(1) exprimé en centaine de million de passagers-Km par an (nombre total de passagers x nombre de Km parcourus)

(2) exprimé en centaine de million de tonnes-Km par an (nombre de tonnes de marchandises x nombre de Km parcourus); le transport par avion est exprimé en million de tonnes-Km

(Source : World Resources Institute, World Resources 1992-93, p.226-267.13)

Dans le domaine de l’infrastructure économique, le socialisme montre aussi la supériorité. En Union soviétique, les voyageurs parcouraient treize fois plus de kilomètres avec les transports publics par la route qu’aux Etats-Unis et, pour le transport ferroviaire, c’était vingt fois plus. Aux Etats-Unis par contre, ce sont les formes de transport les plus éprouvantes pour l’environnement qui prédominent: le transport privé par la route et l’avion. Toutes proportions gardées, on y dénombre dix fois plus de véhicules privés qu’en Union soviétique. Les petites voitures est-européennes (Lada, Trabant…) étaient peut-être plus polluantes que les modèles occidentaux actuels mais, du fait qu’elles étaient moins nombreuses et moins employées, la pollution due au trafic routier était beaucoup moindre qu’en Europe de l’Ouest.

En ce qui concerne le transport de marchandises, le tableau est similaire. La quantité de marchandises transportées par la route en Union soviétique n’atteignait pas la moitié de ce qu’elle était aux Etats-Unis, et, pour le transport par avion, moins d’un cinquième. Par contre, le transport par chemin de fer était 1,5 fois plus élevé. Le recours moins fréquent au transport fluvial en Union soviétique s’explique par la longueur et la rigueur des hivers.

Le résultat de la situation décrite ci-dessus est que, dans tous les pays occidentaux, le transport engloutit 20 à 40% de la consommation d’énergie. En Europe de l’Est, c’était à peine 13%. En Tchécoslovaquie par exemple, seulement 7% de l’énergie consommée l’était par le transport.14

Ces chiffres, rassemblés par des institutions bourgeoises, montrent à l’évidence quelle forme de société est supérieure en ce qui concerne le transport — et la pollution qui lui est associée. Du reste, le mouvement écologiste a bien dû le reconnaître, en voyant les conséquences de la contre-révolution. Lors d’une rencontre de militants écologistes de quinze pays est- et ouest-européens fin 1992, le tableau suivant a été brossé : ´En général, avant le renversement politique, les pays avaient un système de transport public étendu et bon marché, même si les trains, bus et trams n’étaient pas très rapides ni luxueux. Depuis les révolutions, les gouvernements stimulent surtout, pour les besoins de la croissance économique, le recours aux véhicules privés et aux camions. Souvent grâce à de l’argent occidental, de nouvelles routes et autoroutes ont été construites. Les subsides pour les chemins de fer d’Etat — déjà faibles selon les normes occidentales — ont été réduits. (…) La Communauté Européenne établit les plans d’un réseau trans-européen d’autoroutes afin de relier l’Europe de l’Ouest à la périphérie de l’Est et du Sud. C’est la raison pour laquelle il faut créer 12 000 kilomètres de nouvelles autoroutes.ª Et les militants écologistes de conclure: ´Le vaste réseau de transport public, héritage des régimes communistes, doit être amélioré au lieu d’être démantelé, telle est l’opinion générale.ª15 Ils disent vouloir éviter que leurs pays commettent les mêmes erreurs que les pays occidentaux. Mais ils ne comprennent pas que le ‘vaste réseau de transport public’ faisait partie intégrante du système socialiste et lui était indissociablement lié. Penser qu’un tel système peut exister dans un pays capitaliste est une utopie.

1.4. Récupération de chaleur

Un autre exemple de l’avance du bloc de l’Est est le système de récupération de chaleur. Dans une centrale électrique occidentale classique, 60% de l’énergie produite est gaspillée par le refroidissement d’air ou d’eau, qui nuit à l’environnement. Il suffit de penser aux grandes tours de refroidissement présentes à proximité de presque toutes les centrales électriques occidentales. Il en va autrement dans le bloc de l’Est. Dès les années 50, on y a développé un ingénieux système de récupération de chaleur. Les centrales de petite et moyenne taille étaient implantées à proximité de complexes industriels et/ou de villes. Elles produisaient de l’électricité de manière classique : on brûle un carburant fossile de manière à transformer de l’eau ou de la vapeur à basse pression en vapeur à haute pression qui fait tourner des turbines générant de l’électricité. C’est là que se séparent les routes entre la technologie capitaliste et la technologie socialiste. La technologie capitaliste arriérée ne savait rien faire d’autre de la vapeur relâchée que de la refroidir avec de l’eau de rivière — avec toutes les conséquences néfastes pour le biotope de la rivière — ou par des tours de refroidissement. De cette manière, on gaspille jusqu’à 2,5 fois trop d’énergie, pour fabriquer une unité d’énergie utile. Le tiers monde a été exploité jusqu’à la corde, l’énergie était scandaleusement bon marché…

La technologie socialiste avancée, quant à elle, utilisait d’une manière utile l’énergie ‘résiduelle’ pour alimenter en énergie les complexes industriels, directement sous la forme de vapeur ou indirectement, sous la forme de chauffage central — au sens littéral. Par ailleurs, des systèmes très étendus de chauffage urbain existaient: un ingénieux système de canalisations répartissait la vapeur résiduelle vers les blocs d’habitations. De cette manière, un même type de centrale électrique pouvait, en Europe de l’Est, fournir 98% d’énergie utile alors que dans le système capitaliste, elle n’en fournissait que 40%. Et dire qu’en Occident, certains écologistes considéraient avec dédain ‘le mauvais fonctionnement des systèmes de chauffage urbain’ dans l’ancien bloc de l’Est… Sans aucun doute, ces systèmes auraient pu être améliorés, notamment par des thermostats. Mais même un système de chauffage urbain qui a des ratés est bien plus efficace que des centrales électriques capitalistes dilapidatrices et que les ‘chauffages centraux’ individuels.

Depuis lors, après la crise de l’OPEP, les prix du carburant ont flambé. Ce n’est que sous cette pression du tiers monde, associée à la lutte d’un mouvement écologiste de plus en plus fort, que le capitalisme a été contraint de gérer son énergie d’une manière plus efficace. Et environ un demi-siècle après le socialisme, le capitalisme découvre soudain le couplage chauffage / production d’électricité, un processus de production combinée, les deux produits étant utilisés de manière utile. Les incinérateurs de déchets sont des installations de ce type. Ou : comment une technologie moderne est mise en œuvre pour provoquer un autre problème écologique, étant donné que, sous le capitalisme, une seule chose compte : le profit. Le profit est aussi la raison pour laquelle on plaide maintenant, sous le capitalisme, pour les économies d’énergie. Certaines entreprises attribuent des primes à leurs ingénieurs pour économiser de l’énergie.

1.5. Pas de montagne de déchets

Depuis des années, les verts, mais aussi les autres partis gouvernementaux, ne cessent de parler de ‘prévention’ : il s’agit d’éviter la production de déchets. Et pourtant, dans tous les pays capitalistes, la montagne de déchets prend des proportions énormes parce qu’il y a de l’argent à gagner grâce à la production de produits médiocres ou jetables. Déchets et capitalisme vont de pair.

Une véritable politique de prévention n’est possible que dans un Etat où le pouvoir public contrôle ou règle effectivement la production et l’oriente en fonction des intérêts de la population.

Les verts n’ont rien inventé : la prévention existait déjà dans les pays socialistes. Les emballages jetables étaient quasiment inexistants en Europe de l’Est, de même que les firmes de publicité qui gagnent des milliards en ne produisant rien si ce n’est des tonnes de papier inutiles. Les chiffres ne trompent pas : à la fin des années 80, la Russie produisait 186 kilos de déchets par personne, contre 660 pour les Etats-Unis et 473 pour l’Allemagne de l’Ouest.16 Milieurama, la revue du Bond Beter Leefmilieu, reconnaît, elle aussi, la supériorité du socialisme dans ce domaine : ´Pourtant, cette région était favorisée sur le plan des déchets. L’imposante montagne de déchets d’emballage, qui cause tant de soucis à maints responsables du traitement des déchets, ne représente ici qu’une fraction de ce qu’elle est chez nous. Les emballages attrayants et superflus étaient complètement inadmissibles dans un système centralisé. (…) Les produits alimentaires étaient emballés dans des bouteilles en verre consignées : lait, crème, huiles, eaux et boissons gazeuses, jus de fruit, conserves de légumes…ª17

En ce qui concerne le recyclage également, l’Europe de l’Est était à l’avance. Ainsi, en 1988, en RDA, 75% des déchets plastiques étaient recyclés. En Flandre, on en est aujourd’hui à 18%.18 En Allemagne de l’Est, on avait créé des entreprises spécialisées, dont la tâche était le recyclage, et qui étaient approvisionnées par un réseau très serré de collectes d’immondices. 19

Sous le socialisme, la distribution à grande échelle peut parfaitement être combinée à une décentralisation des points de vente. Un tel système de distribution permet la mise en place d’un système de retour pour les emballages à usages multiples. Et pour les personnes âgées et les moins-valides, il est possible d’organiser la livraison à domicile sans supplément de coût.

2. A propos des problèmes écologiques réels du socialisme

2.1. Un exemple : le lac d’Aral

Personne ne peut nier les faits : sous le socialisme également, il existe des problèmes écologiques, parfois même dramatiques. Mais partisans et adversaires du socialisme font une analyse différente des causes et des solutions possibles.

Un exemple connu est le lac d’Aral.23 Cette mer intérieure en ex-Union soviétique était autrefois le quatrième lac au monde en importance. Actuellement, sa superficie s’est réduite de plus de 27 000 Km2, principalement à la suite de projets d’irrigation à grande échelle. Un désert s’est ainsi créé, avec pour conséquence érosion par le vent et modifications climatiques. La teneur croissante en sel a aussi provoqué la mort de quasiment tous les poissons et la fin des pêcheries. Ce problème est la conséquence d’une décision prise dans les années 50, visant à accroître au plus vite la surface cultivable, pour la production de produits alimentaires et de coton notamment.

L’aspect positif fut que la superficie de terres agricoles irriguées est passée de 29 000 à 75 000 Km2, grâce à l’acheminement de l’eau de quelques rivières via un système de canaux. Mais le lac d’Aral, moins alimenté, s’est asséché.

L’érosion par le vent, les modifications climatiques et la salinisation des sols sont des problèmes réels qui, à terme, portent aussi préjudice à la production agricole. L’erreur est qu’aucune solution (ou mesure préventive) n’a été recherchée. Les adversaires du socialisme utilisent ces erreurs du socialisme comme prétendue ‘preuve’ de l’échec du planning socialiste. A cela, on peut répondre ce qui suit :

1. Tandis qu’on dénonce à grands cris un problème réel tel que celui du lac d’Aral, on minimalise le problème cent fois plus important que représente la désertification dans les zones sous contrôle impérialiste. Chaque année, un multiple de la superficie du désert qui entoure le lac d’Aral disparaît dans les forêts vierges d’Amérique du Sud, d’Afrique et d’Asie du Sud-Est. Le Sahara et autres déserts s’étendent à un rythme accéléré. Savez-vous qu’au Kenya, un lac est en train de s’assécher à cause de l’irrigation de dizaines de milliers d’hectares destinés à la floriculture ? Contrairement aux territoires irrigués autour du lac d’Aral, qui étaient destinés à améliorer les conditions de vie de la population soviétique, ces catastrophes environnementales profitent uniquement aux cultures d’exportation destinées à l’Occident capitaliste. Et même en Europe, la désertification sévit : c’est le cas en Espagne où, durant la période 1990-95, non moins de 27 tonnes de terre ont été perdues par hectare de terrain agricole !24 Mais on ne décrète pas pour autant la faillite de l’économie capitaliste …

2. L’impérialisme oublie bien vite de tenir compte du contexte historique concret, car sa propre responsabilité serait mise en lumière. Le contexte historique, c’est que l’impérialisme n’a manqué aucune occasion de détruite le jeune Etat soviétique. Dès le début, l’Union soviétique a été confrontée à une intervention meurtrière ; peu après, elle a connu la menace et l’agression nazie puis elle a été plongée dans la guerre froide. Tout cela a nécessité une rapide croissance quantitative de l’économie et de l’appareil militaire, au détriment de son développement qualitatif et durable. Ceci vaut pour l’ensemble du bloc de l’Est : ´Sur le territoire de la R.D.A., la plupart des usines étaient détruites en mai 1945, date à laquelle le fascisme a été anéanti. Dans un premier temps, il fallait remettre en marche la production pour donner à la population ce dont elle avait le plus besoin… Certaines tâches de la lutte contre la pollution des eaux et de l’air ont été placées au second plan.ª25

Lorsqu’on analyse les problèmes écologiques de l’Europe de l’Est, il faut tenir compte du fait qu’ils s’agissaient de pays sous-développés. Après la révolution, les communistes se sont donné pour tâche — à juste titre — de développer l’industrie (lourde) et de rehausser rapidement le niveau de vie. Et ils y sont parvenus : jusque dans les années 70, les chiffres de la croissance économique étaient très élevés. En quelques décennies, l’Union soviétique est passée de l’état de pays féodal, médiéval, à celui de superpuissance, non seulement militaire mais aussi économique. Ce développement économique ne pouvait qu’avoir des conséquences pour l’environnement. Tandis qu’en Occident, les différents problèmes écologiques sont apparus par phases, progressivement, dans les pays au développement rapide, ils sont apparus simultanément avec, pour conséquence, des problèmes beaucoup plus aigus.26

De plus, ces pays peu développés disposaient d’une technologie plus reculée. L’industrie en Europe de l’Est était tout aussi polluante que la nôtre dans les années 50-60 — pas davantage. Prenons-en pour témoins les nombreux ‘points noirs’ en Belgique. Importer d’Occident la technologie environnementale était chose quasiment impossible à cause du boycott et de la nécessité de payer en monnaies fortes (qui étaient aussi nécessaires pour certains produits de consommation, pour l’achat de nourriture, d’autres technologies, etc…). ´Nous devions tout réinventerª, dit Hans Wauer du Parti Communiste est-allemand. Il y a donc aussi une responsabilité occidentale dans les problèmes environnementaux d’Europe de l’Est. La nécessité d’un développement économique rapide a fait que, lorsque des usines moins polluantes ont été construites, les anciennes ont continué à produire et à polluer. Ainsi, à Leuna et Buna (RDA), on a construit des usines chimiques à la fin des années 50. Mais les anciennes, qui dataient de la Première Guerre mondiale, sont restées actives. La production a doublé.

Il faut ajouter à cela que la course aux armements, dans laquelle ces pays ont été contraints de s’engager, a requis beaucoup de forces, notamment sur le plan de la recherche et du développement technologique. Des forces qui n’ont pas pu être consacrées à la protection de l’environnement ou à d’autres fins sociales.

3. Des problèmes environnementaux se posent, aussi bien sous le capitalisme que sous le socialisme. Pour prendre l’exemple du lac d’Aral, on peut se demander si le socialisme offre de meilleures garanties que l’impérialisme pour faire face à de tels problèmes. Même si un désert apparaît, le socialisme dispose encore de meilleurs atouts que l’impérialisme pour restaurer de telles régions ou pour contrer la désertification, comme le montrent les exemples de reboisement et la lutte contre la désertification menés sous Mao. Pourtant, il faut bien constater qu’en Union soviétique, pas grand chose n’a été entrepris au moment où le pourtour du lac d’Aral s’est désertifié. Il est clair que les conséquences écologiques de la gestion de l’eau autour du lac d’Aral n’ont pas été prévues, et c’était une erreur.

4. Enfin, il faut encore dire ceci. Il est parfaitement possible que, sous le socialisme, même après une étude approfondie des conséquences écologiques, on parvienne à la conclusion que des projets d’irrigation à grande échelle sont nécessaires et qu’un lac d’Aral de taille réduite représente le meilleur choix, moyennant des mesures d’accompagnement. Des mesures qui peuvent être : le reboisement immédiat des sols dénudés par des espèces qui résistent au sel, l’extraction de sel à grande échelle pour éviter la salinisation, etc. C’est pourquoi une société qui pense à long terme est supérieure. Mais le fait de ne pas avoir pris le problème en main lorsqu’il a commencé à se manifester est à porter au compte du régime révisionniste d’Union soviétique dans les années 70 et 80. Il est faux d’attribuer toutes les fautes ou manquements au socialisme, alors que le révisionnisme était alors au pouvoir.

2.2. Le rôle du révisionnisme

Conciliation des classes au lieu de lutte des classes

´La première ligne de force est la réconciliation de classes au lieu de la lutte de classes. (…) Selon cet argument, la lutte de classes s’estompe parce que la classe ouvrière est devenue si forte.ª27 C’est en adoptant cette thèse révisionniste que le socialisme est devenu une société de toutes les classes, où chacun travaille pour le bien-être de l’ensemble de la société. Elle est diamétralement opposée à la ligne de Staline et Mao qui continuaient à mener la lutte aussi bien contre les anciennes classes bourgeoises que contre les classes bourgeoises en formation. L’arrêt de la lutte contre les nouveaux bureaucrates a permis qu’ils concentrent entre leurs mains, sans entraves, le pouvoir et d’autres moyens, au détriment de l’environnement. ´Les entreprises d’Etat recevaient une bonification afin d’accroître leur production, mais ne se voyaient imposer aucune amende pour le gaspillage de ressources.ª 28 Et encore: ´Les bureaucrates de l’industrie ont longtemps été évalués — et rétribués — uniquement en termes de production brute.ª29 Si les bureaucrates étaient rétribués en fonction des résultats directs, c’est en partie parce qu’ils ne devaient plus craindre la lutte des classes socialiste, menée par les membres du parti et les travailleurs conscients, qui ont subi les conséquences de la négligence en matière d’environnement.

Naturellement, la bourgeoisie n’attribue pas la cause des problèmes environnementaux à l’émergence d’une classe qui porte en elle les germes d’une restauration du capitalisme. Car s’il est démontré que le révisionnisme présente la même tendance à l’imprévoyance, à l’intérêt personnel et au profit direct que le capitalisme, cela démontre dans le même temps, une fois de plus, l’infériorité du capitalisme …

Enfin, il est aussi important de comprendre que le manque de centralisme démocratique a contribué à ce que le mouvement est-européen en faveur de l’environnement s’est retourné contre le socialisme. De cette manière, le révisionnisme a miné le socialisme. Mis à part quelques organisations créées, soutenues ou infiltrées par l’impérialisme, ce mouvement partait bel et bien de problèmes réels. On aurait pu discuter et imaginer des solutions avec lui.

L’impérialisme comme modèle économique

´(Cela) conduit à une seconde ligne de force, à la propagation de l’impérialisme comme modèle pour la construction du socialisme. (…) Cette ligne… n’avait plus pour objectif le renforcement de la base économique du socialisme, mais bien l’élèvement le plus rapide possible de la consommation.ª30

Khrouchtchev a décrété que le communisme était atteint en Union soviétique et que l’Union soviétique aurait rattrapé les Etats-Unis dès 1980. Avec cette théorie, il niait non seulement le rôle essentiel que joue la lutte des classes sous le socialisme, mais réduisait aussi les objectifs du socialisme au seul plan économique. L’impérialisme était devenu un objectif à viser et à atteindre. Cela s’est traduit par un ‘progrès’ sans critique, à tout prix, sur le plan économique, tous les autres éléments considérés comme des entraves étant mis de côté.

On peut ainsi déjà percevoir dans le socialisme maladif des symptômes de ce qui va se produire une fois menée la contre-révolution. En voici deux exemples :

1. On peut sérieusement s’interroger sur le non-développement ou le développement insuffisant de certaines technologies. Ainsi, dans l’ancienne RDA, le lignite était la principale source d’énergie. On sait pourtant depuis longtemps à quel point ce combustible contribue à la pollution par le dioxyde de souffre, une importante cause de pluies acides. Les émissions totales de dioxyde de souffre s’élevaient chaque année à 5,2 millions de tonnes (MT) en RDA (313 kg par habitant), 9,3 MT en Union soviétique (32 kg par habitant) et 21 MT aux Etats-Unis (83,2 kg par habitant).31 Que la RDA exploite le lignite se justifie sur le plan politico-économique, mais qu’elle ne développe pas simultanément une technologie supérieure de filtrage du SO2 — ce qui aurait été profitable à la santé publique — doit être imputé à un régime qui, peu à peu, s’est éloigné des intérêts du peuple. Remarquons en passant que les émissions de l’Union soviétique sont inférieures à celle des Etats-Unis.

2. Le reboisement était légendaire sous Mao. Mais sous Deng Xiao Ping, qui a adopté un cours révisionniste important, on constate un renversement de la situation. La surface boisée totale en Chine était, en 1989, de 126 848 000 hectares, soit une réduction de 7,7% par rapport à 1979, environ la période de l’arrivée au pouvoir de Deng.32 Lors d’un voyage d’étude en juillet 1989, un mois après Tien-An-Men, plusieurs responsables chinois du parti ont reconnu que les réformes des dix dernières années avaient exercé une influence négative sur les travaux collectifs. Ces travaux collectifs n’entraînaient en effet aucun résultat direct pour les masses de paysans individualisés, mais ne seraient rentables qu’à long terme. Ils mentionnaient les travaux aux digues, aux canaux d’irrigation… et le reboisement. Durant la même période, la superficie boisée à Cuba a augmenté de …11,8% !

3. Les bienfaits du libre marché…

Le socialisme présente de meilleures garanties pour la protection de l’environnement: cela ressort aussi des développements négatifs qui se produisent depuis que les pays d’Europe de l’Est sont devenus capitalistes. Pour l’illustrer, quelques citations de sources ‘non suspectes’ — les organisations de défense de l’environnement qui, à l’époque, ont soutenu les contre-révolutions :

´On s’attend à ce que le nombre de voitures individuelles en Pologne — actuellement estimé à environ 5 millions — double au cours des 20 prochaines années et que le nombre de kilomètres parcourus annuellement par véhicule passe de 7 000 kilomètres par an actuellement à… 10 000 en 2010.ª33 Bref, le nombre de kilomètres parcourus par les véhicules privés en Pologne va tripler en vingt ans… Les constructeurs automobiles occidentaux, confrontés à une surcapacité structurelle, ont trouvé en Europe de l’Est un marché bienvenu. Et de poursuivre : ´La doctrine du marché libre de l’Union européenne favorise la centralisation de la production conduisant à une augmentation du transport de marchandises et une charge accrue pour l’environnement.ª34 Ce qui amène l’auteur de l’article ‘Fruits of Capitalism’ à conclure : ´Les investissements en production automobile et en nouvelles routes soustraient des ressources au transport public.ª35 L’évolution sur le plan du transport se traduit donc par une augmentation du transport routier polluant au détriment du transport public. Le problème des déchets est tout aussi grave : ´Les canettes en aluminium à usage unique et les cartons aseptiques de type Tetra Pak ont miné la pratique traditionnelle des emballages en verre consignés que l’on rapporte et qui sont réutilisés et créent de nouveaux problèmes de déchets. (…) Les campagnes menées par Greenpeace et d’autres au début des années 90 pour alléger le commerce des déchets — le dumping de déchets occidentaux dès l’ouverture des frontières — a généré un sain scepticisme à l’égard des intentions occidentales.ª36

Même un Lester Brown ne peut nier quelques constats évidents : ´Bien que les pays de la région aient une chance unique d’éviter certaines fautes de l’Occident, des forces puissantes les poussent à réitérer ces erreurs.ª37 Une de ces forces est le FMI qui, conformément à sa raison d’être, empêche les pays de déterminer eux-mêmes leur propre développement: ´Des institutions telles que le FMI… ont empêché des pays de trouver eux-mêmes leurs propres voies de développement.ª38 D’autres auteurs (petits-)bourgeois font des constats tout aussi douloureux : ´…Le soutien de la base à des mesures environnementales strictes s’est érodé, particulièrement avec l’émergence de problèmes tels que le chômage massif, l’instabilité politique et la pauvreté très répandue.ª39 La racine commune de ces maux, la restauration capitaliste dans le bloc de l’Est, n’est pas nommée. Même pas quand l’auteur pousse son analyse plus à fond : ´Le manque d’attention porté à l’environnement est le résultat de l’absence de législation cohérente et d’une forte pression à la privatisation. Dans certains pays de la région, … les législateurs sentent que des normes environnementales plus strictes rendront plus difficile de trouver des acheteurs et de réaliser des ventes.ª 40 Bref, c’est la transition de la propriété collective à la propriété privée qui a enrayé le souci porté à l’environnement, même si l’auteur prétend que ce ‘défaut’ peut être corrigé par de meilleures lois.

La seule amélioration que le capitalisme a apportée en Europe de l’Est sur le plan de l’environnement est que la pollution de l’air et de l’eau s’est fortement réduite… à cause des fermetures massives d’entreprises, donc au prix d’un chômage massif et de la misère. Ce faisant, l’impérialisme est responsable d’un génocide progressif dans les anciens pays socialistes. Par rapport à d’anciennes prévisions, l’Union soviétique comptait, en 1998, 11 millions d’habitants de moins, à cause de la baisse dramatique de l’espérance de vie et du nombre de mariages et de naissances. Comment l’environnement peut-il bien se porter dans un environnement économique et social qui a amené l’espèce la plus avancée dans une situation de génocide ? Seul le machiavélisme éco-impérialiste peut se réjouir d’une évolution dans laquelle on acclame une régression de la population au nom d’une moindre pollution…

Notes

 

Faut-il réconcilier l’homme et la nature ?

Alexander Kempeneers

Ces dernières décennies, est né un mouvement qui oppose l’écologisme aussi bien au capitalisme qu’au socialisme. Ce mouvement prétend que les sciences se sont emballées, qu’il y a rupture entre une économie galopante, s’inscrivant dans une philosophie de croissance capitaliste ou socialiste, et l’avenir, et même la survie de l’humanité. Et de faire référence aux problèmes croissants écologiques, qui revêtent un caractère de plus en plus mondial.

Mais la véritable question est la suivante: les êtres humains qui, eux aussi, font partie de la nature, avec leur capacité de réfléchir, d’analyser, d’inventer (ou plutôt de découvrir) et de mettre en application, ces êtres humains sont-ils soudain arrivés à un processus irréversible d’aliénation de leur propre ‘mère Terre’ ? Selon les marxistes, ce n’est pas le cas. Référons-nous à l’un des fondateurs du marxisme, Friedrich Engels, qui a traité de ce sujet dans son ouvrage Dialectique de la Nature1.

La conscience est-elle coupée de l’être ?

D’où vient la conscience ? S’agit-il d’un processus extra-terrestre, même religieux, étranger à la matière même ? Ou la conscience appartient-elle en première et en dernière instance à ‘la matière’ ?

Selon Engels, la conscience est apparue chez l’homme à travers son adaptation à l’évolution de son environnement. Résumons, en gros.2 Durant ce processus d’évolution, les mains se sont libérées, ce qui a facilité l’apparition du travail. Et, à cause du travail, les membres d’une troupe, d’un groupe, sont devenus de plus en plus dépendants d’un de l’autre socialement. Ce qui a provoqué et nécessité le développement d’un embryon de langage, permettant la communication. Tous ces éléments mis ensemble ont favorisé le développement du cerveau et des sens. Les conditions du développement de la conscience étaient ainsi rassemblées.

Dans le même temps, les troupeaux ‘naturels’ évoluent. Les premières formes de société voient le jour. Les premiers outils font leur apparition, on utilise le feu, on domestique des animaux, l’agriculture se développe. Et l’on se rend compte qu’il est possible de vivre du travail des autres. Avec l’émergence de la société, apparaît — après la société primitive — la division des gens en classes. Société d’esclaves, société féodale, société capitaliste: ce sont trois formes successives de société qui, toutes, sont caractérisées par une contradiction antagonique entre une classe exploiteuse numériquement faible et une grande masse exploitée et opprimée —respectivement esclaves, cerfs et ouvriers.

La conscience écologique : quel contenu de classe ?

L’apparition et le développement de sociétés est un processus tout aussi ‘naturel’ que le développement de formes de société chez les animaux, les plantes et les écosystèmes. Mais le processus d’apparition de la conscience chez l’homme est un processus tout aussi naturel. Tout comme n’importe quelle évolution, il va de formes primitives vers des formes développées. Avec l’apparition des diverses sociétés de classes, apparaissent aussi des conceptions de monde qui ont toutes un trait commun : elles mettent à l’honneur l’esprit et les activités d’intelligence pour le développement rapide de la société, tandis que le travail et les travailleurs disparaissent à l’arrière-plan. Ainsi, la vision du monde devient elle-même un reflet de la société de classes existante: les dominants, qui se nichent dans une superstructure exploiteuse et oppressive, sont légitimés idéologiquement dans un enseignement qui les glorifient et qui assujettit les travailleurs.

Engels l’exprime ainsi, dans son ouvrage cité ci-dessus : ´L’art et la science apparurent enfin à côté du commerce et de l’industrie, les tribus se transformèrent en nations et en Etats, le droit et la politique se développèrent, et, en même temps qu’eux, le reflet fantastique des choses humaines dans le cerveau de l’homme : la religion. Devant toutes ces formations, qui se présentaient au premier chef comme des produits du cerveau et qui semblaient dominer les sociétés humaines, les produits plus modestes du travail des mains passèrent au second plan ; et cela d’autant plus que l’esprit qui établissait le plan de travail, et déjà à un stade très précoce du développement de la société (par exemple dans la famille primitive), avait la possibilité de faire exécuter par d’autres mains que les siennes propres le travail projeté. C’est à l’esprit, au développement et à l’activité du cerveau que fut attribué tout le mérite du développement rapide de la société; les hommes s’habituèrent à expliquer leur activité par leur pensée au lieu de l’expliquer par leurs besoins (qui cependant se reflètent dans leur tête, deviennent conscients), et c’est ainsi qu’avec le temps on vit naître cette conception idéaliste du monde …ª3

Même le fait de développer une conscience est une caractéristique naturelle de l’homme, tout comme sa capacité, dans un certain sens, de dominer la nature en la façonnant en fonction de ses propres besoins (contrairement à tous les animaux, qui ne peuvent qu’utiliser la nature autour d’eux). Engels nous met cependant en garde, dès 1876 : l’homme n’est pas extérieur à la nature, il en fait partie intégrante. C’est le propre de l’homme d’être le seul à pouvoir connaître les lois de la nature. A nous, dit Engels, d’utiliser cette connaissance de manière judicieuse. Etant donné que nous connaissons les lois de la nature, nous pouvons aussi prévoir les conséquences lointaines de nos agissements. Nous pouvons donc aussi maîtriser et limiter ces conséquences.

Toutefois, il existe un frein historique et actuel au développement de cette conscience et à son exercice. Il existe bel et bien une contradiction entre la possibilité de connaître les conséquences à long terme sur l’environnement et la courte vue, inscrite systématiquement dans toute société d’exploiteurs et, par-dessus tout, dans le capitalisme. Cette courte vue a pour effet qu’une société, commandée par l’intérêt privé de quelques grands capitalistes, est inconciliable avec les intérêts à long terme en général, et plus particulièrement environnementaux. Cela aussi, Engels le souligne.

L’écologisme pessimiste et optimiste

Il est dans la nature des sociétés de classes exploiteuses de développer une image du monde idéaliste: cela va de pair avec le développement objectif d’une conscience imparfaite vers une conscience plus parfaite, et avec la nécessité subjective pour les classes exploiteuses de fournir une justification idéologique à la situation d’exploitation des travailleurs. C’est précisément cette idéologie des exploiteurs qui crée une contradiction entre la conscience et l’être, reflet de la contradiction entre les intérêts à court terme des exploiteurs et les intérêts à long terme des travailleurs.

L’écologisme pessimiste est, lui aussi, un reflet de cette idéologie. Ce type d’écologisme considère le développement social actuel comme un mal à freiner, à arrêter ou à infléchir. Les problèmes écologiques sont dissociés de leur cause principale. Cette conscience est un prolongement de l’image idéaliste du monde: on tente de chercher des solutions qui ne rompent pas avec la cause principale objective du mal mais qui fait porter la charge de l’écologisme sur les épaules des exploités, tout comme l’idéologie de l’exploitation leur fait aussi porter toutes les autres charges. L’écologisme pessimiste met en question la croissance au lieu de mettre en question le capitalisme. Elle avance des mesures de réduction de la consommation (de masse). Elle préférerait atteindre une croissance négative au nom d’une moindre pollution. Elle rejoint ainsi les idéologues des exploiteurs, qui recherchent tous les moyens de laisser les choses en leur état. Les vrais coupables restent hors de portée et les victimes se voient infliger une portion supplémentaire de restrictions.

Face à cela, il y a l’écologisme optimiste. C’est l’écologisme du socialisme.

Cet écologisme prétend que le plus grand poison pour la nature, c’est le capitalisme qui a évolué vers l’impérialisme. Il est inscrit dans la nature du développement de la société humaine que le capitalisme sera remplacé par le socialisme. Le socialisme, c’est naturel. Au stade actuel du développement des moyens de production, avec l’influence actuelle de la société humaine sur l’environnement, plus aucune société ne peut encore se permettre de se laisser guider par les intérêts privés à court terme d’une poignée de capitalistes.

Les influences énormes et à grande échelle des méthodes actuelles de production et de distribution sur l’environnement nécessitent une organisation sociale adéquate, dirigée et dictée par les intérêts à long terme des travailleurs, où que ce soit dans le monde, y compris par leurs besoins en matière de santé et d’environnement durable.

Elles requièrent une société capable de planifier un développement suffisant, pour la satisfaction des besoins de tous les travailleurs, d’une manière telle que soient aussi reprises dans ce plan les influences à long terme d’une économie croissante.

Elles requièrent une société qui prévoit dans ce planning des moyens de croissance suffisants, ne serait-ce que pour infléchir les conséquences négatives, historiques et actuelles, dans un développement positif pour l’environnement.

En d’autres termes, la meilleure et donc — de préférence — la première mesure écologique nécessaire pour s’attaquer aux problèmes d’environnement, de manière fondamentale, planifiée et orientée vers l’avenir, c’est le socialisme. Car il prévoit non seulement une infrastructure économique et écologique, à long terme, au profit de tous les travailleurs, mais aussi il rompt, sur le plan scientifique, avec l’image du monde idéaliste, et l’on peut enfin entreprendre, d’une manière ferme et matérialiste, l’étude scientifique en vue de résoudre les problèmes écologiques. Cela ne signifie pas qu’aucun problème écologique ne se présente mais bien que les conditions de base pour les résoudre sont rassemblées. C’est l’écologisme optimiste: viser une société susceptible de développer, sur les plans économique, écologique et scientifique, les atouts nécessaires pour résoudre les problèmes déjà connus ainsi que les problèmes nouveaux.

Notes

 

L’économie politique de l’écologie

Pal Steigan

1. Introduction

Le point de vue de Marx sur la relation entre capital et nature est clairement présents, pas dans quelque missive obscure adressée à Engels ou dans une note de bas de page, mais bien dans Le Capital. Et ce n’est non plus pas une remarque en passant, puisqu’elle est confirmée dans d’autres ouvrages : ´La production capitaliste ne peut développer la technique et la combinaison des processus de production sociale qu’en sapant en même temps les sources d’où proviennent toutes les richesses: la terre et le paysan (ouvrier).ª1

Ceci me semble être une thèse fondamentale de l’œuvre de Marx. On peut la retrouver dans ses œuvres de 1840, mais sans doute n’est-elle formulée nulle part aussi catégoriquement qu’ici. Elle est brève mais ne laisse aucune possibilité d’interprétations: Marx associe l’exploitation (ou l’épuisement) des ressources naturelles à l’exploitation de l’homme. Nous, marxistes, avons été davantage préoccupés par l’exploitation du travail salarié. Les théories à ce sujet sont, bien entendu, ce que l’on connaît le mieux de Marx et ce qu’il a développé le plus complètement dans sa vie. Mais dans ce passage du Capital, il affirme qu’il y a deux sortes de richesses, la nature et le travail, et que le capital est contraint de piller ces sources. Sur base de la connaissance que nous avons maintenant de l’ampleur de la crise écologique, on pourrait écrire un quatrième volume du Capital, basé sur cette thèse que Marx n’a pas eu la possibilité de développer lui-même ni la connaissance nécessaire pour le faire en son temps.

Parfois on avance que Marx, dans d’autres contextes, n’a pas été clair dans sa critique de l’exploitation capitaliste de la nature. C’est possible : même le plus grand esprit commet des erreurs. Ce que je veux dire, ce n’est pas qu’on peut trouver une théorie entièrement développée de l’écologie marxiste dans le Capital, mais qu’on y trouve certainement des rudiments et des éléments pour édifier une telle théorie. Et les éléments dont je parle ne sont pas périphériques ni contradictoires avec l’essentiel de sa théorie économique. Nous le voyons par exemple dans ses critiques du Programme de Gotha. Dans le programme, le socialiste allemand Lassalle avait formulé une réflexion qui, pour les esprits inexpérimentés, pouvait avoir une résonance fort marxiste, la thèse selon laquelle ‘le travail est la source de toute richesse’. Comme beaucoup de lecteurs le savent, Marx a violemment protesté contre cette affirmation qu’il considérait non pas comme une thèse radicale mais comme une thèse bourgeoise : ´Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est autant la source des valeurs d’usage (c’est sûrement ce en quoi consiste la richesse matérielle) que le travail, qui n’est lui-même que la manifestation d’une force de la nature, la force du travail humain.ª

De même, il écrit dans le Capital : ´Le travail n’est donc pas la source unique des valeurs d’usage qu’il produit, de la richesse matérielle. Celle-ci a pour père le travail et pour mère la nature.ª Ici, nous voyons comment Marx souligne que la nature est l’origine de la valeur d’usage et dit, dans la ligne des considérations écologiques actuelles, que l’homme fait partie de la nature et que l’homme ne peut pas s’élever au-delà de la nature. En dernière analyse, la force de travail est, elle aussi, une force naturelle. Engels ajoute que si l’homme considère la nature en conquérant, la nature prendra sa revanche et détruira les résultats des efforts humains. Et il prévoit un futur dans lequel l’homme en saura davantage — par la dure expérience et avec de nombreux pas en arrière — sur les effets cachés, indirects, de notre activité productive sur la nature. Il indique aussi qu’une telle conception et un tel changement de comportement ne sont pas seulement une question de connaissance mais qu’ils demandent une révolution dans le mode de production.2

Marx a établi une distinction entre la valeur d’usage et la valeur d’échange et, dans la suite de son travail, il a approfondi l’étude des biens et des échanges quotidiens de biens. Il a étudié la constitution de la valeur d’usage et comment elle apparaît sur le marché. Naturellement, nous parlons ici de la valeur d’échange et puisque Marx a consacré le reste de sa vie à poursuivre l’étude de tous les aspects de ce problème, nous pouvons lui reprocher de n’avoir pas approfondi le problème de la destruction de la nature par le capitalisme.

Et, puisque le marxisme doit se développer sur base de la pratique, nous devons aussi réaliser que les données relatives à la relation entre capitalisme et nature sont maintenant mille fois plus nombreuses qu’elles ne l’étaient du temps de Marx. Alors qu’il ne pouvait que brosser grossièrement les fondements d’une théorie, les marxistes d’aujourd’hui disposent de quantités de faits établis sur base desquels ils peuvent développer une théorie marxiste de grande ampleur. Au cours des cent dernières années, la crise écologique, initialement locale, s’est développée comme une menace potentielle, au point de devenir une crise générale aux implications multiples.

Déjà, de nombreux marxistes ont entrepris des recherches sérieuses sur ces problèmes mais, dans l’histoire de la pensée marxiste, peu de travail a été accompli dans ce domaine. Une théorie de l’écologie politique marxiste doit se fonder sur des bases solides et ne peut être ce pot-pourri populiste que nous avons vu si souvent dans les rangs de la gauche. Je propose que nous prenions comme point de départ trois aspects centraux des théories de Marx et que nous partions de là pour créer cette extension de la pensée marxiste : a. la théorie de l’accumulation du capital ; b. la théorie de la rente foncière ; c. la théorie de l’aliénation.

2. La théorie de l’accumulation du capital

La formule de base décrivant la circulation du capital est: argent - biens - argent. Le point de départ des capitalistes est la propriété du capital. Le but poursuivi en investissant du capital dans la production de biens est d’en retirer du capital nouveau, davantage de capital. Si, en fin de circuit, le nouveau capital n’est pas plus important que le capital initial, tous les efforts ont été inutiles. Si le capital ne s’accroît pas, son propriétaire n’est pas capitaliste, il est au contraire un consommateur de capital. En tant que travailleurs salariés, nous sommes confrontés à une autre sorte de circulation de biens. Nous disposons d’un seul bien : notre force de travail. Nous la vendons et nous recevons en échange de l’argent que nous utilisons pour acheter d’autres biens. Dans ce processus, l’argent n’est qu’un moyen permettant l’échange de notre force de travail avec la force de travail d’autres travailleurs. Aucun surplus n’est produit à la fin de ce processus. En vendant notre force de travail, notre objectif est d’avoir accès à d’autres valeurs d’usage. Notre circuit est un circuit de valeurs d’usage. Pour le capital, par contre, la valeur d’usage est seulement un véhicule pour l’objectif réel, la valeur d’échange. Ces deux processus sont totalement différents dans leur principe même. Ils visent deux sociétés entièrement différentes. Mais en même temps, ils sont unis dans une relation dialectique dans la réalité contradictoire du capitalisme. La formule de la circulation du capital est, comme indiqué ci-dessus: argent - marchandises - argent, ou exprimé sous une formule standard

A–> M–> A’ ; où A’>A

Une formule que je qualifierai de formule de croissance illimitée. Le processus doit nécessairement se répéter un nombre illimité de fois. C’est l’histoire sans fin de l’accumulation capitaliste. Marx indique dans les Fondements que la croissance des forces productives dévalue le capital. C’est pourquoi un capitaliste qui ne participe pas à la spirale de la croissance verra nécessairement son capital se réduire en valeur réelle. L’accumulation ou la mort : telle est la bible de tous les capitalistes, si humanitaires soient-ils. Dès que le capitaliste réussit à réaliser un surplus, à assurer son précieux A’, il est contraint de s’engager à nouveau dans le jeu. La même loi s’applique à A’, comme à A. Sans doute déduira-t-il une partie du surplus pour lui-même, sa consommation de produits de luxe, sa maîtresse ou que sais-je encore. Mais il doit rentrer au casino avec une mise supérieure à celle du premier round. Il faut investir A’, selon la nouvelle formule

A’–> M’–> A" ; où A">A’.

Le nouveau A" doit à son tour être supérieur à A’, ou le capitaliste sera bientôt la proie d’autre bêtes sauvages dans la jungle du marché. Et ainsi de suite, à l’infini. Aun-million doit être investi pour devenir Aun-million-et-un. La seule exception se produit en cas d’effondrement du système, avec implosion de la circulation de capital, détruisant dans sa chute de grandes quantités de forces productives et préparant les bases d’un nouveau départ, à un niveau inférieur. Mais quand le processus redémarre, il atteindra et dépassera très rapidement le point atteint avant la dépression. Ainsi, le processus de circulation du capital est nécessairement un processus de croissance illimitée.

De la simple formule énoncée ci-dessus, nous pouvons aussi déduire d’autres observations importantes.

Premièrement, nous pouvons voir mathématiquement qu’il s’agit d’un processus qui conduit à la monopolisation. Le grand capital absorbera le petit capital. Seuls ceux qui ont le capital nécessaire pour investir dans les machines les plus nouvelles resteront en course. Chaque nouvelle étape dans le processus d’accumulation requiert un apport supérieur, bientôt hors de portée du menu fretin.

Deuxièmement, nous pouvons déduire que la spirale va s’accélérer, parce que chaque capitaliste qui parvient à atteindre le niveau supérieur avant ses concurrents aura sur eux une position de domination et accroîtra son capital plus rapidement. Donc, nous pouvons dire que l’expropriation bien connue du petit capital par les grands monopoles, dont nous sommes témoins aujourd’hui à grande échelle, est le résultat logique du processus de base A –> M–> A’.

De ceci, nous pouvons conclure que le capitalisme devra utiliser de plus en plus de nature vierge qu’il n’en faut dans le processus et la transformer en marchandises. Ces dernières décennies en ont apporté une illustration convaincante. A l’époque de Karl Marx, le capitalisme ne dominait qu’une petite partie du globe. Quand mon grand-père est né, en 1869, seule une minorité de la population norvégienne vivait dans une économie basée sur l’argent. Ainsi, l’esclavage salarial comme forme principale d’exploitation ne domine la Norvège que depuis trois — longues — générations. Même après la Seconde Guerre mondiale, la plus grande partie de l’humanité vivait toujours en dehors de l’économie basée sur l’argent, bien que fort influencée par elle. Depuis lors, le capitalisme a vraiment conquis la planète, des profondeurs de la jungle brésilienne jusqu’au plus profond des océans. Maintenant, des forêts reculées sont pillées pour des valeurs d’usage qui sont converties en marchandises. Des compagnies minières explorent des gisements de manganèse au fond de la mer, à des kilomètres de la surface, et des gisements de pétrole et de gaz bien plus profonds encore. Les régions arctique et antarctique sont utilisées dans la production de marchandises. Il en va de même pour 1’orbite géostationnaire. Même les ‘briques’ de la vie, les gènes, sont brevetés et convertis en biens, réalisant la prophétie de Marx et d’Engels dans le Manifeste, décrivant comment le capital convertit toutes choses, y compris l’honneur et la dignité humaine en marchandises.

Lorsque le capitalisme était un phénomène local ou même national, les conséquences, bien qu’horribles pour les victimes, étaient moins sévères. Aujourd’hui, la grande échelle du capitalisme international ajoute une nouvelle dimension au problème. Plus le capitalisme pousse la nature à ses limites, plus les possibilités de la nature d’absorber les désordres sont réduites. La pollution des hautes mers, de la glace arctique, le trou dans la couche d’ozone et le réchauffement général sont des conséquences du capitalisme qui convertit de plus en plus l’environnement en marchandises. A travers le monde, le capitalisme de marché rend le système écologique tout entier de plus en plus vulnérable. Imaginons que, dans leur recherche d’un profit maximal, les laboratoires fabriquant des gènes créent par erreur un virus ressemblant au HIV, le virus du Sida, mais qui se répandrait d’une manière bien plus efficace, par l’air ou par l’eau. Nous connaîtrions alors un problème qui nous serait offert par le mécanisme merveilleux des forces du marché.

3. La théorie de la rente foncière

La rente foncière apparaît en raison de la rareté de la terre. Cela conduit nécessairement à un monopole de la terre par les propriétaires fonciers. Sur base de la position avantageuse qu’ils retirent de ce monopole, les propriétaires fonciers peuvent réclamer un revenu, un dédommagement, un loyer, une rente. Ceci s’applique à l’agriculture, aux mines, aux champs pétroliers ainsi qu’aux avoirs fonciers dans les villes. Marx parle de deux sortes, de deux niveaux de rente, une applicable à toute terre sur base de la terre la plus pauvre en usage, l’autre applicable aux terres ayant un avantage : qu’elle soit très riche, proche du marché, bien gérée, etc., et de cet avantage comparatif, le propriétaire retire un profit supplémentaire, un supplément de rente foncière.

Internationalement, l’impérialisme a conquis le droit de tirer profit, par cette rente foncière, du capital collectif de l’humanité. On pourrait croire que, sur base de la théorie de la rente foncière, un pays comme le Congo aurait pu être un des plus riches du monde. Il regorgeait de tant de cuivre, d’or, de diamants et autres minerais, que la rente foncière devait y être énorme. Mais à cause du colonialisme et de l’impérialisme, le Congo a été saigné de cette rente foncière, depuis l’époque où il était colonie personnelle du roi Léopold II jusqu’à maintenant, sous le joug des multinationales — Union Minière ou autres.

Si nous considérons l’industrie pétrolière, nous ne pouvons pas dire que l’intégralité du profit est le résultat de l’exploitation des travailleurs de l’industrie pétrolière. Leur surplus de travail vient s’ajouter à la rente foncière, au profit résultat d’une réalisation de la rente foncière. Il existe un monopole de la propriété de la terre. Dans le cas de la Norvège, c’est l’État qui est propriétaire du sol sous la Mer du Nord et qui le loue aux multinationales capitalistes. L’État encaisse une rente foncière sur base de ce monopole, mais nous supposons qu’une partie de la rente foncière échoit aussi aux multinationales. En raison de leur position privilégiée, elles sont en mesure d’encaisser une partie de cette rente.

Ce qui s’est passé au cours des cent dernières années est unique. Le pétrole et le gaz sont devenus les sources d’énergie principales dans le monde. Si nous y ajoutons le charbon, les sources d’énergie fossile représentent plus de 90% de la consommation mondiale d’énergie. Elles seront peut-être épuisées dans 250 ans, du moins en ce qui concerne le pétrole. Ensuite, il n’y aura plus de pétrole pour les générations à venir.

Selon la théorie de la valeur, la valeur d’échange d’un produit est égale au travail investi dans ce produit. C’est aussi le cas du pétrole. Mais puisque les réserves de pétrole sont limitées et que personne ne va remettre du pétrole dans les champs pétroliers, le compte final pourrait être différent. Puisque le capitalisme est en train de consommer l’héritage de l’humanité tout entière — non seulement de cette génération mais des générations à venir —on peut dire qu’il est en train d’hypothéquer cet héritage. L’ampleur de cette facture sera le coût de la mise au point d’alternatives valables. Non seulement nos arrière-arrière-petits-enfants seront privés de pétrole, mais ils manqueront aussi d’huile pour graisser leurs vélos, des matières premières pour fabriquer du plastique, etc. En plus des coûts de production de pétrole et de gaz, la facture de pétrole et de gaz à charge du capitalisme devrait aussi compter le coût de la mise au point d’alternatives valables et les frais du nettoyage de l’orgie du pétrole. Si vous me permettez d’étendre le concept de la rente foncière, je dirais que le capitalisme actuel est en train d’encaisser une super-rente foncière, une troisième rente, distincte des deux autres, aux dépens des générations à venir.

Ceci est valable pour toutes les ressources non renouvelables consommées par le capitalisme. La même logique peut aussi être étendue aux ressources renouvelables: le prix de l’utilisation d’eau pure inclut le prix de la transformation des eaux polluées en eaux non polluées et purifiées.

Si l’on pratique cette sorte de comptabilité, même les victoires du capitalisme font piètre figure, en effet, sans parler de son barbarisme effroyable, particulièrement dans les colonies. Le succès apparent du capitalisme se mue en quelque chose de tout différent. Prenez la question de savoir qui paiera, une fois que la grande production des puits pétroliers offshore sera terminée. Les compagnies pétrolières supposent qu’elles peuvent s’en sortir en faisant exploser les plates-formes de forage et en les abandonnant, tels d’énormes tas de ferraille, au fond de l’océan. Ce qui équivaudrait à envoyer la facture aux générations à venir. On pourrait naturellement demander aux compagnies de démonter les installations et de les retirer entièrement de la circulation pour les recycler. Le capitalisme joue un mauvais tour à la société en n’acceptant que la partie profitable du processus de production et en faisant supporter le coût par la société d’aujourd’hui mais surtout de demain.

De tout ceci, on peut voir qu’en développant la pensée de Marx sur la rente foncière, on obtient une source importante de données critiques sur l’économie capitaliste. Un tel développement théorique placerait une autre bombe sous les pieds des défenseurs du capitalisme et enrichirait la compréhension de l’origine des superprofits réalisés par l’impérialisme d’aujourd’hui.

4. La théorie de l’aliénation

Dans ses manuscrits économiques et philosophiques, Marx a décrit le processus de production capitaliste comme un processus dans lequel le produit du travail apparaît au travailleur comme un corps étranger, comme un pouvoir indépendant du travailleur. Du point de vue de l’économie nationale, ceci prend la forme d’un éloignement du travailleur par rapport à la réalité, comme une ‘perte du produit et un esclavage par rapport à celui-ci’. Au cours de ce processus d’aliénation, le travailleur est dépouillé de tout contrôle ou relation concrète au produit de son outil et réduit à être le porteur d’une seule capacité: la force de travail. Ce processus d’aliénation est le processus de transformation du travailleur en prolétaire. (…)

Pour le capital, cette aliénation du travailleur est obligatoire, elle est la base de la production d’une plus-value. Ainsi, il ne s’agit pas d’une caractéristique secondaire ou sans importance du capitalisme mais au contraire d’une partie intégrante du véritable caractère du capitalisme.

Comme tous les écologistes le savent, la gestion à long terme des ressources naturelles nécessite l’entière participation de tous les membres de la société. L’aliénation de l’esclavage salarial est totalement incompatible avec cette exigence. Ce serait du moralisme pur de rendre les travailleurs co-responsables des conséquences écologiques de l’activité économique et du processus de production auquel ils sont totalement aliénés. De ce fait, nous pouvons voir clairement que l’abolition de l’esclavage salarial est indispensable pour établir une société humaine écologiquement saine. La libération de la classe travailleuse par la classe travailleuse est donc un pré-requis important pour combattre les catastrophes écologiques. La lutte pour éviter un désastre écologique devient donc une partie importante de la lutte tous azimuts pour une libération complète, politique, économique et psychologique de l’humanité.

Sur base de ces trois thèses fondamentales du marxisme, j’estime qu’il est possible de développer un marxisme revitalisé pour le 21e siècle, qui pourrait conduire à une renaissance pour le mouvement ouvrier et la gauche révolutionnaire. En même temps, il pourrait éviter au mouvement écologique de sombrer dans la frustration ou d’être assimilé et châtré par le capitalisme.

Pal Steigan a été président d’AKP, le Parti Communiste Ouvrier (marxiste-léniniste) en Norvège. Il a écrit un livre (en norvégien) sur les problèmes d’environnement en Chine et en Union soviétique.

Notes

 

La crise écologique a dépassé le point de non-retour

Erna Bennett

Introduction

Un rapport de l’Organisation de Recherche scientifique et industrielle du Commonwealth (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation, CSIRO), Division de la Recherche Atmosphérique, explique que la dégradation mondiale de l’environnement a dépassé le point de non-retour — c’est-à-dire le point au-delà duquel des dégâts permanents à l’atmosphère terrestre causés par l’activité humaine ne peuvent plus être annulés — et fait état d’une nouvelle phase dans la crise écologique mondiale.

Ceci confirme les mises en garde des spécialistes de l’environnement et des chercheurs, selon lesquels les effets écologiques de l’activité humaine ne sont plus des phénomènes seulement locaux mais revêtent des dimensions mondiales et ont des conséquences générales et permanentes.

Cette situation modifie qualitativement la recherche de solutions à la crise écologique et soulève des questions politiques et sociales difficiles. Nous pouvons affirmer sans crainte d’exagération que l’existence future de l’humanité dépend de la réponse que nous apportons à ces questions.

Le rapport du CSIRO confirme des rapports antérieurs du Groupe intergouvernemental sur le changement climatique (Intergovernmental Panel on Climate Change, IPCC), fort de 300 membres. C’est une mauvaise nouvelle mais elle n’est pas inattendue et elle montre que la crise écologique est la plus grande menace à laquelle l’humanité est confrontée aujourd’hui.

Elle entraîne aussi des dangers plus insidieux, notamment l’apparition d’attitudes et d’arguments — y compris parmi la gauche et les progressistes — selon lesquels la crise écologique actuelle est tellement grave qu’elle transcende les politiques et les classes sociales. On la qualifie de ‘crise commune’, affectant tout le monde de manière égale, et nécessitant que l’on surmonte les divisions sociales dans l’intérêt du ‘bien commun’.

Mais ne nous leurrons pas : rien n’est plus trompeur ou éloigné de la réalité.

Certes, la crise est commune à tous ceux qui vivent sur la terre mais elle n’affecte pas tout le monde également et elle ne peut être résolue par ‘l’action commune’, pour la double raison que ceux dont l’action l’ont causée détiennent le pouvoir politique et sont peu enclins à modifier leur attitude actuelle face au désastre et que la majorité de la population humaine qui est consciente du danger et veut s’y opposer n’a pas le pouvoir politique d’entreprendre les actions nécessaires.

La crise écologique a été créée par une classe dirigeante et par son exploitation avide des ressources terrestres communes à des fins privées. Ignorant les présentes mises en garde, elle continue à aggraver la crise par un mépris féroce et inconsidéré des conséquences prévisibles de ses activités. Et si elle peut agir de la sorte, c’est que les politiques des gouvernements facilitent les intérêts de cette classe dirigeante, allant jusqu’à dissimuler la gravité de la crise mondiale aux électeurs face auxquels ils sont responsables et redevables.

Cette attitude se dissimule derrière des déclarations selon lesquelles on ne permettra pas que les mesures de protection de l’environnement aient un effet adverse sur les intérêts économiques du pays — ce qui signifie bien entendu les intérêts économiques de la classe dirigeante.

Voilà qui montre très clairement la justesse de la vieille définition des gouvernements, ‘comités exécutifs de la classe dirigeante’. Et cela nous montre aussi que, pour résoudre la crise écologique, il ne suffit pas de parler d’écologie : pour résoudre la crise causée par l’attentat rapace du capitalisme sur les ressources mondiales, il faut une confrontation avec de puissants intérêts établis.

L’aggravation de la crise écologique nécessite une conscience plus grande du conflit de classe et souligne de manière impérieuse la nécessité d’une analyse de classe rigoureuse de la nature de cette crise mondiale et de la manière de la résoudre.

Les écologistes du monde doivent être armés d’armes politiques de classe tout autant que d’armes écologiques : l’enthousiasme, le dévouement et le sacrifice ne suffisent plus.

La terre entière est devenue une bombe à retardement écologique. Jour après jour, l’environnement humain se dégrade de manière dramatique et les premières pages des journaux font état, quotidiennement, de situations et d’événements qui, il y a à peine vingt ans, auraient été considérés comme imaginaires et irréels.

Cette dégradation est et a toujours été une conséquence directe d’actions favorisant les intérêts du secteur privé — même au risque de dégâts écologiques mettant en cause la garantie de la survie de l’homme sur cette planète.

Les phases historiques de la crise de l’environnement

Considérons les phases historiques de la crise écologique pour comprendre comment nous sommes parvenus à cette situation.

L’impact négatif de l’humanité sur l’environnement remonte à la révolution industrielle des années 1700.

La première de ces phases a produit de graves effets écologiques locaux liés à l’apparition d’usines et bas-fonds malsains dans lesquels les travailleurs travaillaient et vivaient une existence misérable. Certes, malgré son impact avilissant sur les conditions de vie de la classe ouvrière, cette industrialisation naissante a eu des effets positifs.

Après la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme a subi une transformation considérable. Davantage basé sur des groupes transnationaux, son effet sur l’environnement s’est considérablement aggravé. La vague d’industrialisation d’après-guerre a été caractérisée par de graves niveaux de pollution due à des produits sophistiqués de l’industrie chimique, à quoi s’est ajouté le problème nouveau des déchets radioactifs provenant de l’industrie et de la fabrication d’armes nucléaires.

Il y a aussi le problème de plus en plus grand de la pollution chimique due aux fertilisants et aux pesticides d’une agriculture qui a adopté des dimensions industrielles — l’agro-industrie.

Bien que les substances polluantes aient été appliquées localement, elles l’ont été à une telle échelle qu’elles ont provoqué une pollution régionale généralisée des terres agricoles et de l’environnement non-agricole à cause de l’écoulement massif d’agents agrochimiques dans les rivières, les lacs et autres voies d’eau, laissant de vastes étendues de terres stériles et d’eau empoisonnées à l’humanité et aux autres espèces.

Nous en sommes maintenant à la dernière phase, dont le début est plutôt diffus parce que la plupart d’entre nous ne l’ont pas vu se produire. De même, au début, la plupart d’entre nous n’étaient pas conscients de la voie sur laquelle nous étions embarqués.

L’urbanisation intensive, le transport intensif, le transport par route, l’usage de combustibles fossiles a engendré un degré de pollution atmosphérique qui s’est d’abord manifesté par la pollution dans les villes, rendant les conditions de vie extrêmement difficiles, multipliant les décès prématurés, mais ayant aussi d’autres effets que nous n’avions pas prévus au début.

Cette phase se caractérise par des dégâts croissants et accélérés à l’atmosphère terrestre, dus aux émissions de gaz industriels et autres. Dans ce processus de dégradation, le degré de destruction est supérieur au degré de réparation.

Deux processus sont à l’œuvre.

D’une part, le rejet dans l’atmosphère de chlorofluorocarbones (CFC) et autres gaz halogènes (utilisés dans les sprays aérosol et les systèmes de réfrigération) détruit la couche d’ozone qui, normalement, assure une protection contre les rayons nocifs provenant de l’espace, en particulier les rayons ultraviolets (uv). Les rayons uv sont des rayons de haute énergie aux effets cancérigènes. La perte d’ozone rend dangereuse l’exposition à la lumière du jour à la fois pour la peau et pour les yeux. En Grande Bretagne, la fréquence des cancers de la peau mortels a plus que doublé ces quinze dernières années.

Dans le second processus en cours, la concentration de dioxyde de carbone (et de méthane) dans l’atmosphère a augmenté massivement. Elle est surtout due à l’usage de combustibles fossiles. Cette pollution de l’atmosphère au dioxyde de carbone a pour effet une augmentation de l’absorption d’infrarouge, ce qui produit ‘l’effet de serre’.

Déchets toxiques

Le problème des déchets toxiques illustre clairement l’irresponsabilité sociale derrière la crise de l’environnement. Par exemple, les ‘solutions’ inspirées par le capitalisme font état de la nécessité de ‘gérer’ les déchets et rarement de limiter — encore moins d’interdire — la production de déchets toxiques, comme s’il s’agissait là du moindre des problèmes écologiques.

Dans une société capitaliste moderne où l’on dépense plus pour la publicité que pour la recherche médicale et agricole confondues, on ne s’étonnera pas que cette orientation vers la consommation conduise à du gaspillage à grande échelle. Les déchets solides produits annuellement aux Etats-Unis suffiraient pour construire, chaque année, un mur de 23 mètres de large et 6 mètres de haut tout le long de la frontière avec le Canada. Le traitement de ces déchets coûte 5 milliards de dollars par an.

Aux Etats-Unis, 300 millions de tonnes de matériaux toxiques sont déversés chaque année dans plus de 50 000 décharges. Une étude réalisée par le US General Accounting Office révèle qu’en 1983, trois-quarts de toutes les décharges de déchets dangereux aux Etats du Sud étaient situées dans des communautés minoritaires. Les décharges toxiques, légales et illégales, sont mises en cause dans l’augmentation des cas de leucémies et autres cancers.

Avec le même mépris inconsidéré des conséquences, les pays industrialisés exportent annuellement 20 millions de tonnes de déchets toxiques vers les pays sous-développés d’Asie et d’Afrique. Pour faire face à la croissance des décharges de déchets toxiques dans les pays riches, de nombreux ‘accords’ ont été signés, qui ne sont rien d’autre que des pots-de-vin aux élites des anciennes colonies pour qu’elles acceptent ces substances socialement dangereuses.

Des déchets de dioxine ont été déversés par les Etats-Unis en Haïti et en Guinée. L’Australie a signé des accords avec plusieurs pays du Sud-Est asiatique pour y déverser des déchets toxiques qu’elle ne peut déverser dans son propre pays. L’Italie, l’Allemagne, la Grande Bretagne ont vendu des milliers de tonnes de déchets similaires au Nigeria et à d’autres pays d’Afrique.

Le Danemark est souvent présenté comme un excellent exemple de gestion des déchets — payée essentiellement par les contribuables et non par les producteurs — où les déchets sont collectés, triés et stockés de manière très systématique… pour être ensuite chargés sur des navires et déversés en Afrique. Telle est, dans les faits, la réponse capitaliste.

Nous parlons ici de substances qui, parce qu’elles sont difficiles à détruire, à neutraliser ou à convertir en matériaux inoffensifs ou dégradables, nécessitent des opérations coûteuses et des investissements importants. De tels frais amputent bien entendu les marges de profit, dans un monde capitaliste de concurrence où la perte d’un avantage compétitif peut signifier la défaite dans une bataille impitoyable pour la survie au sommet. De ce fait, aucune solution valable n’est retenue par les groupes capitalistes.

Il faut aussi noter que les déchets traités dans les pays de production l’ont souvent été aux frais de l’Etat. Les matières sont organisées de telle sorte que l’élimination des déchets incombe aux pouvoirs publics, alors que rien n’est entrepris en ce qui concerne la production des déchets.

Réchauffement mondial

Le pillage des ressources naturelles, minerais, bois, combustibles fossiles, par les économies capitalistes modernes, ont converti des zones de chaque pays en semi-déserts.

Le degré de déforestation est assez stupéfiant. En Amazonie, sept à dix millions d’hectares de forêts ont été détruits en quelques années. Ce qui cause des problèmes majeurs en raison de la perte de contrôle des nappes d’eau et de la circulation d’eau. C’est en effet la végétation naturelle qui régule le cours de l’eau. Privé du climat normalement maintenu en équilibre par les forêts, l’environnement balance de manière incontrôlée d’inondations destructrices en sécheresses tout aussi destructrices.

Bien que moins évidents, les effets globaux de tels abus du sol sont encore plus importants. Sans la couverture de forêts qui absorbent le dioxyde de carbone, le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère s’accroît, ce qui produit un réchauffement atmosphérique entraînant l’effet de serre. Cet effet est encore renforcé par les énormes concentrations de production de dioxyde de carbone dans les villes, ce qui — associé à d’autres éléments chimiques — aggrave l’effet de réchauffement. Tout ceci représente un tournant dans l’histoire de l’humanité, un point où les activités sociales humaines ont un impact environnemental à l’échelle mondiale.

Plus de cinq milliards de tonnes de dioxyde de carbone dérivés de combustible fossile sont rejetés chaque année dans l’atmosphère. Il faut y ajouter un à deux milliards de tonnes qui auraient été absorbées par les forêts détruites par la déforestation.

Le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a augmenté de 25 pour-cent depuis la révolution industrielle — de 275 ppm (parts par million) à la fin du 18e siècle à 315 ppm en 1960, et à 350 ppm en 1988. Donc, la moitié de cette augmentation s’est produite dans les 20 à 30 dernières années.

Dans de nombreuses régions de la planète, et particulièrement dans les régions écologiquement fragiles — c’est-à-dire dans les anciennes colonies où des systèmes agricoles totalement inappropriés ont été mis en œuvre — les dégâts environnementaux dus à la déforestation, aux effets des fertilisants, aux pesticides, aux pratiques d’irrigation inadaptées et au surpâturage dû à la pauvreté ont déjà détruit de manière permanente quelque 11 millions d’hectares de terres. 1,5 milliards d’hectares sont sérieusement endommagés, et leur remise en état est hors de prix.

Ajoutons à ce tableau le réchauffement de la planète — engendré, il faut le souligner, par le colonialisme — et nous commençons à mieux comprendre le degré d’urgence auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.

L’IPCC — qui n’est pas un organe révolutionnaire — met en garde: ses études montrent une forte réduction de la couverture neigeuse dans de nombreuses chaînes de montagnes, une fonte des glaciers et des icebergs et une montée des niveaux dans l’Océan Pacifique de quelque deux millimètres par an.

Il a été calculé qu’en 2050, la température mondiale moyenne aura augmenté de deux degrés par rapport à aujourd’hui, tandis que d’autres études suggèrent que les températures moyennes puissent croître d’au moins dix degrés ou plus d’ici l’an 2300.

Ces fluctuations des températures mondiales moyennes entraînent des effets climatiques majeurs.

Une augmentation moyenne des températures de quatre degrés créerait sur terre des conditions plus chaudes qu’il y a quarante millions d’années et, même durant la dernière période glaciaire, les températures mondiales moyennes n’étaient que de cinq degrés inférieures à ce qu’elles sont aujourd’hui.

Des études climatologiques réalisées à l’Université d’Oxford indiquent que, dans les pays du tiers monde, les récoltes — qui ne suffisent déjà pas à couvrir les besoins — pourraient baisser de 9 à 11 pour-cent d’ici 2060, ce qui mettrait le prix des céréales hors de portée de centaines de millions de personnes.

Des régions entières d’Afrique et d’Asie seront confrontées à la désertification, et de nombreuses cultures traditionnelles d’Europe et d’Amérique du Nord seront vouées à l’échec. Des centaines de millions d’êtres humains seront contraints au déplacement et l’augmentation du niveau de la mer menacera des villes de grande importance dans la plupart des pays.

Destruction de la couche d’ozone

Une réduction de dix pour-cent de la couche d’ozone provoque un vieillissement rapide de la peau humaine, augmente le nombre des cataractes oculaires et réduit les réponses immunitaires, ce qui conduit à une augmentation des maladies infectieuses. Les arbres et les cultures cessent de croître. Plus de 300 000 cas de cancers de la peau non-mélanome ont été signalés à travers le monde.

Une réduction de 50 pour-cent diminue la production de plancton d’environ dix pour-cent, avec un effet correspondant sur les populations de poissons qui se nourrissent de plancton et sur les êtres humains et autres animaux qui se nourrissent de poissons. Elle provoque la cécité des poissons, des animaux terrestres, y compris des êtres humains, et une fréquence accrue des cancers mortels de la peau.

Actuellement, les niveaux de destruction ont dépassé les 60 pour-cent pour le ‘trou’ dans la couche d’ozone ces dernières années — ce qui est supérieur aux valeurs tenues pour causer la cécité et affecter la croissance des plantes.

Dans des régions entières, l’exposition à la lumière du soleil n’est maintenant plus bénéfique mais est au contraire devenue dangereuse. Les problèmes oculaires causés par les rayons ultraviolets se multiplient rapidement et, en Australie, la fréquence des cancers de la peau mortels liés à la destruction de l’ozone a atteint des niveaux épidémiques.

Bref, la surproduction capitaliste, le surdéveloppement et le consumérisme ont entraîné le monde au bord du désastre, à un degré qui défie l’imagination.

Politiques écologistes

La préoccupation face à ce danger a donné naissance à des politiques ‘vertes’, des mouvements politiques et des partis écologistes qui ont rencontré un succès croissant dans de nombreux pays.

Mais l’incapacité des verts à établir le lien entre la crise environnementale et la logique du système capitaliste, ou à comprendre le lien étroit entre la fièvre capitaliste à l’accumulation et à l’exploitation impitoyable de l’environnement, prive le mouvement écologiste d’un outil efficace pour l’analyse des causes et des effets.

Leur incapacité à comprendre que c’est l’impératif de profit du capitalisme de libre marché et les batailles compétitives qui engendrent cette crise ont encouragé des appels à des actions qui ‘transcendent les classes’, sans montrer que la dégradation de l’environnement est la conséquence de l’avidité d’une classe qui, dans son aspiration à maximaliser ses profits, a toujours refusé — même face à un péril mondial majeur — de prendre les mesures qui s’imposent.

Aucune discussion relative à l’environnement n’a de sens si elle n’aborde pas de telles questions à caractère politique et social. L’incapacité de le faire est la faiblesse cruciale, essentielle, des verts et autres mouvements écologiques, en dépit du rôle majeur qu’ils ont joué en attirant l’attention sur les risques écologiques.

Il ne suffit pas de parler des problèmes d’environnement ni même de les expliquer. Il est clair que la résolution des problèmes d’environnement nécessitera une confrontation avec des intérêts de classe puissants et impitoyables.

Que faire ?

Que faire ? Telle est la question. Mais d’abord, mieux vaut commencer par la question : que ne faut-il pas faire, que ne peut-on pas faire ?

Il est douloureusement clair que, si l’avenir des pays industrialisés est fâcheux, il l’est encore davantage pour le tiers monde. Nous ne pouvons pas éviter la conclusion que le fossé entre les pays riches et les pays pauvres se creuse, qu’il ne se comble pas, et ceci pour deux raisons — les pays riches deviennent plus riches et les pays pauvres deviennent plus pauvres.

Les pays pauvres peuvent-ils aspirer aux conditions de vie atteintes par les pays riches ? Ces conditions sont-elles un objectif désirable ? Le développement doit-il nécessairement se mesurer en termes de production et de consommation en augmentation constante, conduisant au gaspillage et au consumérisme ? Chaque famille d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine doit-elle avoir une voiture ?

Ne faut-il pas plutôt se demander, face à la crise de l’environnement et au problème critique du réchauffement mondial, s’il est juste que chaque famille d’Europe, d’Amérique et d’Australie ait une voiture ? C’est là, après tout, que le problème du réchauffement mondial trouve ses origines.

Fidel Castro, dans son étude inégalée sur La crise économique et sociale mondiale, fournit des données qui montrent l’irréalisme de poursuivre un tel cours de développement consumériste.

Dans une célèbre interview publiée depuis lors sous la forme d’un livre, il note que la voiture est une caractéristique d’une société capitaliste développée.

´Ne pensez pas à la Belgique ou à la Suède, dit-il, pensez à la Chine, qui compte plus d’un milliard d’habitants. Imaginez ce que ce serait si chaque famille de Chine possédait une ou deux voitures ! Combien de temps dureraient les matières premières pour cette industrie ? Imaginez que chaque famille en Inde ait une voiture, ou que tous les pays africains ou autres pays du tiers monde s’engagent dans un tel programme de développement. La pollution qui existe actuellement dans le monde augmenterait par multiples de cent, et les ressources d’énergie non renouvelable s’épuiseraient encore plus rapidement.ª

Et de conclure : ´En fait, je ne vois pas de possibilités objectives réelles pour un pays du tiers monde qui rechercherait ces modèles.ª Et pour deux raisons : d’abord, ils doivent éviter les modèles capitalistes et ensuite, ils ne peuvent pas atteindre ces modèles capitalistes.

Ils ne peuvent pas tendre à des modèles capitalistes de développement parce que les pays capitalistes n’ont été capables de les réaliser que grâce au pillage des ressources de leurs colonies.

Par conséquent, ils ne sont pas des ‘pays développés’, comme les définitions voudraient le faire croire, mais des pays ‘surdéveloppés’. Dans ce processus, les pays grâce auxquels ils se sont enrichis de manière parasitaire ont subi un ‘sous-développement’.

Nous devons être conscients de la nature et des erreurs du surdéveloppement.

Mais alors, quel doit être le modèle ? Castro n’hésite pas. Il doit être un modèle socialiste. De toute évidence, puisque la crise de l’environnement a été causée par le modèle capitaliste de développement, le seul modèle qui permet d’éviter la surconsommation et qui a pour objectif un usage rationnel des ressources pour le bien public est le modèle socialiste.

La production socialiste n’est pas esclave des mécanismes de l’économie de marché qui conduit au cycle frénétique, au cercle vicieux de la compétition, de la publicité, du consumérisme et du gaspillage. La production socialiste aspire à la satisfaction des besoins, non à la surproduction de marchandises, dont beaucoup ne rencontrent pas des besoins réels et qui conduisent à une surconsommation grotesque d’énergie.

Mais tout ceci concerne les choix politiques pour le futur. Que faire de la crise existante ? Quels choix politiques pouvons-nous faire pour la résoudre ?

Choix politiques

Une chose est claire. Les choix écologiques sont des choix politiques. Nous devons aux mouvements verts d’avoir inscrit les problèmes écologiques en tête de l’agenda politique. Mais nous ne pouvons pas permettre que l’on ignore le contenu politique, et par-dessus tout le contenu de classe de ces problèmes.

Sous certains aspects, la crise de l’environnement est la forme qu’adopte la crise du capitalisme à l’ère des groupes transnationaux. Le capitalisme est, de manière tout à fait évidente, un système intenable. Nous sommes sans doute les témoins de la crise finale du capitalisme. Cependant, nous devons être sûrs qu’il ne s’agit pas en même temps de la crise finale de la société humaine sur cette planète.

Ceci implique que nous resserrions nos liens avec les mouvements écologistes et environnementaux, mais aussi que nous leur injections un contenu politique et une analyse de classe sans lesquels ils ne peuvent comprendre ni expliquer les processus de dégradation de l’environnement, qui restent le danger majeur de notre époque.

Mais nous devons aussi reconsidérer nos propres modèles de consommation d’énergie et de ressources. Comme je l’ai dit, la société capitaliste est ‘surdéveloppée’. Malgré les pressions à la consommation, il faut aborder le problème politiquement sensible de la réduction de la consommation.

Quand on y pense, il est assez grotesque que nous soyons menacés, actuellement, par les effets particulièrement graves des rayons en provenance de l’espace et à leurs effets négatifs sur notre santé, alors que les mêmes rayons pourraient fournir une très grande part de notre énergie et remplacer les combustibles fossiles, si nous étions disposés et socialement organisés pour le faire.

Certaines pressions — essentiellement les pressions du marché, les pressions de la réalisation de profits — déterminent le caractère de nos industries génératrices d’énergie, ce qui a aussi un impact négatif sur le recours à l’énergie solaire.

Toutefois, c’est un non-sens de parler — comme le fait le Protocole de Montréal — de limiter les rejets de gaz aux niveaux de 1990. Aux niveaux de 1980, et même de 1970, les ravages atmosphériques étaient déjà fort avancés. Le choix de 1990 comme point de référence est une concession aux intérêts industriels et est indéfendable sur base de n’importe quelle interprétation réaliste des dangers présents. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas d’une halte à l’augmentation des niveaux de pollution mais d’un renversement clair et sans équivoque des tendances actuelles. De même, il ne s’agit plus de mettre une halte à l’augmentation de la production de déchets mais bien de renverser la vapeur.

Et les partis de gauche doivent s’atteler à la tâche de définir comment les modèles de consommation de la société peuvent être renversés — un sujet qui, je pense, est extrêmement sensible. Il est difficile de convaincre les gens de le faire actuellement, parce que cela entraîne des choix impopulaires. Comment dire aux Australiens qu’ils consomment trop d’eau, trop de lumière, trop de chaleur, trop de ceci ou de cela ? Comment le faire ? Ceci requiert une réflexion sérieuse, parce que, sans réflexion et sans politique en ces matières, nous allons trahir notre profonde préoccupation idéologique envers le problème environnemental.

Ingénierie génétique

En ce qui concerne l’ingénierie génétique, on a semé à ce propos une panique quelque peu exagérée et, à mon sens, mal placée. En effet, le danger ne réside pas dans l’ingénierie génétique en elle-même mais bien dans l’identité des ingénieurs génétiques.

C’est un peu comme un couteau: il peut être un tueur ou un créateur, il peut opérer dans les mains d’un meurtrier ou d’un chirurgien. Il en va exactement de même avec l’ingénierie génétique. Tant que l’ingénierie génétique est aux mains des privilégiés détenteurs du pouvoir, elle ne servira pas les intérêts des pauvres sans privilèges. C’est évident et là est le danger.

Encore une chose pour conclure: le rapport du CSIRO confirme largement certains soupçons entretenus par les activistes de l’environnement ces dernières années sur l’impact négatif sérieux du défrichage et de la déforestation.

Ceci donne une nouvelle perspective aux luttes pour la défense des forêts. La défense des arbres fait maintenant tout autant partie de la lutte de classe que la lutte pour la défense des dépossédés et des sans-terre dont le repli dans les forêts a parfois été, dans le passé, parmi les premières causes de la dégradation des forêts. Il faut rappeler que, à la base des causes de nos désastres mondiaux actuels, il y a le plus grand crime capitaliste : la pauvreté dans un monde de richesse et la richesse éhontée dans un monde de pauvreté.

L’urgence mondiale confronte aussi notre agenda politique à de sérieuses échéances. Ou bien nous vainquons bientôt le capitalisme ou bien il détruira l’humanité et tous ses espoirs de quelque sorte de lendemain.

Pays socialistes

Lorsque nous parlons des pays socialistes — Allemagne de l’Est, Pologne, Chine — nous devons garder à l’esprit qu’ils tentaient de créer les conditions d’un développement social extrêmement accéléré, comparé aux degrés dans les pays capitalistes. Ils ont essayé de réaliser en deux décades ce que les grands pays capitalistes avaient réalisé en deux siècles.

Dans ce cadre, l’industrialisation était un facteur très important, tout comme les sources d’énergie produites ‘à domicile’. Ces pays ne pouvaient pas importer de combustibles propres — de toute manière, personne à l’époque ne parlait de combustibles propres. Ils utilisaient donc du charbon, un combustible sale. Leur idée était: il s’agit d’une saleté répugnante mais au moins nous augmentons les standards de vie de notre peuple.

Avec le temps, il est devenu évident que ces combustibles étaient très dangereux sur le plan écologique, au sens permanent et au sens global — ou du moins au sens régional. Ces pays en ont pris conscience mais ils ne pouvaient pas y faire grand chose. Ils pouvaient même faire très peu, en effet, si l’on a à l’esprit un autre facteur: tous les pays socialistes se sont retrouvés dans une impasse parce que l’industrialisation et les efforts militaires nécessaires à leur défense face à la menace de la guerre froide ne leur laissaient pas d’autre choix.

Lorsque nous parlons de la pollution de l’environnement produite par les pays socialistes, nous devons garder à l’esprit : 1. que le seul modèle existant était le modèle capitaliste ; 2. que les objectifs ne pouvaient être rencontrés, d’une certaine manière, qu’en utilisant les ressources énergétiques existantes ; et 3. que personne n’était conscient, jusque bien tard, que les dégâts étaient globaux et permanents.

Mais il y a aussi un autre point. Un rapport du Sydney Morning Herald du 1er juin 1991 décrit le niveau de pollution en Chine comme ‘terrifiant’ : désertification, 79 millions d’hectares de forêt disparus dans les trois dernières années — et il poursuit sur le caractère épouvantable de la situation.

Mais une petite note en bas de page précise que le monde développé pollue beaucoup plus lourdement que la Chine. En d’autres termes, c’est terrifiant en Chine, c’est terrifiant partout, mais le monde développé — qui en sait beaucoup plus et qui a le choix entre des options bien plus nombreuses — est beaucoup plus gravement pollué que la Chine.

Et je vais vous dire à quel point la pollution est beaucoup plus grave. La production d’agents polluants qui affectent la couche d’ozone aux Etats-Unis, par exemple, est de 520 000 millions de tonnes — bombes à raser, bombe de laque à cheveux et autres choses de ce genre qui sont créées pour les consommateurs capitalistes. Toute cette masse représente 37,7 pour-cent de la production mondiale de CFC. La Chine et les pays sous-développés n’en produisent que 2,9 %. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.

Erna Bennett est membre du mouvement communiste depuis 1947. Elle a été active dans les Partis Communistes d’Irlande du Nord (CPNI), de Grande-Bretagne (CPGB), de Grèce (KKE) et d’Italie (PCI). Actuellement, elle lutte au sein de Rifondazione Comunista (Italie) et du Communist Party of Australia (CPA ; anciennement Socialist Party of Australia). Elle est spécialiste de l’ingénierie génétique et a travaillé pour le programme de conservation génétique de la FAO (agence alimentaire des Nations Unies), jusqu’à sa démission en 1981. Depuis elle a travaillé avec des ONG et elle est membre de la direction de RAFI (Rural Advancement Foundation International).

Le texte présenté ici reprend des extraits d’un rapport qu’elle a soumis au Comité Central du PCA en octobre 1994. Bien que certaines données puissent être dépassées, son argumentation et ses conclusions restent parfaitement d’actualité.

 

Le socialisme écologique d’André Gorz

Alexander Kempeneers

Lorsque, dans les années 70 et 80, les problèmes écologiques engendrent des mouvements de protestation d’une ampleur sans cesse croissante, un important courant petit-bourgeois voit le jour et élabore toute une philosophie, l’écologisme. Il s’agit en fait d’une nouvelle tentative — une de plus — de rejeter le marxisme, idéologie ‘dépassée’, et de le remplacer par une idéologie prétendument mieux adaptée à notre époque et davantage susceptible de répondre aux ‘développements les plus récents’.

Un auteur y tient un rôle d’avant-plan : André Gorz. Son idéologie est une source d’inspiration importante pour toutes sortes d’organisations, telles Agalev ou la CSC. Nous commentons ici deux de ses ouvrages, à savoir Ecologie et liberté1 et Capitalisme, socialisme, écologie2. Le premier a été rédigé dans la foulée de Mai 68, le second au lendemain de la contre-révolution de velours. Outre des similitudes fondamentales, les deux ouvrages présentent également des différences intéressantes qui montrent comment, dans une période de protestation anticapitaliste, les mouvements petits-bourgeois parlent un tout autre langage que durant les périodes où sévit une réaction de droite.

Gorz et le capitalisme

´La logique du Capital, elle, est la seule forme de rationalité économique pure. Il n’y pas d’autre façon économiquement rationnelle de conduire une entreprise que la gestion capitaliste.ª3 Ici, Gorz exprime sa conception de base : le communisme est une faillite, le capitalisme a prouvé qu’il reste la meilleure façon de fonctionner. Cette idée sous-tend la totalité de l’ouvrage et des conceptions qu’il défend. Plus loin, nous verrons quelles conséquences cela a sur la (non-)résolution des problèmes écologiques. Mais, dans ce contexte, il importe de savoir à quoi mènent ses conceptions. Gorz accepte le capitalisme dans la totalité de ses caractéristiques essentielles. En premier lieu, il défend la propriété privée : ´Tout comme moi, R. Land voit dans l’autonomisation du Capital (…) la condition première de la dynamique du développement économique.ª4 Secundo, il défend la libre concurrence qui, à ses yeux, ne doit pas subir la moindre entrave. Quand il parle de compensation des revenus pour la diminution de la durée du travail, il ne veut pas que cela se fasse au détriment du Capital, mais bien de celui du contribuable : ´La compensation salariale ne peut simplement être mise à la charge de chaque entreprise mais exige un financement public qui ne provoque ni distorsion du système des prix ni entrave à la concurrence.ª5 Tertio, il défend la course au profit, dans laquelle il voit le critère décisif pour en arriver à une production efficace : ´Le critère de l’efficience économique exige la recherche du plus grand rendement possible par unité de travail vivant ou mort — en pratique : le profit maximal.ª6

Gorz considère que le capitalisme est un système supérieur : ´Sa supériorité (…) ne tiendrait-elle pas plutôt à son instabilité, (…) comparable à celle d’un écosystème, qui fait éclater continuellement de nouveaux conflits entre forces partiellement autonomisées et qui ne se laissent ni contrôler ni mettre une fois pour toutes au service d’un ordre stable.ª Bref, si vous désirez produire de façon écologique, produisez capitaliste ! Ces conceptions sont même vendues comme étant des conceptions marxistes. N’était-ce pas le grand Marx en personne qui disait que ´Tout ce qui est solide se dissout dans l’air ; ce qui résiste au changement sera impitoyablement balayéª7 ? Pour Gorz, il ne fait aucun doute que le socialisme ´oppose une résistance au changementª et que, conformément aux lois marxistes, il est donc condamné à disparaître. Le capitalisme, par contre, ne se laisse pas enfermer dans un ordre social stable, car lui-même est susceptible de changement, en raison de sa nature même et, par conséquent, il est amené à se maintenir… pour l’éternité. Voilà bien les paroles d’un renégat, qui renverse sens dessus dessous le marxisme afin de pouvoir afficher une étiquette qui lui permettra à l’aise de lorgner du côté de la gauche. Car ce que Marx veut dire, c’est que le capitalisme oppose une résistance aux changements qu’il génère pourtant dans son propre giron : un prolétariat qui lutte pour diriger la société de façon planifiée, comme c’est le cas, conformément à des moyens de production très développés. C’est donc le capitalisme qui doit disparaître, et le socialisme est le développement qui doit succéder logiquement au capitalisme, tout comme il est logique qu’après une végétation d’arbrisseaux apparaisse une végétation forestière. Si vous voulez produire de façon écologique, c’est-à-dire conformément aux lois de la nature et de la société, alors il vous faut rallier les rangs des forces qui luttent pour une révolution socialiste.

Ce n’est pas un hasard si toutes les citations sont datées de 1991. Au début des années 70, Gorz prétend encore que le capitalisme ´est toujours enclin au despotismeª.8 Mais même ce langage à la mode ne parvient pas à dissimuler le fait que son anticapitalisme n’est qu’apparent. Il laisse la question de côté, parce qu’il ne pose pas la propriété privée comme base de la dictature mais qu’il s’en prend à une caractéristique de tout mode de production moderne : ´La base de ce ‘despotisme d’usine’ (le terme est de Marx) est la division du travail. (…) Sa nationalisation ne change rien et n’y changera rien non plus.ª9 Dans son attaque simulée contre le capitalisme, c’est en même temps, et surtout, le socialisme qu’il attaque. Car, dans une économie planifiée, le socialisme va encore pousser plus avant la division du travail, tout comme l’écologie mondiale parvient à créer les biotopes adaptés à chaque endroit. La division du travail n’est pas hostile à l’écologie ; d’ailleurs, plantes et animaux le prouvent à suffisance dans toutes les parties du monde.

De la même manière, il se fourvoie avec sa position qui prétend que le capitalisme ne peut échapper au gaspillage. ´Le capitalisme de la croissance est révolu. Le socialisme de la croissance, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, nous fait miroiter l’image falsifiée du passé, et non celle de l’avenir.ª10 Ce n’est pas le capitalisme tout court qui provoque le gaspillage, mais bien ´l’économie basée sur la croissanceª. C’est ainsi que Gorz pose la base de l’anti-productivisme dans le mouvement vert. Malheur au socialisme, dans ce cas, qui veut aller à la rencontre des besoins matériels de tous les travailleurs…

Bref, en dépit — ou par le biais, justement — de son langage à la mode de 1978, le jeune Gorz pose très tôt déjà, dans son analyse des causes des problèmes écologiques, les fondements de l’anticommunisme et de l’éco-réformisme.

Gorz et le marxisme

Tout comme il se livre à quelques ‘critiques anticapitalistes’, Gorz, dans son ouvrage de jeunesse, fait également quelques constatations positives à propos du socialisme. Il va chercher en Chine et au Viêt-nam quelques-uns de ses exemples, tels le reboisement, la limitation des naissances et les soins de santé.11 Mais ces quelques constatations positives, il ne les explique pas en s’appuyant sur la supériorité du socialisme. Au contraire, sur le plan idéologique, Gorz exprime son refus du socialisme comme suit : ´Le marxisme (…) a perdu sa signification prophétiqueª12, ce qui, dans son dernier ouvrage, se mue en : ´L’idée d’un ‘socialisme scientifique’ a perdu tout sens.ª13

Gorz condamne le socialisme scientifique qui veut s’ériger en système tendant à une explication totalement scientifique, par laquelle il se démarquerait de l’expérience réellement vécue des humains et de leur aspiration à l’émancipation et à l’autonomie. Toutefois, il est une question qu’on ne peut manquer de se poser : quelles personnes — de quelle classe — se sentiront menacées dans leur ‘autonomie’, une fois que le socialisme aura triomphé, et quelles personnes, appartenant à une autre classe, se sentiront précisément libérées ? Une chose est sûre: sous le socialisme, pas un seul capitaliste ne pourra ‘s’extérioriser de façon autonome’ !

Pour Gorz, ce n’est pas la dictature du Capital qui constitue le problème central, mais bien l’aliénation qui émanerait de toute production industrielle de marchandises et de services. En ce sens, l’économie planifiée est une forme encore plus grave d’aliénation de l’individu que le capitalisme : ´L’autonomisation du sous-système économique (…) prenait ici la forme d’un appareil de planification autocratique et oppressif. L’aliénation était plus totale encore que dans le système de marché.ª14 Gorz confond l’exploitation qui règne dans les entreprises capitalistes avec les méthodes de production modernes elles-mêmes. Et bien qu’il prétende qu’une telle production est inévitable, son ‘socialisme’ consistera à soustraire le plus grand nombre de domaines possible aux méthodes modernes, au profit d’unités de production locale et de services à petite échelle et, de la sorte, il ne supprimera certainement pas l’exploitation.

Le socialisme, version Gorz

´1. La restructuration écologique de la société exige que la rationalité économique soit subordonnée à une rationalité éco-sociale. (…) 3. Par ‘socialisme’, il faut (aussi) entendre (…) la création, grâce à des durées du travail de plus en plus réduites et flexibles, d’une sphère croissante (…) de coopération volontaire et auto-organisée, d’activités autodéterminées de plus en plus étendues.ª15 Gorz ne veut pas s’en prendre au capitalisme de la propriété privée, de la soif du profit et de la libre concurrence, puisque ce système a prouvé sa supériorité. La seule chose qu’il désire, c’est subordonner le mécanisme supérieur de la logique capitaliste à des critères éco-sociaux.

Gorz justifie son point de vue exactement comme le ferait tout renégat : après Marx, la société a poursuivi son développement et, en tant que marxiste de tendance droitière, peut-on réellement faire autrement que d’adapter son analyse à une réalité objectivement modifiée ? Selon Gorz, il existe des développements que Marx n’avait pas prévus :

´En résumé, on peut dire que nous avons à faire avec une crise classique de suraccumulation, compliquée en plus par une crise de reproduction qui, en dernière instance, est imputable à la rareté progressive des ressources naturelles.ª16 La production croissante, l’utilisation des matières premières et la pollution qui en découle posent en effet de nouveaux problèmes, même si le problème de l’exploitation de la nature a déjà été soulevé par Marx et Engels. La question primordiale n’est toutefois pas de savoir s’il y a bien une crise de reproduction, mais de savoir quelle sorte de société est fondamentalement la mieux armée pour affronter n’importe quelle crise. S’agit-il d’une société où il existe une contradiction entre la soif personnelle de profit d’une minorité et les problèmes de santé et d’environnement du monde entier et, en particulier, des travailleurs ? Ou s’agit-il, au contraire, d’une société qui, grâce à la possession en commun des moyens de production, serait mieux en mesure d’affronter de façon planifiée les problèmes environnementaux ? Ce n’est pas le simple fait de constater ces ‘nouveaux’ problèmes qui fait que quelqu’un est un vrai socialiste, mais bien la recherche de solutions socialistes à ces nouveaux problèmes.

- ´Le pouvoir économique et social qui décide, oriente, organise, commande la production, s’est déplacé hors du processus de travail. (…) La mise en question des décisions de production et l’exigence politique d’acquérir un pouvoir sur elles, requièrent aujourd’hui non pas l’identification des travailleurs avec leur fonction productive mais leur recul par rapport à la tâche qui leur est impartie.ª17 Pour Gorz, la spécialisation sans cesse accrue de la production fait qu’il est impossible pour les travailleurs d’exercer sur elle le moindre contrôle. Il n’est donc plus question de lutter pour la maîtrise des moyens de production mais, au contraire, de contribuer le plus possible à leur développement. Le socialisme n’équivaut plus au contrôle des moyens de production mais bien à la recherche du maximum de temps de loisirs possible, durant lesquels on pourra mettre sur pied et développer des ´activités que l’on aura soi-même choisiesª. On sera confronté à un Capital ‘réglementé’, qui opérera harmonieusement, main dans la main, avec un secteur coopératif parallèle et à petite échelle: Vandervelde et d’autres social-réformistes ne l’ont pas mieux exprimé au début de ce siècle… La seule nouveauté réside dans le fait qu’on y collera un petit paravent verdâtre, derrière lequel la continuité du capitalisme pourra se dissimuler en toute quiétude. Par ailleurs, c’est une erreur de déclarer que l’aliénation serait imputable à la spécialisation — en d’autres termes aux moyens de production — et non aux rapports de production. De cette façon, on s’arrange exactement pour laisser les capitalistes hors d’atteinte. Sous le socialisme aussi, il y aura spécialisation, et elle sera même plus poussée que sous le capitalisme. Mais le problème de l’aliénation y sera précisément résolu avec une bien plus grande efficacité, parce que les travailleurs, via toute la série des organes présents au sein même de l’entreprise et de l’Etat socialiste, pourront faire entendre leur voix. Dans ce cas, il s’agira non seulement de contrôle sur sa ‘propre entreprise’, mais également — et surtout — de contribution quant à l’ensemble de la société.

- ´Le travail n’est plus la principale force productive. (…) Les entreprises remplacent le travail humain par des systèmes automatiques.ª18 Gorz en vient à la conclusion que le prolétariat est une classe en régression. Une fois de plus, il confond les moyens de production et les forces de production: même si, dans une usine, on a besoin d’un nombre moins élevé de travailleurs pour assurer une production plus forte, leur position n’en demeure pas moins d’une importance tout aussi déterminante que naguère : les travailleurs, qu’ils soient ou pas hautement qualifiés, déterminent si l’on produit de la plus-value. Et ils le font dans des conditions d’exploitation accrue. L’affirmation prétendant que la classe ouvrière est en régression est donc totalement erronée.19

- ´Il ne peut y avoir de modernisation écologique sans restriction de la dynamique de l’accumulation capitaliste et sans réduction par auto-limitation de la consommation.ª20 Pour Gorz, la diminution de la durée du travail est une arme destinée à faire baisser la consommation : ´Avec l’auto-limitation de la durée du travail, le ‘temps choisi’ rendrait donc possible l’auto-limitation du revenu et de la consommation marchande.ª21 Gorz entend donc, d’une part, résoudre le problème de l’environnement en soumettant le Capital à des critères éco-sociaux (voir plus haut) et, d’autre part, il veut aborder le problème de la consommation. Mais dire que ‘la’ consommation doit diminuer, c’est automatiquement s’en prendre aux travailleurs et laisser les capitalistes hors d’atteinte. A une époque où 358 milliardaires possèdent davantage que 40% de la population mondiale, parler d’‘auto-limitation’ équivaut uniquement à contribuer à l’accroissement du degré d’exploitation sous l’impérialisme. Même si l’on s’empresse d’ajouter qu’il n’est pas exclu qu’il y ait encore un peu de croissance dans le tiers monde. En disant cela, Gorz ne résout nullement le problème écologique, mais il fournit toutefois une solution à la modernisation écologique de l’impérialisme.

Ni droite, ni gauche

Gorz veut ´la réforme des institutions de l’Etat. Non pas les détruire d’un seul coup, mais bien les supprimer au profit d’une extension de la ‘société civile’. Face aux tendances totales de l’Etat de droite et de la gauche classique, l’écologisme incarne la révolte de la société civile.ª22 Dans son ouvrage plus récent, il se montre un peu plus précis : ´Le programme du SPD me paraît faire œuvre de pionnier dans trois domaines suivants : la restructuration écologique (…) la réduction de la durée du travail (…) l’importance accordée aux ‘valeurs féminines’.ª23

Pour Gorz, une alliance est nécessaire entre les syndicats et les nouveaux mouvements sociaux. Il voit leur tâche de la façon que voici : ´Ils peuvent et doivent lancer aux partis des défis continuellement renouvelés, mais ne peuvent jamais les remplacer.ª24 Gorz veut donc ‘détruire’ l’Etat bourgeois en exerçant une pression de tous les instants sur les forces de gauche du SPD et de la CDU — ceux-ci, en effet, se sont déjà bien imprégnés du débat écologique — afin de réguler le marché écologiquement et assurer dans une certaine mesure planning et coordination, et afin de favoriser des initiatives coopératives. ´Il implique qu’une politique socialiste ne peut se contenter de corriger et de réguler le fonctionnement du marché (…) Elle doit favoriser le développement (…) de formes de coopération volontaire auto-organisée.ª25

Ici, Gorz cite toute une liste de réformistes censée entretenir l’illusion qu’il convient de réaliser le ‘socialisme’ en appliquant les réformes nécessaires au sein du capitalisme, et avec lui. Cela va à l’encontre de la conception socialiste de l’Etat, qui dit que l’Etat est l’instrument de la classe ouvrière, afin de pouvoir maintenir la dictature de celle-ci.

Si l’on veut aborder les problèmes environnementaux sans toucher au Capital et à l’Etat qui lui est soumis, sans briser l’Etat capitaliste ni exproprier le Capital, il convient dans ce cas de chercher des solutions qui soient acceptables pour le Capital ou susceptibles de lui procurer des bénéfices, alors que ce sont les travailleurs qui devront payer la facture verte.

Gorz et l’économie écologique

Gorz souhaite un bon rapport entre le système industriel existant et le développement d’initiatives autonomes. ´Pour exister politiquement, une gauche écologique a (…) un urgent besoin de médiations entre le système industriel existant (…) et (…) des formes de société postindustrielles (…) Il faut (…) agrandir les espaces ouverts aux activités autonomes, à l’autoproduction, à l’épanouissement de chacun et de tous.ª26

Outre la promotion des nouvelles méthodes de direction d’entreprise telles que les dépeint un Gorz ‘plus mature’, c’est-à-dire en tant que contribution à l’accroissement de l’autonomie des travailleurs sur leur lieu de travail27, notre homme fait en premier lieu la promotion du développement des initiatives autonomes. ´Quelle image de l’avenir ? (…) Une société dans laquelle les individus se lient mutuellement sur base volontaire afin de réaliser des objectifs communautaires et d’être sûrs d’un maximum d’autonomie individuelle et collective. (…) Car c’est une illusion de croire que des concepts comme ‘collaboration volontaire’, ‘planning démocratique’ et ‘autogestion des travailleurs’ pourraient avoir quelque sens dans une usine de 20 000 travailleurs.ª28

Puisqu’on ne peut toucher au pouvoir du Capital, Gorz propose de conclure un contrat éco-social, dont voici le contenu :

- ´Comment allons-nous répartir les gains de productivité entre : a) la réduction de la durée du travail ; b) la création d’emplois additionnels ; c) l’augmentation des salaires et des prestations sociales ?ª29

- ´Si on veut que la RDT réponde à l’intérêt et aux aspirations aussi bien des élites du travail que des chômeurs et des précaires, alors il vaut mieux, dans un premier temps, que l’économie continue de croître légèrement.ª30

- ´Il consistera à verser aux salariés (…) un salaire indirect, (…) un ‘deuxième chèque’ (…) Le deuxième chèque ne peut être financé (que) par (…) l’impôt sur la consommation, qu’il prenne la forme de la TVA ou celle de taxes spécifiques.ª31

Bref, il veut appliquer une réduction draconienne de la durée du travail, avec perte (partielle) de salaire, éventuellement compensée (en partie) par un ‘deuxième chèque’ financé par les impôts indirects. De la sorte, il épargne le Capital. Ensuite, il libère du temps pour les travailleurs — qui doivent se payer eux-mêmes, mais c’est de nouveau du petit lait, pour Gorz, puisqu’il diminue la consommation et, partant, la pollution — qu’ils peuvent meubler par des activités autonomes. Parmi celles-ci, le moderne Gorz fait également figurer l’égale répartition des tâches ménagères.

Voilà donc, pour l’ami Gorz, à quoi ressemble la société écologiquement modernisée. Pas question de toucher au Capital. Tout au plus doit-on s’efforcer, via les méthodes modernes de direction d’entreprise, de donner aux travailleurs davantage d’autonomie au sein de l’entreprise. Mais la véritable autonomie, c’est une affaire qui vaut à l’extérieur des entreprises capitalistes. On peut alors obtenir que la durée du travail soit réduite de façon draconienne. La perte de pouvoir d’achat qui s’ensuit est en même temps favorable à l’environnement, car elle réduit la consommation. Entre-temps, les gens peuvent mettre sur pied, dans leur propre quartier, toutes sortes de petites activités autonomes dans le secteur informel, où il est possible d’organiser gratuitement des échanges de services. Ainsi, il est encore possible de faire des économies dans la sécurité sociale.

Les parallèles avec les actuels gouvernements écolo-sociaux-démocrates ou arc-en-ciel sont surprenants. Eux aussi souscrivent de façon analogue à la modernisation écologique de l’impérialisme, au détriment des travailleurs et au profit des patrons. Mais dans le même temps, ces gouvernements montrent aussi qu’ils ne menacent pas le pouvoir du Capital et qu’ils n’offrent pas de solutions fondamentales aux problèmes environnementaux qu’ils prétendaient pourtant résoudre.

Notes :

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